Un concours de vente de Desjardins fait tiquer

Par Christine Bouthillier | 23 janvier 2017 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
7 minutes de lecture
kritchanut / 123RF

Alors que Desjardins Assurances annonçait en avril 2016 qu’elle compte mettre fin aux concours de vente avec un voyage à gagner, elle en lançait un en fin d’année… avec des prix en argent à la clef.

Le Sprint REER a débuté le 1er décembre 2016 et se poursuivra jusqu’au 31 mars prochain. Il récompensera les 50 conseillers et les cinq recrues (engagées après le 1er janvier 2013 et sans expérience préalable) ayant obtenu les meilleurs volumes de ventes (minimalement 300 000 $ pour les conseillers et 150 000 $ pour les recrues) pendant cette période.

Le représentant le plus performant recevra 3 000 $, alors que la recrue qui arrivera au premier rang se verra décerner 1 000 $. Le concours vise les conseillers partenaires du réseau SFL/DSFRI, qui doivent être sous contrat avec Desjardins Sécurité financière au moment de la remise du prix.

Seuls certains produits sont admissibles au concours : fonds de placement garanti DSF (DSF FPG), placements à terme liés aux marchés (le nouveau produit Garantie Avantage, dont Desjardins fait abondamment la promotion dans le document du concours remis aux conseillers), placements à terme et rentes.

« C’EST TRÈS DANGEREUX »

Outre Desjardins, plusieurs assureurs, dont Great-West, RBC et BMO, ont annoncé en 2016 leur intention de mettre fin aux concours de vente avec un voyage à la clef. La plupart d’entre eux ont indiqué suivre les recommandations de l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP) pour justifier leur décision.

Cette dernière mentionnait notamment qu’il pouvait y avoir apparence de conflits d’intérêts et suggérait aux assureurs d’apporter des changements aux concours. C’est d’ailleurs ce que de nombreux acteurs de l’industrie leur reprochaient, craignant qu’ils n’influencent le conseiller lorsqu’il recommande un produit.

« Lorsque les concours sont liés à la vente de certains produits, c’est très dangereux, lance justement Michel Mailloux, expert en conformité financière et éthicien, en entrevue avec Conseiller. Il y a peut-être des produits similaires qui coûtent moins cher à l’extérieur. […] Il y a un risque qu’on ne tienne pas compte des besoins des clients. »

« On vient d’introduire dans l’acte de vente une motivation qui n’a rien à voir avec le client, ajoute Normand Caron, responsable de la formation au Mouvement d’éducation et de défense des actionnaires (MÉDAC). Cela crée une pression qui peut amener le conseiller à tourner les coins ronds et recommander des produits qui ne conviennent pas au client ou dont il ne veut pas. On l’a trop vu dans le passé. »

Il souligne que ces concours ont d’ailleurs été abolis pour ces raisons il y a près de 20 ans dans le domaine des valeurs mobilières.

Pour Michel Mailloux comme Normand Caron, les concours offrant des prix en argent sont du même acabit que ceux qui décernent des voyages.

« Si on offrait une reconnaissance moindre, un cadeau de 50 $, par exemple, ça ne serait pas la même chose. Dans la mesure où l’on donne 3 000 $, la valeur est la même qu’un voyage », souligne l’éthicien.

De plus, ce type de concours pourrait inciter au gonflement des opérations d’un compte (churning), qui consiste à déplacer les avoirs d’un client d’un produit à un autre sans réel besoin, indique M. Mailloux. Une manœuvre condamnée par la loi.

De son côté, Daniel Guillemette estime que le concours Sprint REER est même pire que ceux qui offrent des voyages, car il fait la promotion de produits spécifiques, plus spécialement Garantie Avantage.

« Considérant la prise de position claire du régulateur qui y voit un risque de manque d’objectivité des conseillers, les assureurs et institutions qui continueront de faire la promotion de leurs produits au moyen de concours ou de campagnes de vente seront les plus grands responsables de l’intensification de l’encadrement que les conseillers devront subir », juge le président de Diversico, invitant les représentants autonomes au boycott de ces concours.

Quant aux conseillers employés, « ce sera malheureusement plus difficile pour eux, puisqu’ils pourraient mettre leur emploi en péril », conclut-il.

Dans le cas de Sprint REER, les conseillers qui en font la demande peuvent toutefois être exclus du concours.

NOCIFS PAR NATURE, LES CONCOURS?

Cependant, Michel Mailloux ne s’oppose pas aux concours en tant que tels.

« Ce n’est pas la nature d’un concours qui est mauvaise. Le problème, c’est la gestion derrière », avance-t-il.

Par exemple, une compétition lors de la période des REER qui ne ciblerait aucun produit particulier, mais ne ferait que récompenser le conseiller qui a déniché le plus de clients et de dépôts serait acceptable à ses yeux.

Normand Caron est d’un autre avis.

