Comment un conseiller a fraudé Empire pendant près de 15 ans

Par Suzanne Dansereau | 10 novembre 2016 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Avant même de se faire taper sur les doigts par la Chambre de la sécurité financière avec une première radiation en 2003, Jacques-André Thibault avait fraudé l’assureur Empire pendant une quinzaine d’années, soit entre 1986 et 2001.

À l’issue de deux procès au civil, l’un en Ontario et l’autre au Québec, l’ex-conseiller en sécurité financière a été condamné à verser à Empire-Vie un total de 35,8 millions de dollars pour détournement de fonds.

M. Thibault a recouru à une panoplie inépuisable de stratagèmes pour détourner des fonds et éviter la justice : séduction, complot, mensonges, pots de vin, évasion fiscale, falsification de documents, intimidation, manœuvres dilatoires…

Pendant que les procédures en cour s’éternisaient – la première poursuite a été enregistrée en 2002 et le premier jugement n’a été prononcé qu’en juillet 2011 – J.A. Thibault a pu continuer de sévir dans l’industrie et auprès des consommateurs.

Il a même reçu l’hommage du meilleur vendeur de l’année d’AIG (NDLR aujourd’hui BMO Assurance) pour les exercices 2002 et 2003, avant d’être radié une deuxième fois par la CSF en juillet 2014 pour avoir agi de façon malhonnête, déloyale, incompétente et non professionnelle envers trois clients.

Mais M. Thibault n’a jamais été poursuivi pour fraude au criminel.

Pourtant, lorsqu’elle le condamne, le 15 octobre 2012, la juge Julie A. Thorburn de la Cour supérieure de l’Ontario écrit : « je suis convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que M. Thibault a commis une fraude ».

Avant elle, dans son jugement du 11 juillet 2011, le juge de la Cour supérieure du Québec Jean-François De Grandpré avait souligné le « caractère frauduleux manifeste » des gestes de Thibault.

EMPLOYÉS SOUDOYÉS ET CHIFFRES FALSIFIÉS

Dans ses manœuvres frauduleuses, J.A. Thibault a eu deux complices.

C’est d’ailleurs son acolyte principal, Clifford Oliver, qui a finalement craché le morceau, en 2010, après avoir signé une entente avec l’assureur en échange de son témoignage.

Clifford Oliver était vice-président et actuaire en chef de la compagnie d’assurance Colonia (qu’Empire a acquise en 1997). C’est lui qui a créé les polices d’assurance vie entière à prime unique nommées Colspol avec lesquelles Thibault a floué Empire.

Il a expliqué comment, pendant plus de 10 ans, il a falsifié les documents d’assurance de M. Thibault pour gonfler artificiellement la valeur de ses polices.

Oliver a rempli des documents fictifs laissant croire que des fonds s’accumulaient dans les comptes de M. Thibault, alors qu’en réalité, ils s’épuisaient. Pendant ce temps, M. Thibault y effectuait des retraits, ceux-là réels… Lorsque le stratagème a pris fin, il avait retiré 9,3 millions de plus qu’il n’en avait déposé dans ses polices.

UNE PRIME QUI PASSE DE 183,000$ À 1,7 MILLION!

La première fraude est survenue en 1986, a expliqué M. Oliver au tribunal. L’occasion s’est produite alors qu’un document manquait dans le dossier de Thibault, soit celui où se trouvait le calcul de la valeur accumulée.

En échange d’un pot-de-vin dont le montant n’a pas été dévoilé en cour, M. Oliver a accepté de falsifier les primes initiales versées dans deux polices achetées en 1981, l’une par M. Thibault, l’autre par son épouse Magella.

Alors que M. Thibault avait versé une prime de 38 400$ dans la police de sa femme, M. Oliver a inscrit le chiffre 5 devant ce montant. Pour l’autre, M. Oliver a ajouté le chiffre 1 au montant de 145 000$. Du coup, des primes devant s’élever à un total de 183 000$ sont passées à 1 683 400$ (538 400$ + 1 145000$). Et les valeurs ont augmenté en conséquence.

UN DÉDALE D’ACTIVITÉS FRAUDULEUSES

Avec cette première transgression, Clifford Oliver s’est mis le doigt dans l’engrenage. Et il ne s’est pas arrêté là.

Voici quelques-unes des autres activités frauduleuses qu’il a avouées :

  • Il a déposé des primes appartenant à d’autres clients dans le compte de M. Thibault.
  • Il a substitué un exemple de police à un autre pour l’une des polices de M. Thibault, afin de gonfler la valeur de celle-ci. (L’exemple de police est une page manuscrite où figurent les calculs de rendements à l’échéance de la police.)
  • Il a autorisé la négociation d’actions en Bourse au compte de M. Thibault – une pratique illégale – et antidaté ces opérations pour qu’elles soient plus avantageuses pour lui.
  • Il a créé des nouvelles valeurs de départ gonflées dans le cadre du regroupement des deux polices de M. Thibault (la sienne et celle de sa femme), de façon à ce que ce dernier puisse retirer plus d’argent de la nouvelle police.

Au procès, Oliver a expliqué que les pots-de-vin qu’il recevait représentaient entre 10 et 50 % du montant des opérations. Il les a évalués à « plus de 1 million de dollars ».

THIBAULT SE TROUVE UN DEUXIÈME COMPLICE

Lorsque Colonia a été achetée par Empire en 1997, Clifford Oliver a quitté son poste.

Mais son successeur a marché sur les mêmes traces illicites que lui.

Wayne Slimmon a lui aussi été accusé de fraude. Puisqu’il était cependant en phase terminale de cancer lors du procès en Ontario, les accusations portées contre lui ont été levées.

J. A. Thibault l’avait appâté avec 10 certificats-cadeaux de 100 $ chez Canadian Tire et un prêt de 5 000 $ pour l’achat de son chalet…

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Suzanne Dansereau