« Qui a intérêt à éliminer la Chambre? »

Par La rédaction | 20 septembre 2017 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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« Manquements en matière de reddition de compte, processus de nomination défaillant, irrégularités en matière de contrôle des dépenses »… Un article publié hier par Le Journal de Montréal et mettant en cause le fonctionnement de la Chambre de la sécurité financière (CSF) fait réagir.

Ce texte est basé sur le contenu d’un rapport publié le 17 août par l’Autorité des marchés financiers (AMF). Dans ce document d’une quarantaine de pages, l’AMF fait état de plusieurs « irrégularités » et « manquements » constatés à l’occasion de sa dernière inspection. Celle-ci concerne la période allant du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2014, mais, selon l’organisme, ses conclusions demeurent valables car « elles tiennent compte des modifications apportées depuis par la Chambre. »

Le rapport contient en outre 15 recommandations destinées à améliorer différents aspects des finances, de la gouvernance, des enquêtes et de la formation continue de la Chambre, dont trois ont un degré de priorité élevé, car elles renvoient à des constats « importants, répétitifs ou en lien avec le cadre législatif applicable » (voir l’encadré).

« CORRIGER LES PERCEPTIONS ERRONÉES »

Dans un communiqué publié hier en début de soirée, la CSF se dit « étonnée de la publication (…) d’un texte dans le Journal de Montréal sans même que le journaliste n’ait fait de démarches de vérification auprès de l’organisation », ajoutant dans la foulée qu’« il importe de corriger les perceptions que véhicule l’article. »

Tout d’abord, souligne-t-elle, le rapport auquel renvoie le journal, bien que dévoilé en août dernier, concerne les années 2011 à 2014 et, « bien avant » son dépôt, elle a « entrepris plusieurs changements dans sa gouvernance, dans une logique d’amélioration continue ».

Le communiqué relève également que « des délais inhabituels dans le processus d’inspection de la CSF, mis en lumière par la vérificatrice générale du Québec dans son récent rapport à l’endroit de l’AMF, font étrangement en sorte que le dépôt du rapport coïncide avec le moment même où le ministre des Finances s’apprête à déposer un projet de loi qui pourrait entraîner [sa] disparition et le transfert de certaines de ses responsabilités à l’Autorité, tel qu’annoncé déjà depuis plusieurs mois ».

« RIEN NE JUSTIFIE LA SUPPRESSION DE LA CSF »

La Chambre contre-attaque, soulignant que « le véritable débat à l’heure actuelle devrait plutôt porter sur la disparition d’un organisme professionnel voué à la protection du public », et elle ajoute que « rien dans ce rapport ne justifie la remise en question » de son existence. Elle rappelle par ailleurs que sa mission est de surveiller la profession et qu’« elle occupe, dans la pratique, des fonctions qui s’apparentent à celles d’un d’ordre professionnel ».

Par conséquent, poursuit-elle, « en l’éliminant, on élimine l’encadrement de 32 000 professionnels qui conseillent et offrent des produits aux consommateurs en matière de planification financière, d’assurance vie et de fonds communs de placement ».

« Vouée à la protection des épargnants », la CSF élabore également « des formations adaptées aux professionnels pour voir à l’excellence de leur pratique ». Selon la Chambre, les compétences acquises ainsi que l’expérience accumulée au fil des ans auprès des professionnels ne sont pas transférables.

Sa conclusion? « Nous croyons plus que jamais que le public a absolument besoin d’un organisme professionnel dont la mission est de veiller à la protection du public. L’indépendance de la CSF (…) est depuis près de 20 ans une formule gagnante pour tous. Elle est un filet de protection supplémentaire pour le public et fait le contrepoids aux différents intérêts qui s’affrontent dans le secteur du conseil financier. »

« PRESSIONS ET LOBBYISME »

Flavio Vani, président de l’Association professionnelle des conseillers en services financiers (APCSF), réagit lui aussi à la publication de l’article en rappelant à Conseiller que « la Chambre est nécessaire parce qu’elle est un organisme de proximité pour les professionnels », ajoutant même que celle-ci « devrait avoir davantage de pouvoir ». « Son travail a été exemplaire au cours des années, estime-t-il. Sans un organisme qui ne soit pas soumis à la pression des lobbyistes, le public sera perdant. »

Selon lui, l’AMF est soumise à des pressions et à du lobbyisme de la part de l’industrie. « Comment supervisera-t-on les employés des banques qui détiennent un permis de fonds communs mais travaillent aussi au comptoir pour servir la clientèle? Quelle juridiction contrôlera les banques, au niveau fédéral, et les valeurs mobilières, au provincial? On risque d’aboutir à un croisement de l’information dans les institutions de dépôts et, en fin de compte, on ignore qui surveillera les conflits d’intérêts en matière de recommandations de produits faites aux clients », s’inquiète le patron de l’APCSF.

