Vous vendez?

Par Ronald McKenzie | 19 mai 2015 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Vous comptez financer votre retraite en vendant votre clientèle ? Voici quoi faire pour maximiser sa valeur.

Vous avez 61 ans ou plus ? Vous faites alors partie des quelque 2 600 conseillers qui tireront leur révérence au marché du travail dans un avenir rapproché. Si vous avez l’intention de vendre votre bloc d’affaires, il fera concurrence à de nombreux autres sur un marché qui n’est pas nécessairement facile. Pour en tirer le meilleur prix, vous devrez affiner votre stratégie et optimiser votre offre. En cinq conseils obtenus auprès d’experts et de conseillers, nous vous disons comment.

1. Entourez-vous d’experts.

Avocats, comptables professionnels agréés et fiscalistes spécialisés en services financiers contribueront à la réussite du transfert de votre bloc d’affaires. En effet, il s’agit d’une transaction commerciale qui est souvent complexe tant sur le plan légal que fiscal (voir plus loin). « Les conseillers en services financiers ne sont pas des fiscalistes. Leurs connaissances en cette matière peuvent être sommaires », tranche Alain Vézina, CPA, CA, fondateur et associé principal du cabinet Nessa Capital.

Alain Vézina

Depuis près de 30 ans, M. Vézina se spécialise dans le secteur des achats, ventes et fusions d’entreprises de services financiers. Au cours des 15 dernières années, il a effectué 207 rapports d’évaluation et participé à 87 transactions. « Les conseillers doivent comprendre tous les avantages [fiscaux et autres] de se constituer en société par actions pour exercer leur pratique. Malheureusement, trop d’entre eux tardent à le faire, ou ils ne s’incorporent pas du tout », déplore-t-il.

(Une précision s’impose ici : l’incorporation n’est pas encore autorisée au Québec pour les conseillers qui ne touchent que des commissions provenant du commerce des fonds communs.)

Même si vous n’avez pas l’intention de vendre votre bloc d’affaires avant quatre ou cinq ans, il serait sage de consulter tout de suite les spécialistes. En effet, le transfert des actifs se déroule habituellement de manière graduelle. Il serait souhaitable que vous soyez accompagné tout au long du processus. « Par exemple, le vendeur pourrait commencer par céder 10 % de son bloc d’affaires la première année afin de voir si la transition se déroule sans anicroche », explique Francys Brown, fiscaliste associé de la Corporation fiscalité financière FBSA. L’année suivante, il se départira d’un autre pourcentage, et ainsi de suite jusqu’à la fin.

Souvent, le vendeur et l’acheteur s’associeront afin de sécuriser la clientèle qui risque d’être secouée (et de quitter le navire) si leur conseiller de confiance vend sa pratique d’un seul coup. La transition peut durer plusieurs mois, mais « rarement plus de trois ans », dit M. Brown.

2. Pomponnez votre bloc d’affaires.

Votre entreprise intéressera les acheteurs si elle présente du potentiel. Évidemment, si vos clients sont de jeunes professionnels en phase d’accumulation, il y a fort à parier qu’ils sont en mode investissement, ce qui est attrayant : achat d’une maison (assurance habitation), de polices d’assurance vie, de produits d’épargne-retraite, etc.

Par contre, si vos clients sont des retraités qui décaissent leurs comptes, on pourrait croire que leur potentiel est plus faible. Mais il y a toujours quelque chose à tirer des bons clients. « Les personnes plus âgées ont probablement besoin de conseils avancés en matière de rentes, et de planifications fiscale et successorale », estime Flavio Vani, président d’Assurances et produits financiers Vani. En outre, si ces clients ont des enfants et des petits-enfants, il y a là des affaires à réaliser : REER, REEE, assurance vie, protections contre l’invalidité, etc.

Ces arguments de vente porteront davantage si vous avez segmenté votre clientèle, car l’acheteur aura rapidement une bonne idée de la qualité du produit que vous lui proposez et saura identifier les occasions. De plus, la segmentation facilite l’organisation du travail. Vous pouvez segmenter de différentes façons. « Pour moi, les critères importants sont le domaine d’activité des clients (professionnels, techniciens, ouvriers), leur origine (référés, prospectés, achetés d’un autre conseiller), leur âge, leur salaire et la région où ils se trouvent », dit Yves Boucher, président d’Accès Global Services Financiers, lui-même en processus de vente de son cabinet.