« Nous sommes contre toute forme de récompense en ce domaine. […] Il ne faut pas inciter le représentant à briser la relation de confiance qu’il a avec son client. Ce n’est pas une question de montant, mais plutôt une question de principe », souligne-t-il.

Il propose plutôt de tenir des galas de reconnaissance pour souligner la bonne performance des employés au lieu d’utiliser des incitatifs monétaires.

Quant à Daniel Guillemette, il estime que les seuls concours qui devraient demeurer en place sont justement ceux avec un voyage à la clé.

« Les campagnes [qui ciblent un produit en particulier, comme celles pendant la période des REER], qu’on retrouve souvent en institution, exploitent le fait que leur fenêtre d’opportunité s’ouvre et se referme rapidement. Est-il possible qu’un client se fasse pousser entre les dents un prêt REER qu’il pourrait avoir de la difficulté à rembourser? Poser la question, c’est y répondre! » mentionnait-il dans un billet publié par Conseiller.

Comme ils s’étalent généralement sur près de deux ans, les concours offrant des voyages seraient moins susceptibles de causer ce genre de biais, estime le président de Diversico. Il exhorte les autorités à interdire tous les autres types d’incitatifs.

DESJARDINS ET L’ACCAP EN RÉFLEXION

Les incitatifs sous forme de voyage prendront fin en 2018 chez Desjardins Assurances, qui a décidé en avril 2016 de suivre les recommandations de l’ACCAP en ce sens. Pourquoi alors lancer celui-ci avec des prix en argent?

« Le concours Sprint REER, qui existe depuis quelques années, vise à récompenser non pas les volumes de ventes pour un seul produit, mais bien un éventail de produits de Desjardins conçus pour répondre à l’ensemble des besoins des clients », affirme Valérie Lamarre, porte-parole de Desjardins, dans un courriel à Conseiller.

Quelle différence voit Desjardins entre les concours avec voyage et ceux qui donnent de l’argent? Que pense la coopérative des problèmes éthiques soulevés?

« Un groupe de travail de l’ACCAP continue de se pencher sur la relation avec les réseaux de distribution et ses travaux pourraient inclure des réflexions sur la rémunération », se contente de répondre Mme Lamarre.

Elle indique que Desjardins étudie toujours la question des concours, reste à l’affût des travaux de l’ACCAP et réfléchit aux façons de faire évoluer ses pratiques.

De son côté, l’ACCAP affirme que le comité qui s’était penché sur la question l’an dernier a jugé qu’intervenir sur les concours avec un voyage pour récompense était prioritaire pour réduire l’apparence de conflits d’intérêts, ce qui n’était pas le cas de ceux avec des prix en argent. Sa porte-parole, Suzie Pellerin, n’a pas été en mesure d’expliquer pourquoi.

Ceci dit, elle affirme que lorsque les assureurs élaborent leurs programmes d’incitatifs, ils tiennent toujours compte de l’incidence qu’ils peuvent avoir sur la pertinence du produit vendu.

« Les assureurs appuient fermement les principes en matière de gestion des conflits d’intérêts établis par le Conseil canadien des responsables de la réglementation d’assurance (CCRRA) et les Organismes canadiens de réglementation en assurance (OCRA) et ils s’attendent à ce que les conseillers les respectent », indique-t-elle dans un courriel à Conseiller.

Les principes évoqués sont :

  • les intérêts des consommateurs ont priorité sur ceux des conseillers;
  • les conflits d’intérêts réels et potentiels doivent être communiqués;
  • le produit recommandé doit répondre aux besoins du consommateur.

Quant à la question spécifique des incitatifs monétaires, le comité qui a rédigé les recommandations sur les concours demeure actif et poursuit ses travaux. De nouvelles conclusions viendront, « mais il est actuellement trop tôt pour se prononcer », soutient Mme Pellerin.

Un autre concours chez Industrielle Alliance

Industrielle Alliance vient aussi de lancer un concours qui vise les conseillers partisans des Canadiens de Montréal.

Les 10 représentants autonomes ayant soumis le plus de propositions avec le nouvel outil de vente en ligne Assure&go entre le 1er janvier et le 31 mars pourront assister à un match dans la loge d’Industrielle Alliance avec repas et service de bar complet.

Ce prix représente un déboursé de quelques centaines de dollars par gagnant.

Christine Bouthillier

Titulaire d’un baccalauréat en science politique et d’une maîtrise en communication de l’Université du Québec à Montréal, Christine Bouthillier est journaliste depuis 2007. Elle a débuté sa carrière dans différents hebdomadaires de la Montérégie comme journaliste, puis comme rédactrice en chef. Elle a ensuite fait le saut du côté des quotidiens. Elle a ainsi été journaliste au Journal de Montréal et directrice adjointe à l’information du journal 24 Heures. Elle travaille à Conseiller depuis 2014. Elle y est entrée comme rédactrice en chef adjointe au web, puis est devenue directrice principale de contenu de la marque (web et papier) en 2017, poste qu’elle occupe encore aujourd’hui.