MRCC 2 : Transparence sélective

Par Ronald McKenzie | 17 juin 2015 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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En braquant les projecteurs sur la rémunération des représentants, le Modèle de relation client-conseiller – Phase 2 est préjudiciable au conseil indépendant.

Malgré ses appels répétés à la prudence, l’industrie des services financiers devra se résigner : les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) iront de l’avant avec le Modèle de relation client-conseiller – Phase 2, ou MRCC2. Et ce, peu importe les conséquences sur le conseil indépendant.

Cela veut dire que, à compter de juillet 2016, vos clients devront recevoir :

Un relevé annuel de l’ensemble des frais qui leur sont facturés, y compris toutes les commissions de suivi que vous avez touchées.

Un rapport annuel sur le rendement de chacun des comptes, comprenant le taux de rendement total annualisé, accompagné de tableaux, de graphiques, de notes explicatives et d’une définition de ce qu’est le taux de rendement total.

Présenté de cette façon, cela paraît simple, mais c’est pourtant un défi technologique considérable. «Les maisons de fonds communs ont déployé des efforts très importants pour réussir à produire les données exigées par le législateur, dit Maxime Gauthier, chef de la conformité à Mérici Services Financiers. Maintenant, nous devons voir si nos logiciels de back-office pourront transformer ces données pour arriver au résultat auquel s’attendent les autorités.»

La tâche est si importante que l’Association canadienne du commerce des valeurs mobilières (ACCVM) a demandé à la fin de 2014 aux ACVM de reporter en 2017 la date de mise en œuvre du MRCC2, de façon à ce que les premiers rapports sur le rendement et les frais soient transmis aux clients en janvier 2018. Au moment de mettre sous presse, on attendait la réponse des ACVM.

2016

Année à compter de laquelle les clients devront recevoir un relevé annuel de l’ensemble des frais qui leur sont facturés, y compris toutes les commissions de suivi.

UN PRÉJUDICE POUR LES CONSEILLERS INDÉPENDANTS

Les contraintes techniques sont une chose, mais il y a aussi les impacts sur la pratique des conseillers indépendants. «Le MRCC2 ne met l’accent que sur les commissions. Nous devrons divulguer notre rémunération. Mais qu’arrivera-t-il avec la distribution des fonds maison dans les banques et les caisses ? Et les petites sociétés de fonds communs qui vendent leurs produits sans l’intermédiaire d’un tiers ? Ces gens-là peuvent ne pas verser de commissions. Ça ne les empêche pas de faire des profits via les frais de gestion. Or, ils n’auront pas à indiquer leurs frais sur les relevés annuels. Ça crée un grand préjudice à notre endroit», accuse Flavio Vani, président de l’Association professionnelle des conseillers en services financiers (APCSF).

« Les clients doivent comprendre ce qu’ils achètent et combien ça leur coûte. Cela leur permettra d’apprécier s’ils en ont pour leur argent ou non.  »

Carmen Crépin

Sylvain Théberge, directeur des relations médias à l’Autorité des marchés financiers, précise que la nouvelle obligation d’un rapport annuel sur les frais et les autres formes de rémunération «s’applique à tous les courtiers et conseillers (gestionnaire de portefeuille) inscrits», peu importe pour qui ils travaillent.

Ce qui va apparaître dans les relevés annuels sur les frais, ajoute M. Théberge, «c’est le montant des commissions versées au courtier par le gestionnaire de fonds d’investissement, et non le montant de la partie qui peut être remise au représentant par le courtier». Cette affirmation est surprenante. En effet, dans l’exemple de relevé que proposent les ACVM, les frais qui sont affichés concernent spécifiquement les comptes des clients. Pour ce qui est des commissions de suivi, par exemple, on peut lire : «Au cours de l’exercice, nous avons reçu des commissions de suivi de 286 $ sur les titres d’organismes de placement collectif qui étaient dans votre compte.»

C’est ce qui fait réagir M. Vani. Les relevés annuels du MRCC2, insiste-t-il, ne prévoient pas la divulgation des frais de gestion que perçoivent les sociétés de fonds communs (voir l’encadré). Or, ces frais englobent notamment la rémunération des gestionnaires de fonds. À quelle hauteur ? Les épargnants ne le sauront pas, parce que cette information n’apparaîtra pas sur ces relevés.

L’injustice que dénonce M. Vani viendra lorsque les commissions de suivi seront affichées tous azimuts en dollars. Il n’est pas le seul à se préoccuper de cette question. «Les conseillers [indépendants] vont être pris en chasse par leurs concurrents, les consommateurs et les médias», anticipe Fabien Major, blogueur financier et président de Major Gestion Privée.

EN AVOIR POUR SON ARGENT

Pourquoi les autorités vouent-elles les commissions de suivi aux gémonies ? Parce qu’elles appliquent une vision consumériste au conseil financier. À leurs yeux, les épargnants sont des cibles faciles pour les représentants intéressés uniquement à vendre les fonds les plus payants pour eux. «Nous nous demandons si les frais actuels des [fonds communs] ne soulèvent pas de questions en matière de protection des investisseurs qui demanderaient une plus grande attention de notre part», s’interrogeaient les ACVM en 2012.

