Fractionner votre revenu avant la hausse du taux d’intérêt prescrit

Par Vanessa Sarveswaran | 14 septembre 2022 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Dans des circonstances adéquates, il est possible de fractionner le revenu lorsqu’une personne accorde un prêt portant intérêt à un membre de sa famille. Cette stratégie est fiscalement avantageuse dans la mesure où l’emprunteur gagne un revenu supérieur au taux d’intérêt sur le prêt consenti et qu’il est assujetti à un taux d’imposition inférieur à celui que le prêteur aurait payé sur ce revenu. Généralement, afin d’éviter l’application de règles anti-évitement, le prêteur doit exiger des intérêts à un taux au moins équivalant au « taux prescrit ».

Le taux d’intérêt prescrit par l’Agence du revenu du Canada est actuellement de 2% et il passera à 3% à partir du 1er octobre 2022. Afin de bénéficier du taux actuel, les familles désirant effectuer du fractionnement de revenu pourraient mettre en place un prêt à taux prescrit au plus tard le 30 septembre 2022. Malgré le marché volatil qui règne depuis un certain temps, mettre en place un prêt à taux prescrit lorsque le taux est bas demeure une stratégie qui pourrait procurer des économies d’impôts au sein du ménage.

En effet, les contribuables peuvent vouloir fractionner leur revenu avec des membres de leur famille ayant un revenu plus faible afin de réduire le fardeau fiscal familial en raison du régime fiscal canadien qui impose le revenu des particuliers selon des taux progressifs. Plusieurs stratégies peuvent être mises en place afin d’effectuer du fractionnement de revenu.

FRACTIONNEMENT DE REVENU 

Le « fractionnement de revenu » consiste à transférer des actifs générant du revenu par un membre de la famille dont le revenu se situe dans une tranche d’imposition plus élevée à un autre dont le revenu se situe dans une tranche d’imposition moins élevée afin que le revenu soit imposé à un taux inférieur. Cette stratégie permet généralement à la famille de réaliser des économies d’impôts importantes.

LES RÈGLES D’ATTRIBUTION [1]

La Loi de l’impôt sur le revenu (LIR) prévoit plusieurs règles afin de limiter le fractionnement de revenu. Les articles 74.1 à 74.5 LIR contiennent certaines de ces règles communément appelées les « règles d’attribution ». En résumé, lorsqu’un particulier transfère ou prête un bien, directement ou indirectement, à son époux ou conjoint de fait, ou au profit de cette personne, le revenu ou la perte provenant du bien ne sera pas imposé entre les mains du conjoint, mais plutôt entre les mains du particulier. Les mêmes règles s’appliquent lorsque le transfert ou le prêt est effectué en faveur d’un mineur avec qui le particulier a un lien de dépendance, ou qui est son neveu ou sa nièce, ou au profit de cette personne. Les règles d’attributions s’appliquent également lorsqu’un particulier effectue un prêt à faible taux d’intérêt ou sans intérêt à un membre de sa famille. De plus, en ce qui concerne l’époux ou le conjoint de fait, le gain en capital ou la perte en capital réalisé par la disposition du bien prêté ou transféré est également réattribué à l’auteur du prêt ou du transfert[2].

L’article 74.5 LIR prévoit plusieurs exceptions à ces règles. Par exemple, les règles d’attribution ne s’appliquent pas aux transferts de biens avec contrepartie à la juste valeur marchande et lorsque l’auteur du transfert choisit de ne pas se prévaloir du paragraphe 73(1) LIR[3]. Elles ne s’appliquent également pas à la période tout au long de laquelle le particulier vit séparé de son époux ou conjoint de fait pour cause d’échec du mariage ou de l’union de fait. Par conséquent, suite au divorce, les règles d’attribution ne sont plus applicables[4]. Par ailleurs, il importe de mentionner que ces règles ne s’appliquent pas au revenu de deuxième génération soit le revenu gagné sur le revenu tiré de biens transférés. Ainsi, ce revenu sera bel et bien imposé entre les mains du bénéficiaire et ne sera pas réattribué à l’auteur du transfert.

PRÊTS À TAUX PRESCRIT 

Une stratégie relativement simple pour échapper aux règles d’attribution est l’utilisation d’un prêt à taux prescrit en vertu du paragraphe 74.5(2) LIR. Ce paragraphe renferme une exception à l’application des règles d’attribution pour les biens prêtés, lorsqu’un prêt porte intérêt à un taux qui n’est pas inférieur au taux prescrit[5] ou au taux d’intérêt commercial en vigueur au moment où le prêt est consenti. De plus, les intérêts doivent être payés annuellement au plus tard 30 jours suivant la fin de l’année (soit le 30 janvier de l’année suivante). Le taux en vigueur au moment où le prêt est contracté s’applique pendant toute la durée du prêt. Ainsi, il est avantageux de mettre en place le prêt avant que le taux prescrit n’augmente. L’auteur du prêt doit inclure l’intérêt reçu ou à recevoir dans le calcul de son revenu. De plus, l’intérêt payé par le bénéficiaire du prêt est déductible dans le calcul du revenu de ce dernier. Si l’intérêt sur le prêt n’est pas payé dans les délais impartis, les règles d’attribution s’appliqueront pour cette année-là et pour toutes les années subséquentes.

