Un avenir inquiétant pour le conseil financier

Par Gino Savard | 23 mai 2017 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Les changements annoncés concernant l’encadrement des services financiers et l’abandon des commissions intégrées n’ont rien de réjouissant. Ils indiquent plutôt qu’il ne reste plus grand temps pour se mobiliser et sauver les meubles!

Le virage réglementaire que nous sommes à la veille de prendre marquera-t-il un point tournant? Souhaitons que ce ne soit pas le cas, mais admettons toutefois que nous sommes à l’aube d’une tempête…

Et je ne sais pas si vous êtes dans le même état d’esprit que moi, mais je n’ai plus le goût, ni le temps de mettre mes gants blancs en espérant que quelqu’un allume dans les sphères décisionnelles!

UN GOUVERNEMENT À LA MERCI DES INSTITUTIONS BANCAIRES 

Difficile de comprendre le raisonnement qui a mené le ministre des Finances, Carlos Leitao, à déclarer que l’intégration des Chambres de la sécurité financière et de l’assurance de dommages à l’Autorité des marchés financiers (AMF) serait souhaitable.

L’encadrement de notre secteur d’activité fonctionne bien et ne soulève aucun problème majeur qui justifierait un tel changement. Le gouvernement est-il conscient que la loi qu’il envisage de proposer aura des répercussions majeures sur les conseillers et sur les consommateurs? Avec l’abandon des Chambres, l’État aura le monopole du pouvoir sur notre profession. L’AMF deviendra la seule maître à bord.

Les seuls conseillers qui peuvent s’en réjouir sont les bandits à cravate, puisque l’AMF est déjà débordée. Actuellement, 69 % des procédures judiciaires en cours sous l’Autorité pourraient avorter en raison de l’arrêt Jordan, révélait en mars Le Journal de Québec. Nul besoin d’aggraver la situation!

Malgré toutes les bonnes intentions de ses acteurs, je doute franchement que cette mégastructure parvienne à faire preuve d’une aussi bonne compréhension du terrain et d’autant d’efficacité que la Chambre de la sécurité financière (CSF). J’ai plutôt tendance à croire que cela va complexifier et ralentir les procédures. On le sait, un paquebot ne vire pas rapidement!

Et la plupart des structures qui forment et supervisent la grande majorité des professions au Québec, ce sont les organismes d’autoréglementation (OAR). Pourquoi agir autrement dans notre cas?

Au-delà des préoccupations administratives, l’intention du gouvernement semble traduire une décision politique inquiétante, soit la volonté de satisfaire le lobby des institutions bancaires (et un certain mouvement coopératif…). N’est-il pas vrai qu’elles sont les seules à se plaindre de la situation actuelle, car elles n’aiment pas avoir à cotiser à la Chambre et à l’AMF et être surveillées par deux régulateurs?

Il est tout de même surprenant d’entendre le ministre Leitao dire qu’il veut une AMF forte pour éviter de se faire imposer un régulateur fédéral unique et prétendre en même temps qu’il faut abolir l’organisme de proximité qu’est la Chambre au profit d’une mégastructure. Voilà deux points de vue pour le moins contradictoires!

DES MESURES QUI PÉNALISENT LES PETITS ÉPARGNANTS 

Outre la fin des Chambres, je veux revenir une dernière fois sur l’option d’abandonner les commissions intégrées (règlement 81-408) puisque le 9 juin est la date limite pour le dépôt des commentaires. Il est donc minuit moins une pour agir.

Face à cette menace qui nous guette, je me demande pourquoi nos élus ne réagissent pas davantage. Au cours des 40 dernières années, l’État n’a cessé de se désengager face à la retraite des Canadiens et des Québécois en créant des REER, des CELI, et plus récemment les RVER. Les initiatives sont nombreuses pour que les gens s’en occupent eux-mêmes.

Alors, pourquoi songer à imposer une mesure qui privera inévitablement le petit épargnant de conseils financiers? Ce n’est pas une famille qui arrive à mettre 100 $ par mois dans un REER qui pourra payer 500 $ par année à son conseiller. C’est la moitié de ce qu’elle peut épargner pendant l’année!

On devrait, au contraire, suggérer des façons de conseiller davantage le petit épargnant. Les banques vont-elles vraiment offrir des conseils? Vont-elles les prodiguer comme elles le font actuellement, en suggérant de prendre des certificats de dépôt parce que c’est la façon la plus facile et économiquement profitable pour elles de se financer? Cela leur assure du financement stable et garanti pour une période équivalente à l’échéance du CPG (3, 5 ou 10 ans), à des taux dérisoires (1, 2 ou 3 %, par exemple). Et elles peuvent prêter cet argent à des taux beaucoup plus élevés…

À l’heure actuelle, les gens qui épargnent le plus sont ceux qui ont un conseiller. On ne peut pas se permettre, comme société, de ne limiter l’accès au conseil financier qu’aux mieux nantis. Oui, je suis inquiet! Notre gouvernement semble actuellement bien mal guidé et songe à prendre des mesures très dommageables. Il faut que les professionnels des services financiers et les consommateurs parlent à leurs élus et essaient d’éviter la catastrophe… maintenant!

Gino Savard

Gino Savard

Gino-Sébastian Savard est président et associé de MICA Cabinets de services financiers, un agent général de deuxième génération établi à Québec depuis 30 ans et fort d’un réseau de plus de 185 représentants partout en province. Bachelier de l’Université Laval, avec en poche un certificat en planification financière et le titre d’assureur vie agréé, il a su développer en 25 ans de carrière une expertise enviable en assurance dans le secteur corporatif et le développement de marchés avancés. Fervent défenseur de la profession de conseiller, il est engagé de façon importante dans l’industrie pour qu’elle soit reconnue comme un service essentiel à la population. Franc, objectif et accessible, M. Savard est souvent invité à titre de panéliste et sollicité pour ses propos pertinents dans divers médias spécialisés.