Brassard Goulet Yargeau démonte la réforme fiscale fédérale

Par La rédaction | 25 septembre 2017 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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La fiscalité des revenus passifs des sociétés privées est au cœur de l’une des trois mesures de réforme fiscale annoncées par le ministre des Finances Bill Morneau en juillet dernier. Le cabinet Brassard, Goulet, Yargeau critique ardemment ces propositions dans un mémoire déposé le 21 septembre.

Les revenus passifs sont ces sommes provenant des surplus d’une société qui dorment dans un portefeuille de placement. Comme elles ne sont jamais passées entre les mains d’un particulier, ces sommes bénéficient d’un taux d’imposition avantageux. En effet, l’impôt personnel est généralement plus élevé que l’impôt sur les sociétés.

L’objectif initial était d’inciter les entrepreneurs à réinvestir davantage dans leur entreprise, mais le ministre Morneau soutient que cet argent est trop souvent utilisé comme un instrument d’épargne pour la retraite. Le gouvernement fédéral associe ce procédé à de l’évitement fiscal et soutient que l’entrepreneur s’enrichit sans avoir payé sa juste part d’impôt, ce que le contribuable « ordinaire » ne peut faire.

MAUVAIS CALCUL

Une conclusion à laquelle n’adhèrent pas du tout les 17 spécialistes signataires du mémoire de Brassard, Goulet, Yargeau. Ces derniers reprennent l’exemple donné par le gouvernement dans son document de consultation sur la question. Il présente une situation où un particulier et un entrepreneur incorporé gagnent chacun 100 000 $. Après avoir payé ses impôts au taux maximum, le particulier conserve 49 633 $, contre 85 600 $ pour l’entrepreneur. La différence est de 35 967 $.

Les montants sont placés à 3 % d’intérêt sur dix ans. À la fin de cette période, le particulier possède une valeur nette après impôt de 57 539 $, contre 62 424 $ pour l’entrepreneur. L’entrepreneur a donc un patrimoine supplémentaire de 4 885 $ par rapport au salarié. Or, selon le cabinet, il manque une donnée cruciale : l’impôt supplémentaire généré par l’entrepreneur, lequel profite à tous les contribuables.

Ainsi, l’entrepreneur s’est certes enrichi de 4 885 $ de plus que le salarié, mais il a aussi payé 6 658 $ d’impôt, à un taux d’imposition de 57,67 %. Les placements supplémentaires initiaux dans la société (les fameux 35 967 $ de différence) ont généré 11 543 $, dont 6 658 $ ont profité au gouvernement. Le document de consultation du gouvernement fédéral ne fait aucune mention de cette donnée, ce que Brassard, Goulet, Yargeau s’explique difficilement. Selon le cabinet, cette donnée démontre pourtant qu’il est faux de prétendre que l’entrepreneur ne paie pas sa juste part d’impôt. D’autant plus que le gouvernement utilise dans ses exemples le taux théorique de 14,40 %, alors que Brassard, Goulet, Yargeau se sert plutôt des vrais taux québécois et ontariens. Avec ces taux, le bénéfice de la situation actuelle pour le gouvernement apparaît encore plus nettement.

PAYER PLUS QUE L’ON GAGNE

Brassard, Goulet, Yargeau va plus loin. Le cabinet rappelle d’abord que l’intention du gouvernement est de récolter l’ensemble de la plus-value de l’entrepreneur. Autrement dit, sur la somme de 11 543 $ provenant des placements supplémentaires initiaux de l’entrepreneur liés à son taux d’imposition favorable, le gouvernement récupérerait 100 % plutôt que 57,67 %. Cependant, en utilisant le taux effectif au Québec, plutôt que le taux théorique proposé par le gouvernement fédéral, l’entrepreneur pourrait en fait se trouver défavorisé par rapport au particulier. En effet, il aurait un taux d’imposition implicite de 105,46 %, ce qui veut dire qu’il paierait davantage que ce qu’il a gagné.

UN FOUILLIS

Le cabinet présente dans son mémoire d’autres implications qu’il juge fâcheuses, notamment l’utilisation du taux d’imposition maximum des particuliers comme taux d’impôt dans la société. Mais ce qui l’inquiète encore plus, c’est la possibilité que les nouvelles règles rendent la fiscalité des sociétés privées si complexe que celle-ci en devienne ingérable.

Ces règles exigeront une conciliation annuelle de la source de financement ayant contribué aux placements passifs de la société. Il faudra alors utiliser trois nouveaux comptes fiscaux à équilibrer annuellement et la multiplicité des situations pratiques existantes rendra le tout fastidieux et exigera de nombreuses heures de travail. Tout cela s’ajoutera aux travaux de conformité déjà très exigeants demandés aux entrepreneurs. Sans parler des nouveaux types de dividende.

Par ailleurs, les placements passifs déjà en main ne seraient apparemment pas touchés par les nouvelles règles, même pour les rendements futurs. Autrement dit, les deux systèmes coexisteront pendant des dizaines d’années. Cela exigera aussi l’ajout d’un quatrième compte aux trois comptes indiqués ci-dessus pour y inclure les placements déjà en main et une évaluation de la valeur marchande de tous les actifs (y compris immobiliers), avec tout ce que cela implique d’énergie et de coût.

Reste à voir si le ministre ira de l’avant avec les réformes annoncées, lesquelles soulèvent la grogne dans le milieu des affaires.

La rédaction