Budget fédéral : quelles conséquences pour vos clients?

Par La rédaction | 28 février 2018 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Pour Conseiller, Karine Précourt, directrice, planification fiscale et successorale à Placements Mackenzie, passe au crible les dispositions de ce nouveau budget qui pourraient toucher vos clients.

Deux grands types de mesures sont proposées, résume-t-elle pour commencer : d’un côté, celles qui concernent les sociétés et qui s’inscrivent dans le cadre de la réforme fiscale plus large lancée l’été dernier par Ottawa; d’autre part, celles qui s’appliqueront aux individus et aux fiducies.

Toutefois, le troisième budget du ministre fédéral des Finances, Bill Morneau, ne comporte aucune grande surprise pour les investisseurs, explique-t-elle, même si certaines mesures les concernent.

POUR LES SOCIÉTÉS ET PROPRIÉTAIRES DE PME

« Les deux grandes propositions qui figurent dans le budget Morneau au chapitre des sociétés s’inscrivent dans la lignée de la réforme fiscale engagée par le gouvernement fédéral en juillet 2017 », souligne Karine Précourt. La première porte sur la réduction du plafond des affaires, tandis que la seconde concerne le remboursement des impôts sur le revenu de placement. Mais il est important de noter que ces mesures s’appliqueront seulement à partir des années d’imposition commençant après 2018, un délai qui permettra aux propriétaires de petites et moyennes entreprises (PME) de s’ajuster, selon la spécialiste.

Aux termes de la première mesure, les patrons de PME qui placent de l’argent dans des sociétés privées sous contrôle canadien (SPCC) bénéficieront, comme c’est déjà le cas aujourd’hui, d’un taux d’imposition avantageux pour la première tranche de 50 000 dollars de revenus annuels. Mais ce taux préférentiel, qui est de 10 % depuis le 1er janvier et passera à 9 % au début de 2019, sera graduellement réduit lorsque la société gagne plus de 50 000 dollars en revenu de placement passif au cours d’une année et sera compris entre 9 % et 15 % jusqu’à concurrence de 150 000 dollars.

Selon le gouvernement, ces changements, qui entreront en vigueur à partir de l’année fiscale 2019, toucheront moins de 3 % des SPCC, soit environ 50 000 sociétés privées au pays. Avec cette mesure, Ottawa désirait notamment s’assurer que les détenteurs d’un portefeuille passif ne bénéficient pas d’un avantage fiscal supérieur à celui des épargnants qui se tournent vers un régime enregistré d’épargne-retraite ou un compte d’épargne libre d’impôt, note La Presse canadienne

La seconde mesure, qui concerne le remboursement des impôts sur le revenu de placement, est elle aussi destinée à rendre le système fiscal plus équitable, d’après ses promoteurs. Aujourd’hui, le fait pour une société de verser des dividendes imposables à ses actionnaires lui donne le droit de récupérer une partie de l’impôt qu’elle a payé sur du revenu de placement et qui a été inclus dans un compte, intitulé « compte d’impôt en main remboursable au titre de dividendes » (IMRTD). Et pour l’instant, les dividendes qu’elle peut verser pour récupérer cet IMRTD sont soit des dividendes déterminés, soit non déterminés, détaille Karine Précourt.

« Or, le gouvernement juge que le régime actuel offre à certains particuliers un avantage en matière de report d’impôt sur le revenu de placement passif et, dans le nouveau budget, il propose donc que, sauf exceptions, le remboursement de l’IMRTD devienne uniquement possible lorsqu’une société verse des dividendes non déterminés à ses actionnaires », précise la spécialiste. La Presse canadienne rapporte que, dans son budget, le ministre Morneau se dit d’ailleurs préoccupé par le fait que plusieurs contribuables participent à des « arrangements abusifs » destinés à contourner les mécanismes de transfert de dividendes.

POUR LES CLIENTS EN GÉNÉRAL

Certaines dispositions prévues dans le budget déposé hier par le ministre Morneau affecteront plus directement vos clients, la plupart ayant une incidence positive sur leur portefeuille.

Régime enregistré d’épargne invalidité

C’est par exemple le cas d’une modification apportée au régime enregistré d’épargne invalidité (REEI). En principe, explique Karine Précourt, on peut être titulaire d’un REEI si on est un parent ayant la garde légale de l’enfant, un tuteur, un curateur ou toute autre entité pouvant représenter légalement le bénéficiaire (et bien sûr si l’on est soi-même le bénéficiaire dans le cas où on a la capacité juridique de se représenter). « Or, dans le cas où un particulier adulte handicapé n’a pas de représentant légal, il existe actuellement une règle fédérale temporaire qui permet à un membre de la famille admissible de devenir titulaire du REEI. Et le budget prévoit que cette mesure sera prolongée pour cinq ans, c’est-à-dire jusqu’en 2023. »

