Des milliards en attente de planification

17 septembre 2012 | Dernière mise à jour le 17 septembre 2012
7 minutes de lecture
sifotography / 123RF

Les baby-boomers caressent le rêve d’une retraite douillette teintée, malgré tout, d’un certain endettement et planifiée en fonction d’une espérance de vie allongée. Seront-ils néanmoins en mesure de faire bénéficier leurs enfants des actifs accumulés au fil du temps? Une telle transmission de richesses d’une génération à l’autre demeure-t-elle dans le domaine du possible ou sommes-nous plutôt en face du plus grand rendez-vous manqué de l’histoire?

Nés entre 1946 et 1965, les baby-boomers représentent un segment important de la population (et de votre clientèle, assurément). Selon les données du plus récent recensement réalisé par Statistique Canada, on dénombre 9,6 millions de baby-boomers au pays, ce qui représente près de trois personnes sur dix.

Au cours de la prochaine décennie, les baby-boomers canadiens vont collectivement hériter de sommes considérables, indique une étude d’Investissements Manuvie intitulée When inheritance comes your way. Selon les observateurs de Manuvie, un montant global de 550 milliards de dollars, principalement des legs d’immobiliers et de placements, viendrait s’ajouter à la cagnotte des baby-boomers d’ici la prochaine décade.

Espérance de vie plus longue oblige, les boomers doivent planifier en fonction de la possibilité réelle de devoir compter sur leur revenu de retraite sur une période de 30 ans. Sans compter que la crise économique de 2008 a troué leur portefeuille boursier respectif. Pire, l’endettement tardif et un manque de planification pourraient compromettre ladite passation de richesses d’une génération à l’autre.

Le phénomène de l’endettement au moment de la retraite

Un récent sondage commandité par la Banque CIBC et effectué par Harris/Décima révèle que près de 60 % des Canadiens à la retraite possèdent des dettes sous une forme ou une autre. Même si ces derniers possèdent moins de dettes que la population canadienne active, ils ont aussi moins tendance à prendre les mesures nécessaires pour en accélérer le remboursement, augmentant alors les coûts d’intérêt à assumer et diminuant d’autant les liquidités dont ils disposeront.

« Même si les dettes des Canadiens à la retraite se situent sous la moyenne nationale, elles pourraient être stagnantes et leur coûter davantage en intérêts à long terme, affirme M. Sylvain Vinet, premier vice-président, Est du Canada, Banque CIBC. Il faut vraiment songer aux dettes que l’on a à la retraite, car les paiements périodiques que l’on effectue auront une incidence directe sur le revenu discrétionnaire », conclut-il.

En fait, ce phénomène relativement nouveau d’endettement à la retraite est bien appuyé par une facilité certaine à obtenir du financement, des taux d’intérêt qui demeurent très bas et l’explosion même des prix courants du marché immobilier. Auparavant, les baby-boomers achetaient leur maison au début de la trentaine, se contentaient de payer rubis sur l’ongle leur hypothèque amortie sur 25 ans et pouvaient ainsi espérer prendre leur retraite sans dette hypothécaire, entre 55 et 60 ans. Or, de nos jours, et selon les plus récentes données d’un sondage effectué par Manuvie, près de 20 % des Canadiens augmentent actuellement leur niveau total d’endettement une fois qu’ils atteignent la cinquantaine.

« La maison demeure un bel actif financier, dit André Goudreau, directeur régional au Groupe Investors. Elle offre différentes options pour générer des revenus en vue de la retraite et elle facilite également le transfert d’actifs d’une génération à l’autre, puisque les profits réalisés à la vente de la résidence principale ne sont pas imposables. » Il est donc vrai que le couple de boomers peut profiter de la vente de la résidence principale pour gonfler son épargne non enregistrée ou son CELI, sommes qui reviendront éventuellement aux héritiers lors du règlement de la succession.

Cependant, et toujours selon Statistique Canada, 17 % des ménages canadiens à la retraite doivent plus de 100 000 $. Pire, une forte proportion de ces derniers déboursent plus de 20 % de leur revenu de retraite pour assumer leur paiement hypothécaire. Dans une telle situation, il est plus facile de comprendre que ces baby-boomers, exposés à une éventuelle hausse de taux hypothécaire, pourraient avoir de la difficulté à transmettre des actifs suffisants à leurs enfants, que ce soit de leur vivant ou à leur décès, à défaut d’une planification suffisante.

L’importance de la planification préalable

Et si la transmission de toute cette richesse se passait plutôt du vivant des baby-boomers? Et si le conseiller en sécurité financière pouvait mettre son expertise au service des deux générations concernées, en s’assurant d’adapter son discours en fonction des caractéristiques propres à chaque groupe d’âge?