« LA CHAMBRE EST UN ATOUT, PAS UN ADVERSAIRE »

Président de Groupe financier Multicourtage et ancien président de l’Association des intermédiaires en assurances de personnes du Québec (AIAPQ), Guy Duhaime se dit pour sa part « étonné » de voir resurgir « un rapport sur certaines vieilles activités de la Chambre. » « Je suis surpris de voir les autorités tenter de rabaisser tout ce qui se fait en dehors de leur territoire, commente le planificateur financier, qui se demande « pourquoi ne pas concevoir le fait que la CSF représente un atout et non un adversaire? »

Quant au moment choisi pour remettre sur le tapis ces « manquements » de la CSF, il estime que « cela concorde avec la campagne de sensibilisation de la Chambre auprès des ministres et députés en vue du prochain projet de Loi sur la distribution des produits et services financiers ». « Qui a donc mis les journalistes sur cette piste, là, maintenant? Certainement des personnes qui espèrent en retirer un bénéfice », croit-il. « Mon questionnement est plutôt de me demander qui a intérêt à éliminer la Chambre. Il est connu depuis longtemps que les grandes institutions financières et bancaires aiment mieux faire fi d’un tel organisme. Est-ce que quelqu’un à l’AMF veut que celle-ci prenne les mandats de la CSF? Spéculation ou réalité? Là est la question! » conclut-t-il.

La réponse se trouve peut-être dans l’article du JdeM, qui rappelle que « les heures de la Chambre de la sécurité financière du Québec semblent comptées, le gouvernement de Philippe Couillard ayant l’intention de présenter un projet de loi pour l’abolir, cet automne ».

Que disent l’AMF et la CSF dans le rapport?

Dans son rapport, l’Autorité fait 15 recommandations à la direction de la CSF, dont trois de niveau élevé et 12 de priorité moyenne. Les trois « priorités élevées », qui concernent « des constats importants, répétitifs ou en lien avec le cadre législatif applicable », nécessitent que des « mesures correctives » soient prises « dans un délai maximal de six mois », souligne l’AMF.

GOUVERNANCE

1) L’AMF recommande à la Chambre de « prendre les mesures nécessaires afin que le conseil d’administration documente davantage ses réflexions en matière de pratiques de rétribution des administrateurs et au sujet de son mode de fonctionnement », et qu’il « assure un suivi périodique de ces réflexions en fonction de l’évolution des bonnes pratiques de gouvernance ».

La CSF répond notamment que « l’amélioration et la qualité de sa gouvernance, en raison de l’importance de son rôle et de sa mission de protection du public, sont un souci constant au cœur de ses priorités ». Elle précise que depuis 2015, elle a apporté « des changements importants », tant à sa structure de gouvernance qu’à celle de sa haute direction.

« La Chambre, via son comité de gouvernance composé notamment de nouveaux administrateurs indépendants, a amorcé depuis quelques temps un exercice de révision en profondeur de ses règles de gouvernance. Cette révision, qui s’inscrit dans un processus d’amélioration continue, vise à s’assurer qu’elle évolue selon les standards attendus en fonction de la mission de protection du public qui lui est confiée », ajoute la CSF.

2) L’AMF recommande à la Chambre de « prendre les mesures nécessaires pour que le président [de son] conseil d’administration soit nommé en fonction de l’encadrement législatif applicable ».

La CSF répond qu’elle « accorde une très grande importance au fait que le président du CA soit nommé en fonction de l’encadrement législatif applicable ». Elle ajoute que « bien que l’interprétation des règles applicables rendue a posteriori par l’Autorité (…) diffère [de la sienne] », elle « n’a aucune objection à faire adopter une résolution par son CA conformément à l’interprétation de l’Autorité ». Elle estime toutefois qu’« à l’époque, elle a agi de bonne foi, conformément à une interprétation raisonnable de ses règles, à la volonté de son CA et toujours avec le souci de respecter la loi ».

DÉONTOLOGIE

3) L’AMF recommande à la Chambre de « prendre les mesures nécessaires afin que le Règlement sur la déontologie [de son] personnel soit appliqué auprès des enquêteurs afin de prévenir les apparences de conflits d’intérêts ».

La CSF répond que ses enquêteurs « sont assujettis à l’application des règles qui régissent la conduite de l’ensemble de [son] personnel, dont celles qui encadrent les situations ou apparences de conflits d’intérêts, et ce afin d’en prévenir les effets préjudiciables ». Toutefois, elle ajoute qu’elle « verra à élaborer des règles de déontologie plus spécifiques pour les enquêteurs. » Conclusion, « la CSF se doit de mieux circonscrire les situations susceptibles de susciter des conflits d’intérêts apparents ou réels et agir de manière proactive en prenant les mesures nécessaires en pratique pour minimiser ces risques », résume Finance et Investissement.

La rédaction