Fonds constitués en société : l’effet du dernier budget fédéral

Par François Bernier | 5 août 2013 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Le gouvernement fédéral a annoncé, lors de son budget présenté le 21 mars dernier, de nouvelles mesures portant sur les « opérations de requalification ». Ces changements ont créé une onde de choc dans la grande famille des conseillers en services financiers et ont semé la confusion parmi les investisseurs. Le présent article vise à faire le point sur cette annonce et sur les conséquences qu’elle aura pour les investisseurs.

Résumé des nouvelles règles

Certains investisseurs tentent de réduire leur facture fiscale en convertissant, par l’entremise de contrats à terme, le rendement d’un investissement produisant du revenu d’intérêt, imposable à près de 50 %, en gains en capital dont seulement 50 % sont inclus dans le revenu. C’est ce que le gouvernement nomme une opération de requalification.

Exemple : Le 1er janvier 2012, un investisseur ayant un profil sécuritaire (de type 100 % obligataire) désire investir 10 000 $. Il peut investir dans un portefeuille d’obligations produisant un revenu d’intérêt. Le revenu d’intérêt généré par un tel portefeuille sera imposé de façon importante, à un taux pouvant aller jusqu’à 49,97 % au Québec. Si le portefeuille produit un rendement de 4 %, l’investisseur paiera approximativement 200 $ en impôts pour ce placement. Cet investisseur aurait pu acheter un contrat à terme portant sur le rendement d’un portefeuille obligataire de référence. Arrivé à échéance, l’investisseur recevra son capital plus une plus-value équivalente à un rendement obligataire de référence. Le revenu ainsi reçu par l’investisseur est déclaré comme du gain en capital. Le gain en capital peut être imposable jusqu’au taux de 25 % au Québec. La facture fiscale pour un rendement de 4 % sera approximativement de 100 $.

Dorénavant, même si un investisseur utilise des contrats à terme afin d’obtenir une exposition à des instruments de revenu fixe, l’Agence du revenu du Canada (ARC) considérera cette opération comme une opération de requalification et traitera le revenu généré par cette transaction comme un revenu d’intérêt. Bien que cette mesure ait pris effet immédiatement le jour du budget, certaines mesures transitoires ont été adoptées afin de permettre une transition graduelle. Les contrats à terme conclus avant la date du dernier budget pourront rester en place jusqu’à leur expiration, soit au plus tard le 21 mars 2018 pour les contrats à terme de plus de 180 jours, et le décembre 2014 pour les contrats à termes de 180 jours et moins.

Applications des nouvelles règles

En pratique, ces règles ne viennent affecter qu’une minorité de mandats offerts par les firmes de fonds communs dans leurs structures de fonds constitués en société (aussi nommées structures de capital). Avant l’annonce du dernier budget, les firmes de fonds communs utilisaient généralement des contrats à terme, dans ces structures, afin d’obtenir une exposition au marché de revenu fixe tout en limitant la facture fiscale. Plus précisément, ces contrats à terme étaient généralement utilisés dans les mandats de revenus fixes et les mandats équilibrés dans les structures de fonds constitués en société. Toutefois, dans la majorité des cas, ces mandats ne constituaient qu’une minorité de tous les mandats offerts par les entreprises de fonds communs dans leurs structures de capital.

Il faut également noter la façon dont les revenus d’intérêt sont traités dans un fonds constitué en société. Pour résumer : des revenus d’intérêts générés par les placements détenus dans la structure de capital, on peut déduire les dépenses encourues par cette même structure, et ce, quelle que soit leur provenance (mandat d’actions ou de revenus fixes).

Ce qui signifie qu’une structure de fonds constitués en société peut éviter, dans une certaine mesure, de payer de l’impôt sur les revenus d’intérêts gagnés, si elle a suffisamment de dépenses dans sa structure de capital, et surtout, si elle n’encombre pas sa structure de capital de nombreux fonds générant du revenu d’intérêt. Autrement, elle pourrait se retrouver avec une facture fiscale à payer dans le cadre de la structure de capital.

Les fonds constitués en société conservent toujours leur utilité

À la suite de l’annonce de ces mesures, plusieurs investisseurs ont cru que le gouvernement fédéral désirait provoquer la fermeture des fonds constitués en société. Ce n’est pas le cas. Les nouvelles mesures énoncées ne visent qu’un certain type d’opérations effectuées par les fonds constitués en société, soit l’utilisation de contrats à terme afin d’obtenir une exposition à des rendements comparables à ceux d’instruments de revenus fixes.

Il ne faut pas croire que seules les entreprises de fonds communs utilisaient cette stratégie. De nombreux investisseurs se prévalaient de cette possibilité : individus fortunés désirant investir dans des produits à risque réduit, mais souhaitant une plus grande efficacité fiscale, entreprises cherchant à investir leurs liquidités, fondations, entreprises de fonds négociés en Bourse, etc.

Il sera toujours possible de détenir, dans la structure de capital des entreprises de fonds communs, les obligations elles-mêmes plutôt que des contrats à terme. Cela pourrait créer, dans certains cas, une tranche d’imposition supplémentaire dans les structures de capital, mais cela ne forcerait pas ces mêmes structures de capital à émettre des relevés T3 à leurs détenteurs de parts.

Aucune facture fiscale ne devrait donc être directement transmise aux investisseurs. En effet, les fonds constitués en société, étant donné leur structure juridique, ne peuvent émettre de relevés T3. Leurs distributions, s’ils en font, seront à titre de dividendes (qui seront rapportés sur des relevés T5). Il est à rappeler qu’au Québec le revenu de dividende est moins imposé que le revenu d’intérêt.

Un mythe

Une autre information véhiculée après l’annonce du dernier budget fédéral est qu’il n’y aurait plus aucun avantage à utiliser les fonds constitués en société. Il s’agit d’un mythe.

Les fonds constitués en société continueront d’offrir trois bénéfices majeurs pour les investisseurs désirant minimiser leur facture fiscale :

  • Croissance fiscalement avantageuse en raison de l’absence de distributions imposables sur les fonds constitués en société;
  • Revenu fiscalement avantageux avec les fonds de série T en catégorie, qui ont des distributions mensuelles composées entièrement de retour de capital;
  • Rééquilibrage fiscalement avantageux : les investisseurs qui désirent gérer activement leur portefeuille pourront vendre et acheter de nouveaux mandats dans le cadre de la même structure d’entreprise sans déclencher d’incidence fiscale.

Conclusion

Malgré les changements annoncés dans le dernier budget fédéral, les fonds constitués en société conserveront une place de choix dans la portion non enregistrée du portefeuille de nos clients. Les revenus générés par ces derniers continueront d’être versés sous forme de retour de capital et d’être fiscalement efficaces. Pour les particuliers soucieux de leur facture fiscale, ou pour les propriétaires d’entreprise désirant éviter une imposition importante, ils resteront un outil de placement privilégié.


François Bernier est notaire, directeur, planification fiscale et successorale, Placements Mackenzie

François Bernier

François Bernier est notaire. Il occupe le poste de directeur, techniques de planification avancées à la Financière Sun Life.