Pérennité des concours de vente : la faute au lobby de l’assurance?

Par Christine Bouthillier | 17 mars 2016 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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L’avocate en valeurs mobilières Glorianne Stromberg a peine à y croire. Plus de 20 ans après ses célèbres rapports dénonçant certaines pratiques commerciales du secteur des fonds communs, dont les concours de vente, voilà que la Great-West et Canada-Vie décident d’y mettre fin.

Si le secteur des fonds communs a procédé à l’abolition de ces concours quelques années après les révélations de Me Stromberg, il s’agit d’une première dans le domaine de l’assurance. Conseiller a recueilli les réactions de l’avocate, aujourd’hui retraitée, sur ce geste inédit.

Conseiller : Comment avez-vous réagi à l’annonce de la nouvelle?

Glorianne Stromberg : J’étais très heureuse. Je me demande toutefois pourquoi la London Life n’a pas encore adopté la même politique, puisqu’elle fait aussi partie du réseau de distribution de la Great-West. Je crains que les conseillers ne choisissent ainsi des produits de la London Life au lieu de ceux de la Great-West et de Canada-Vie.

[NDLR : La Great-West a indiqué à Conseiller être toujours en train d’examiner quelle sera sa stratégie relativement à la London Life.]

C : Pourquoi cela a pris autant de temps avant que des assureurs ne les abolissent?

GS : Le lobby de l’industrie de l’assurance est puissant, plus que les intérêts des investisseurs, il faut croire…

Pourtant, plusieurs représentants voyaient les effets nocifs de ces concours, mais n’avaient pas d’autre choix que de suivre le mouvement pour demeurer compétitifs. Ils avaient peur de perdre des parts de marché s’ils évitaient ces concours. C’est aussi pour cela que ça a été si long avant qu’un assureur n’y mette fin.

Glorianne Stromberg.

Glorianne Stromberg

« LA FACTURE EST REFILÉE AUX INVESTISSEURS »

C : Pourquoi vous y opposez-vous?

GS : Ils représentent un tel conflit d’intérêt! On ne sait jamais ce qui influence la décision du conseiller lorsqu’il suggère un produit. Et ils rendent l’investissement du client plus onéreux. Les voyages que remportent les gagnants de ces concours ne sont pas gratuits et la facture est refilée aux investisseurs dans le prix du produit. Le client n’a aucune idée de ce qui lui en coûte réellement, directement ou indirectement.

Le concours est une technique de marketing bien connue. Elle profite de la nature humaine : lorsqu’on sait qu’on peut gagner quelque chose, on fera n’importe quoi pour avoir sa chance.

C : À votre avis, pourquoi la Great-West a-t-elle décidé d’y mettre un terme?

GS : Très certainement à cause de la surveillance accrue des régulateurs à propos des frais. Ils se concentrent davantage sur les intérêts du client et mettent l’emphase sur la transparence.

L’industrie de l’assurance voit venir le MRCC 2 et son obligation de divulgation des frais et craint qu’une telle réglementation ne lui soit éventuellement appliquée. C’est bien que l’impulsion [de la fin des concours de vente] vienne de l’industrie, même si elle est générée par la peur d’un resserrement réglementaire.

Certains représentants seront peut-être fâchés, mais ils doivent comprendre que les choses doivent changer et qu’il est mieux de s’adapter avant d’être forcé de le faire.

C : Croyez-vous que d’autres assureurs emboîteront le pas?

GS : J’espère. C’est un changement majeur que viennent d’apporter la Great-West et Canada-Vie. Est-ce que d’autres le feront aussi? Nous devrons attendre et observer la suite.

C : Comment régit-on les concours de vente ailleurs dans le monde?

GS : Ils ont lieu partout. De plus en plus, on tend à les réglementer. Je constate une compréhension grandissante du fait que tout ce qui peut produire un conflit d’intérêt n’est pas acceptable. Par exemple, aux États-Unis, l’emphase est mise sur les obligations fiduciaires des représentants. Les conflits d’intérêts doivent ainsi être abolis, pas juste gérés.

C : Quelle alternative peut-on apporter aux concours de vente?

GS : La qualité d’un produit devrait être suffisante pour convaincre un représentant que non seulement il convient à son client, mais qu’il est le meilleur investissement pour lui. Cela inclut l’abolition de tout coût superflu.

Les clients recherchent actuellement des investissements à faible coût et posent de plus en plus de questions. Pour rester dans la course, les assureurs n’auront d’autre choix que d’abolir ces concours.

À propos de Glorianne Stromberg

  • Avocate en valeurs mobilières
  • Auteure de Regulatory Strategies for the Mid-90sRecommandations for Regulating Investment Funds in Canada (1995), qui a mené à la création de l’Association canadienne des courtiers de fonds mutuels, Regulation and Supervision of Investment Funds in the New Financial Landscape – A Canadian Perspective (1998) et Investment Funds in Canada and Consumer Protection – Strategies for the Millenium (1998)
  • Commissaire de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (1991-1998)
  • Présidente du Conseil des experts-comptables de la province de l’Ontario (2006-2009)
  • Ancienne membre du conseil d’administration de Fair Canada

Christine Bouthillier

Titulaire d’un baccalauréat en science politique et d’une maîtrise en communication de l’Université du Québec à Montréal, Christine Bouthillier est journaliste depuis 2007. Elle a débuté sa carrière dans différents hebdomadaires de la Montérégie comme journaliste, puis comme rédactrice en chef. Elle a ensuite fait le saut du côté des quotidiens. Elle a ainsi été journaliste au Journal de Montréal et directrice adjointe à l’information du journal 24 Heures. Elle travaille à Conseiller depuis 2014. Elle y est entrée comme rédactrice en chef adjointe au web, puis est devenue directrice principale de contenu de la marque (web et papier) en 2017, poste qu’elle occupe encore aujourd’hui.