Vendre sa pratique en ligne ?

Au cours de notre recherche, nous avons déniché le site Blocdaffaires.com, « le premier et seul site Internet québécois indépendant dédié à 100 % à l’achat et la vente de blocs d’affaires en services financiers ». Un mini-Kijiji spécialisé, quoi, où on peut afficher sa petite annonce. Mis en ligne en juin 2014, ce site comporte en outre une calculatrice qui estime la « valeur suggérée » d’un bloc d’affaires en fonction des renouvellements annuels.

Curieux, nous avons inscrit dans l’engin des renouvellements fictifs de 125 000 $ en assurance vie et de 150 000 $ en fonds communs. Alors, combien vaut ce portefeuille virtuel ? Résultats :

  • Valeur de base suggérée : 550 000 $ (2 fois les renouvellements totaux)
  • Valeur suggérée si le CRM est à jour : 825 000 $ (3 fois)
  • Valeur suggérée si le bloc inclut les services d’un(e) adjoint(e) : 1 100 000 $ (4 fois)

« De 2005 à 2013, j’ai été directeur, ventes et recrutement, pour une grande compagnie d’assurance, dit Denis Asselin, président de Blocdaffaires.com. J’ai constaté les difficultés rencontrées par les conseillers ou les courtiers d’assurances qui cherchaient à vendre leur bloc d’affaires. Le lien entre les conseillers d’expérience et les recrues est difficile à établir. C’est pour faciliter ces contacts que j’ai conçu Blocdaffaires.com. »

3. Dotez-vous d’un CRM.

La qualité de gestion de votre entreprise doit absolument être au rendez-vous si vous voulez trouver preneur à bon prix. « Il est primordial de savoir comment le vendeur a travaillé, car l’acheteur ne veut pas se retrouver avec ses problèmes », prévient M. Vani. Quel genre de problèmes ? Numéros de contrats inexistants, dates de transactions majeures manquantes, absence d’analyse des besoins de clients et de tolérance au risque, pas de dates de naissance, aucun consentement pour divulgation des renseignements personnels, etc.

En notre ère d’hyper-réglementation, il semble incroyable que ces omissions existent encore. Pourtant, ces accrocs à la conformité demeurent courants même s’il s’agit du b.a.-ba du métier. « L’acheteur doit examiner beaucoup d’éléments lorsqu’il procède au contrôle diligent d’un bloc d’affaires qui l’intéresse », souligne M. Brown.

Si les dossiers clients ne sont pas numérisés, ledit contrôle diligent pourrait vite se transformer en un cauchemar de paperasserie. « Les deux dernières clientèles que j’ai achetées tenaient dans sept boîtes de rangement et deux classeurs. Il a fallu numériser tout ça », dit Guy Duhaime, président du Groupe Financier Multi Courtage, qui fixe notamment son prix d’achat en fonction du travail à abattre pour mettre de l’ordre dans les dossiers.

François Laporte

« Un bloc d’affaires valant 1 million de dollars est full papier ? Je n’offrirais que la moitié de cette somme. Et j’exigerais que le vendeur demeure encore dans le métier, le temps que je passe à travers ses dossiers », précise François Laporte, conseiller en sécurité financière et représentant en épargne collective auprès d’Investia Services Financiers.

Voilà pourquoi les conseillers devraient se doter d’un système de gestion des relations-clients (CRM), lancent à l’unisson MM. Vani, Duhaime et Laporte. En plus d’effectuer des recherches rapides et précises, un bon CRM intègre toutes les données des clients (personnelles, assurances, placements). Il permet également d’échantillonner la clientèle afin de la segmenter, de prendre des notes avec l’inscription et l’horodatage automatique de toute activité, de synchroniser son agenda avec son téléphone intelligent, d’archiver des documents, etc. M. Boucher s’est procuré un CRM il y a deux ans justement pour répondre aux exigences des acheteurs.

Les CRM les plus connus portent les marques Kronos, Croesus, RepMan et iGeny, notamment. Selon l’espace utilisé, ils coûtent entre 100 et 300 $ par mois.

4. Déjouez le fisc.

On a vu précédemment que la vente d’un bloc d’affaires entraîne des conséquences fiscales qui peuvent être majeures. En deux mots, vendre une clientèle peut générer un gain en capital imposable, alors que vendre une société par actions permet de bénéficier d’une exemption fiscale pouvant atteindre 800 000 $.