« Un plan successoral ne concerne pas seulement la personne qui va transférer ses biens, mais aussi ceux qui vont les recevoir, puisqu’il faut maximiser la stratégie fiscale associée à une telle opération, soulève Maud Salomon, conseillère en sécurité financière et représentante en épargne collective rattachée à Mica Capital inc. J’implique donc la famille très tôt dans le processus pour parler de chiffres, d’objectifs et de mise en place de stratégies. De cette façon, la confiance se développe et naturellement les enfants de mon client souhaitent me voir m’occuper de leurs propres finances. »

Pour Sophie Desjardins, conseillère indépendante en sécurité financière, une discussion à ce sujet avec les baby-boomers est primordiale pour connaître leur intention concernant le transfert de leurs actifs au moment du décès. « Mon expérience démontre que les planifications fiscale et successorale sont souvent déficientes et qu’il y a beaucoup à faire pour éduquer les gens à ce sujet », souligne-t-elle.

Des propos que confirme André Goudreau. « Le premier conseil à donner à son client est de discuter ouvertement de son testament avec ses enfants. L’argent, est un sujet tabou. De ce fait, il y a plusieurs erreurs qui sont commises dans l’élaboration d’une planification fiscale et successorale », explique-t-il.

Des exemples concrets

Maud Salomon a récemment obtenu un mandat particulier d’un client de 62 ans. « Monsieur voulait donner à ses enfants de son vivant, participer à la vie de ses petits-enfants, profiter de son épargne et jouir de sa maison jusqu’au bout. Pour lui, ses deux enfants avaient besoin d’aide maintenant, d’autant plus que son plus jeune voulait accéder à la propriété sous peu. » Pour dresser un portrait des intentions du baby-boomer en question, elle s’est donc affairée à réorganiser le portefeuille de retraite du client en fonction d’une longévité estimée à 80 ans.

C’est ainsi qu’un surplus de 11 000 $ par année après impôts, soit 5500 $ par enfant, a été dégagé, et ce sans modifier le mode de vie du client.

« J’ai ensuite pris contact avec les enfants pour leur expliquer la stratégie à mettre en place. J’ai même rédigé un papier, à signer par les enfants, qui les engageaient à suivre la stratégie en question, de mettre cette somme en REER et s’assurer que le remboursement d’impôt irait dans un REEE familial (environ 2300 $, en supposant un taux d’imposition de 42 %) », poursuit Mme Salomon.

Les avantages de bien planifier le transfert de richesse d’une génération à l’autre sont sans équivoque. « Mon client participe ainsi à l’accession à la propriété de son jeune fils par l’entremise d’une stratégie RAP, il contribue à abaisser le revenu imposable de ses enfants dans l’objectif de maximiser le remboursement fiscal, il participe à la constitution d’un fonds pour l’étude de ses petits-enfants et à l’obtention des subventions gouvernementales dans le REEE », résume-t-elle.

Les objectifs à atteindre étaient donc clairement définis pour le baby-boomer et pour les enfants de ce dernier. La conseillère en sécurité financière s’est donc assurée de rencontrer individuellement chacun des enfants concernés pour obtenir le portrait global de leur situation financière, dans le but de faire les recommandations qui s’imposaient. Le client a d’ailleurs facilité le développement de cette nouvelle confiance financière qui prévaut désormais entre Mme Salomon et ses deux nouveaux clients.

Sophie Desjardins, de son côté, se remémore une rencontre avec un boomer qui possédait un actif impressionnant, vu son jeune âge. « Entrepreneur dans le domaine du transport, propriétaire d’immeubles locatifs, contributions maximales à son régime d’épargne-retraite et épargne non enregistrée en hausse, résume-t-elle. Divorcé, père d’une fille unique, nouvelle conjointe de fait au dossier et aucun document légal pour encadrer l’inévitable. J’ai pris ce client en charge pour le sensibiliser à cette situation délicate et pour le mettre en contact avec d’autres spécialistes (fiscaliste, notaire) », se rappelle Mme Desjardins. Aujourd’hui, Monsieur possède les protections adéquates, un plan de retraite adéquat, une planification successorale appuyée par son désir de transmettre ses actifs de la façon souhaitée.

Le petit coup de pouce du conseiller

Sans contredit, les boomers doivent mieux planifier leur transfert financier vers la génération suivante. Les sommes en jeu sont colossales : un sondage réalisé par Investor Economics suggère qu’entre 2009 et 2018, 650 milliards de dollars d’actifs passeront des mains des baby-boomers à celle de la génération suivante. Des prévisions qui donnent tout son sens à l’implication du conseiller dans la planification du transfert de la richesse. Cependant, pour que son modèle d’affaires demeure pérenne, le conseiller doit apprendre à communiquer et à faire affaire avec les membres des générations X et Y, appelées à bénéficier de la relative bonne santé financière de leurs parents.

Cet article est tiré de l’édition de septembre du magazine Conseiller.