Prenons l’exemple suivant : Alexie et Adam sont mariés et résident au Québec. Alexie est très fortunée et est imposée au taux marginal le plus élevé soit 53,31%. Adam, lui, gagne un revenu annuel plus modeste et est imposé à un taux marginal de 25 %.  Alexie décide de prêter 2 000 000 $ à Adam afin de bénéficier du taux prescrit actuel de 2 %. Adam décide d’investir l’argent dans un portfolio qui lui procurera un rendement annuel d’environ 6 % (revenu d’intérêts). Ainsi, le revenu gagné par Adam sera de 120 000 $ et il devra payer l’intérêt de 40 000 $ sur le prêt d’ici le 30 janvier 2023, et ce, à chaque année d’imposition au cours de laquelle le prêt demeure impayé. Le revenu net de l’investissement sera de 80 000 $ et Adam devra payer 20 000 $ (80 000 $ x 25 %) d’impôt sur ce revenu. Alexie devra inclure l’intérêt de 40 000 $ dans sa déclaration de revenus et devra payer 21 324 $ (40 000 $ x 53,31 %) d’impôt sur ce revenu. Les possibilités d’économies d’impôt découlant de cette stratégie s’élèvent donc à 22 648 $ (80 000 $ x (53,31 % – 25 %)) par année.

Cette stratégie est fiscalement avantageuse lorsque le rendement sur investissement excède l’intérêt payé sur le prêt et lorsque le revenu est imposé entre les mains d’une personne qui a un taux d’imposition plus faible. En mettant en place la stratégie du prêt à taux prescrit, Alexie et Adam ont réussi à économiser ensemble 22 648 $ en impôt.

AUTRES STRATÉGIES DE FRACTIONNEMENT DE REVENU 

Plusieurs autres stratégies peuvent être mises en place afin de fractionner le revenu familial, par exemple:

  • répartir les dépenses et les investissements de manière appropriée ;
  • effectuer un don d’argent à des enfants majeurs ; et
  • effectuer un don d’argent à un époux pour un investissement dans un compte d’épargne libre d’impôt (CELI).

Les stratégies susmentionnées en relation avec le fractionnement de revenu peuvent être combinées dans le contexte d’une bonne planification fiscale. En ce qui concerne le prêt à taux prescrit, plus le taux d’intérêt prescrit augmente moins l’économie d’impôt est significative. Ainsi, il importe de mettre en place cette stratégie pendant que le taux est encore faible. Tel que susmentionné, dans la mesure où le contrat de prêt est conclu avant le 1er octobre 2022, le taux prescrit actuel de 2 % est fixé pour la durée du prêt. Nous recommandons de faire affaire avec un spécialiste, tel un avocat, afin de mettre en place une telle planification fiscale pour s’assurer que toutes les modalités du prêt soient respectées.

L’emprunteur devra peut-être réviser son Énoncé de politique d’investissement actuel pour mettre sur pied cette stratégie. En effet, le portefeuille devrait être structuré afin de générer suffisamment de revenus pour couvrir l’intérêt sur le prêt ainsi que tous les frais liés au financement. Toutefois, les stratégies de placement à long terme devraient toujours avoir préséance sur les stratégies visant à réduire l’impôt.

Cette stratégie devrait donc être envisagée si l’horizon de placement des fonds empruntés est à long terme. L’impact global à court terme et à long terme d’effectuer un prêt au taux prescrit par rapport à maintenir le statu quo à l’égard des fonds investis devrait être analysé à l’aide de plusieurs scénarios de rendements sur l’investissement avant de mettre en place cette stratégie.

Vanessa Sarveswaran est vice-présidente, planification fiscale, de la retraite et successorale, à Gestion mondiale d’actifs CI.

[1] Le présent article ne fait pas une revue exhaustive de toutes les règles d’attribution.

[2] Le gain en capital ou la perte réalisés sur des biens prêtés ou transférés à un enfant mineur n’est pas assujetti aux règles d’attribution.

[3] En vertu du paragraphe 73(1) LIR, lorsqu’un bien est transféré par un particulier à son époux ou conjoint de fait, le transfert se fait au coût au lieu de la juste valeur marchande (roulement). Ainsi, le transfert a lieu sans conséquence fiscale immédiate.

[4] Interprétation technique de l’Agence du revenu du Canada, 2012-0465711E5 – Règles d’attribution après un divorce, 21 février 2013.

[5] Le taux prescrit est établi chaque trimestre par l’Agence du revenu du Canada.