À titre d’illustration, et pour revenir sur l’importance d’incorporer sa pratique quand c’est possible, M. Vézina relate le cas récent d’un conseiller qui planifiait sa retraite. Son entreprise non incorporée valait 350 000 $, dont 300 000 $ en provenance de ses actifs sous gestion.

S’il avait vendu le tout sans être incorporé, il aurait payé environ 87 500 $ en impôts. Jolie somme ! « Nous l’avons aidé à incorporer son entreprise. Il a pu ainsi « rouler » la valeur marchande de son cabinet à un acheteur qui a acquis 100 % de ses actions. Ensuite, l’acheteur a fusionné les deux entités en un seul cabinet », explique le spécialiste.

Cette opération a permis au futur retraité de ramener les impôts presque à zéro. Facture : 7 500 $. « Ce conseiller pourra ainsi partir à la retraite avec 80 000 $ de plus, soit un peu plus de 6 000 $ par année de revenu », calcule M. Vézina.

Par ailleurs :

  • Êtes-vous propriétaire de l’immeuble qui abrite votre entreprise ? Avez-vous l’intention de le vendre ? Si oui, vous devrez probablement déclarer un gain en capital et une récupération d’amortissement. La transaction immobilière sera également sujette aux droits de mutation.
  • Qu’adviendra-t-il de vos équipements informatiques ? S’ils sont inclus dans l’entreprise, leur valeur servira à calculer soit leur perte finale, soit la récupération d’amortissement ou peut-être même le gain en capital du cabinet.

L’APCSF veut sensibiliser ses membres

Yves Boucher

Yves Boucher est président d’Accès Global Services Financiers, mais il est aussi trésorier de l’Association professionnelle des conseillers en services financiers (APCSF). À ce titre, il indique que l’APCSF donnera bientôt des formations afin de sensibiliser les conseillers à l’importance de faire évaluer leur entreprise par des experts indépendants et d’obtenir tous les renseignements pertinents avant de céder leur cabinet.

Il relate la triste histoire d’un représentant qui, en échange de sa clientèle, s’est fait offrir une rente mensuelle payable sur 10 ans. À première vue, la proposition semblait intéressante. Mais, en l’acceptant, ce conseiller a vu la valeur de son bloc d’affaires devenir entièrement imposable. « Ni l’acheteur ni personne d’autre ne l’a informé de ce danger », se désole M. Boucher.

5. Évaluez correctement votre pratique.

De manière empirique, on estime la valeur d’un bloc d’affaires à l’aide d’un multiple des revenus annuels générés. Ainsi, un portefeuille d’assurances pourrait valoir de 3 à 3,5 fois les renouvellements. « S’il s’agit de fonds communs, ça peut aller jusqu’à 4 fois les revenus générés, peut-être même 7 fois si le bloc d’affaires est ultramoderne », note M. Laporte. Un portefeuille de fonds communs produisant annuellement des commissions de suivi de 150 000 $, par exemple, pourrait donc valoir entre 600 000 $ et 1 050 000 $, si l’on accepte ce barème.

De son côté, M. Brown avance des multiples entre 2,5 et 5 fois la valeur des commissions de suivi, « tout dépendant de la qualité des clients et des produits vendus ».

M. Vézina trouve pour sa part que ces facteurs sont « trop simples » pour évaluer une entreprise de services financiers. Il préfère établir la juste valeur marchande en combinant trois méthodes :

  • celle basée sur les bénéfices passés;
  • celle des comparables (les multiples);
  • celle, surtout, de l’actualisation des cash flows nets potentiels que la clientèle peut générer sur un horizon égal à la période du financement pour un acquéreur.

Un conseiller-vendeur qui retient les services de Nessa Capital verra son entreprise évaluée selon plusieurs critères, jusqu’à 15 dans certains cas, dont : présence du vendeur durant la transition, nombre de produits par client, durée du paiement des commissions de service, taux de conservation des clients, etc. Les données sont ensuite pesées, mesurées et cotées.

Le critère le plus important demeure la qualité de la clientèle. Les cabinets qui gèrent des actifs de 10 à 25 millions de dollars, avec une moyenne de 75 000 $ environ par client, peuvent attirer des acheteurs motivés en « très grand nombre », conclut M. Vézina.

• Ce texte est paru dans l’édition de mai 2015 de Conseiller. 

Ronald McKenzie