Vente de produits d’assurance sur Internet : un non-sens!

Par Gino Savard | 14 septembre 2015 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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La profession de conseiller est à la veille de grands bouleversements. Le Rapport sur l’application de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (projet 188), publié en juin dernier par le ministère des Finances du Québec, prévoit d’importants changements. L’un d’eux concerne la vente de produits d’assurances sur Internet et n’augure rien de bon pour les Québécois, qui risquent de prendre des décisions peu judicieuses en la matière.

LES LIMITES DE LA VENTE EN LIGNE

Soyons francs, tout le monde achète en ligne en 2015! Comme bien d’autres, je consomme certains produits sur Internet. Mais soyons logiques aussi : certains produits et services requièrent de l’aide et des recommandations que seuls des professionnels qualifiés peuvent apporter, en tenant compte de facteurs qui nécessitent du jugement et une certaine analyse. On ne peut acheter de l’assurance comme on achète, par exemple, le dernier livre de Guillaume Musso, un téléviseur haute définition, des billets pour un spectacle à Las Vegas ou même une voiture électrique.

Très peu de Canadiens ont actuellement les connaissances et les compétences nécessaires sur le plan financier pour prendre seuls les décisions concernant leur protection. En tant que professionnels, nous ne pouvons raisonnablement les laisser prendre en main le choix du bon montant et du bon produit sans aucun conseil. C’est immoral! La souscription à des polices d’assurance ne se prête absolument pas à la vente sur Internet, quelle que soit la situation! Il est primordial et urgent de se questionner et de mettre en place une stratégie pour éviter les dommages, avant qu’il ne soit trop tard.

DES ASSURANCES SANS RÉELLE PROTECTION

Pour faciliter la transition vers la vente en ligne, les compagnies d’assurance pourraient se limiter à offrir des produits très simples comme des polices d’assurance temporaires non renouvelables, ni transformables. Mais des produits simples – voire simplistes! – conduisent forcément à une moins bonne protection. Ça coûtera moins cher, certes, mais ça ne vaudra pas cher non plus!

Comment les citoyens parviendront-ils à saisir le risque lié à l’acquisition d’un produit qui ne peut être renouvelé ni transformé? Comment parviendront-ils à le comparer à ce qu’ils ont déjà ou à ce qui est déjà disponible sur le marché? Les conseillers passent des heures avec chaque client à établir leurs besoins en assurance. Il n’est pas toujours facile de faire prendre conscience aux gens qu’ils ont besoin d’une assurance vie temporaire avec une couverture de 700 000 $ et non d’une assurance permanente avec une couverture de 50 000 $ et des valeurs de rachat. C’est un travail qui nécessite des calculs et des projections qu’ils ne sont pas en mesure de faire eux-mêmes.

Ils auront un faux sentiment de sécurité en pensant être bien protégés alors qu’ils ne le seront pas. Et nous ne verrons pas apparaître les histoires d’horreur demain. C’est dans 8, 9, 10 ou 15 ans que les gens réaliseront que ce qu’ils ont acheté n’était pas bon et qu’ils ne sont plus assurés… ni assurables!

DEUX POIDS, DEUX MESURES

Bien sûr, nous ne pouvons arrêter la vague. La vente de produits d’assurance en ligne est inévitable. Par contre, nous devrions exiger que ces produits soient exactement les mêmes, au même prix que ceux qui sont déjà disponibles sur le marché. Idéalement, il faudrait qu’ils bénéficient aussi de l’intervention d’un conseiller à un moment ou un autre de la transaction, ne serait-ce que par téléphone.

Il faudrait enfin que les règles imposées aux conseillers suivent la parade. On ne peut accepter que ce soit le free-for-all sur Internet et que les conseillers, de leur côté, soient pris avec tout un bataclan de règles de conformité à respecter, comme la vérification d’identité, les états comparatifs et l’analyse des besoins.

Pourquoi serions-nous contraints, avec raison d’ailleurs, de compléter un état comparatif lorsque nous transformons, modifions ou remplaçons une assurance vie déjà en vigueur, alors que la vente en ligne ne serait pas soumise aux mêmes règles? Pourquoi le client qui a déjà des couvertures pourrait-il tout annuler via Internet sans avoir aucune idée de ce qu’il est en train de faire ni tous les éléments de comparaison nécessaires?

LES CONSEILLERS FACE À DE NOUVEAUX DÉFIS

Nous faisons face à de grands défis. Les conseillers doivent réaliser que la vente d’assurance sur Internet sera très bientôt légale. Dans le contexte actuel de pénurie de conseillers, ces derniers se concentrent vers des gens plus fortunés, ce qui est légitime. Mais si personne ne s’occupe de la petite famille, Internet va s’en charger. À mon avis, les conseillers devraient donc s’occuper de la clientèle familiale ou la confier à un collègue moins expérimenté. Si ces clients ont du service, ils seront moins tentés d’aller en masse vers Internet pour assurer leur protection, et nous dormirons tous beaucoup mieux.

Gino Savard

Gino Savard

Gino-Sébastian Savard est président et associé de MICA Cabinets de services financiers, un agent général de deuxième génération établi à Québec depuis 30 ans et fort d’un réseau de plus de 185 représentants partout en province. Bachelier de l’Université Laval, avec en poche un certificat en planification financière et le titre d’assureur vie agréé, il a su développer en 25 ans de carrière une expertise enviable en assurance dans le secteur corporatif et le développement de marchés avancés. Fervent défenseur de la profession de conseiller, il est engagé de façon importante dans l’industrie pour qu’elle soit reconnue comme un service essentiel à la population. Franc, objectif et accessible, M. Savard est souvent invité à titre de panéliste et sollicité pour ses propos pertinents dans divers médias spécialisés.