«Notre position repose sur les meilleures pratiques, sur la transparence. Les clients doivent comprendre ce qu’ils achètent et combien ça leur coûte. Cela leur permettra d’apprécier s’ils en ont pour leur argent ou non», dit Carmen Crépin, vice-présidente, Québec, de l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM).

La transparence, certes. Mais si les consommateurs ne reçoivent pas les mêmes données financières lorsqu’ils achètent des fonds communs dans une banque ou une caisse, comme le déplore M. Vani, n’y a-t-il pas deux poids, deux mesures ? «Si des informations importantes ne sont pas divulguées aux clients, ils ont des recours», indique Mme Crépin.

Le bal des données chiffrées

« NOUS SOMMES D’ACCORD pour que tous les frais apparaissent sur le relevé annuel prévu par le MRCC 2. Malheureusement, seules les commissions des représentants vont y figurer. C’est un grand préjudice pour nous », déplore Flavio Vani, président de l’Association professionnelle des conseillers en services financiers.

Afin d’illustrer son inquiétude, il donne l’exemple d’un épargnant qui achète un fonds d’actions dont le ratio de frais de gestion est de 2,50 %. Ce ratio peut se ventiler ainsi :

Gestion et exploitation 1,49 %
Commission de suivi 0,75 %
Taxe (TVH) 0,26 %

Pour un placement hypothétique de 25 000 $, les frais en dollars seraient de :

Gestion et exploitation 372,50 $
Commission de suivi 187,50 $
Taxe (TVH) 65,00 $

Or, sur son relevé annuel des frais, l’épargnant ne verrait que la somme de 187,50 $, soit la rémunération de son conseiller. Le montant des frais de gestion et d’exploitation, de même que celui de la taxe, y seraient absents. « Les grandes institutions financières qui manufacturent leurs propres fonds qu’elles écoulent dans leurs succursales pourraient être tentées d’ajuster les frais de gestion de manière à faire diminuer le taux des commissions de suivi », croit M. Vani. Cela aurait pour effet de rendre les produits maisons moins cher, du moins en apparence. « Les consommateurs vont se faire berner, et les conseillers autonomes seront perdants. »

QUI N’AIME PAS LES COMMISSIONS DE SUIVI?

En 2013, durant la table ronde sur la rémunération organisée par Conseiller, plusieurs participants disaient craindre un exode de leur clientèle vers les grandes institutions financières. Selon eux, ces dernières devraient faire leurs choux gras de la disparition des commissions de suivi. Pourtant, lors des consultations publiques sur la question, les banques et le Mouvement Desjardins ont, au contraire, plaidé pour le maintien des commissions de suivi. En outre, ils se sont opposés à ce qu’on les mette en évidence par rapport aux autres frais des fonds communs.

«Il faut éviter de restreindre les commissions de suivi aux services-conseils et à la rémunération des conseillers. Elles concernent aussi l’analyse du dossier du client à intervalles réguliers par le conseiller (sans que le client ne le constate nécessairement), la supervision par le responsable de conformité et les frais liés à l’utilisation de la plateforme technologique requise pour vendre et administrer les fonds et les comptes des clients», écrivait le Mouvement Desjardins à l’époque.

Quant aux possibles conflits d’intérêts, «cette préoccupation nous semble peu fondée puisque les commissions de suivi sur le marché canadien sont largement harmonisées», ajoutait Desjardins. Même son de cloche de la part de la Banque Royale, de la Banque de Montréal et de la Banque CIBC, entre autres.

« Les conseillers vont être pris en chasse par leurs concurrents, les consommateurs et les médias. »

Fabien Major

Qui, donc, n’aime pas les commissions de suivi? Les organisations de défense des épargnants, tels que le MÉDAC au Québec, mais surtout FAIR Canada et le Centre canadien des politiques alternatives, qui exercent des pressions constantes sur les ACVM. Ces deux entités ont leurs entrées dans les médias et les officines gouvernementales. Difficile d’ignorer leurs revendications.

Prenons FAIR Canada. Au début de 2015, lorsque l’Association canadienne pour le commerce des valeurs mobilières (ACCVM) a demandé aux autorités de reporter d’une année l’implantation du MRCC2, ces dernières ont invité FAIR Canada à donner son avis. Sans surprise, elle s’est opposée à la demande de l’ACCVM.

Pourquoi avoir sollicité son opinion ? «Parce qu’il s’agit d’un organisme national réputé qui représente les intérêts des investisseurs. La décision de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario et de l’OCRCVM de participer au financement de FAIR en témoigne à cet égard», dit Kim Lachapelle, secrétaire générale des ACVM, dans un courriel envoyé à Conseiller. Ce financement de FAIR Canada par des organismes de réglementation n’est pas anodin. En effet, FAIR Canada a fait de l’abolition des commissions de suivi, entre autres, la troisième priorité de son plan stratégique 2014-2017.

RECOURS JURIDIQUES EN VUE

Très inquiète des répercussions qu’aura le MRCC2 sur le conseil indépendant, l’APCSF n’entend pas en rester là. En plus de continuer à faire des représentations auprès du ministre québécois des Finances, l’association dit envisager des recours légaux pour défendre les droits des conseillers. «Les autorités ne peuvent pas mettre notre travail en danger», tonne M. Vani.


• Ce texte est paru dans l’édition de juin 2015 de Conseiller

Ronald McKenzie