Régime de rentes du Québec

Le budget prévoit aussi une mesure concernant la déductibilité des cotisations faites par un employé au Régime de rentes du Québec (RRQ). En novembre dernier, le gouvernement québécois avait déposé son projet de loi 149 visant à harmoniser le RRQ au Régime de pensions du Canada (RPC). Parmi les changements alors annoncés figurait une bonification des cotisations au RRQ tant pour l’employé que pour l’employeur. « Le budget fédéral, lui, propose de modifier la loi, et les employés qui effectuent des cotisations bonifiées au RRQ pourront donc désormais déduire ces montants de leurs revenus », relève Karine Précourt. Celle-ci fait remarquer que cette disposition existait déjà à l’échelle provinciale, et que la proposition d’Ottawa permet donc d’uniformiser le système. À noter que cette mesure s’appliquera à compter de l’année d’imposition 2019.

Allocation canadienne pour enfants

La Presse canadienne rapporte qu’Ottawa a par ailleurs décidé d’indexer, à compter du 1er juillet, les prestations de l’Allocation canadienne pour enfants (ACE), ce qui, d’après les données publiées dans le budget, permettra aux familles de se partager 5,6 milliards de dollars d’ici à 2022-2023. Concrètement, en 2017-2018, une mère monoparentale avec des enfants âgés de moins de 10 ans recevra ainsi 11 125 dollars en prestations, ce qui représente une hausse de 3 535 dollars comparativement à l’ancien système de prestations pour enfants.

Allocation canadienne pour le travail

De même, quelque 300 000 travailleurs à faible revenu supplémentaires seront désormais admissibles à la nouvelle Allocation canadienne pour le travail après que le gouvernement a décidé d’ouvrir à un plus grand nombre de prestataires ce crédit d’impôt remboursable autrefois nommé Prestation fiscale pour le revenu de travail. Selon la Presse canadienne, une enveloppe supplémentaire d’environ un milliard sera consacrée à ce programme en 2019, ce qui pourrait bénéficier à près de 70 000 personnes. Cette allocation permet aux travailleurs à faible revenu de bénéficier d’une prestation dans le but de les inciter à demeurer sur le marché du travail.

Crédit d’impôt pour frais médicaux

Le gouvernement a en outre ajouté certaines dépenses admissibles dans le cadre du crédit d’impôt pour frais médicaux, note Karine Précourt. Ainsi, un particulier ayant besoin d’un chien pour l’aider à gérer certaines pathologies, notamment le trouble de stress post-traumatique, pourra désormais déduire ces frais de sa déclaration de revenus. Cette disposition entrera en vigueur dès l’année d’imposition 2018.

« Les conseillers vont maintenant devoir parler du détail de ces mesures avec leurs clients, mais dans l’ensemble, on peut dire que ce budget ne comporte aucune grande nouveauté pour les investisseurs ni pour les professionnels des services financiers », conclut Karine Précourt.

La lutte contre l’évasion et l’évitement fiscal

Dans son budget, le gouvernement fédéral assure qu’il poursuivra ses efforts pour éliminer les échappatoires fiscales, ce qui pourrait lui permettre de récupérer quelque 2,6 milliards de dollars d’ici à 2022-2023. De plus, il envisage de prendre des mesures afin de limiter la possibilité d’avoir recours à des sociétés privées en matière de planification fiscale, ce qui pourrait lui rapporter jusqu’à 3,4 milliards.

Ottawa annonce également avoir décidé d’octroyer 90,6 millions sur cinq ans à l’Agence du revenu du Canada afin de lui donner davantage de moyens pour combattre l’évasion fiscale et l’évitement fiscal. D’après les estimations gouvernementales, cette mesure devrait permettre de récupérer 354 millions sur cinq ans.

Le gouvernement indique par ailleurs qu’il va renforcer et moderniser le secteur financier canadien et qu’il a l’intention de modifier la Loi sur la Société d’assurance-dépôts du Canada.

Sources : Desjardins, La Presse canadienne.

Les comptables mitigés

Les Comptables professionnels agréés du Canada (CPA Canada) ont également réagi à l’annonce du budget fédéral. S’ils se réjouissent des mesures concernant la lutte contre l’évasion fiscale, ils déplorent que le budget n’offre pas «assez de solutions aux problèmes immédiats qui nuisent à la compétitivité du Canada ».

« Nous évoluons dans une économie mondialisée et devons composer avec une incertitude persistante, comme celle qui découle de la réforme fiscale américaine », a ainsi expliqué Bruce Ball, vice-président, Fiscalité, à CPA Canada.

Selon lui, un examen indépendant et approfondi du régime fiscal serait grandement utile à l’instauration d’un système d’imposition de premier ordre. « Et, du coup, poursuit-il, aiderait à la création d’emplois, attirerait les investissements et favoriserait la croissance, ce dont profiteraient tous les Canadiens. »

La rédaction