Les frais de gestion, un faux débat?

Par Pierre-Luc Trudel | 14 novembre 2017 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Pour réduire les frais de gestion de leurs portefeuilles, les investisseurs sont nombreux à avoir troqué la gestion active pour la gestion passive au cours des dernières années, comme en témoigne la popularité croissante des fonds négociés en Bourse (FNB). Mais certains épargnants accordent une importance démesurée aux frais de gestion imputés à leurs placements, dénoncent des experts.

« Les frais de gestion trop élevés, c’est un faux débat amené par les médias », a affirmé Robert Lachance, vice-président – ventes, investissements et retraite au Groupe Cloutier.

Dans le cadre du Rendez-vous de l’Autorité des marché financiers, lundi, il a insisté sur le fait que les frais de gestion doivent toujours être analysés en regard des rendements obtenus. « L’important, ce n’est pas ce que je paie en frais de gestion, mais plutôt ce que j’obtiens en échange de ces frais. La gestion passive est parfois le moyen le moins cher d’acheter un titre trop cher », prévient-il.

Reconnaissant qu’un portefeuille mêlant stratégies actives et passives peut se révéler intéressant, il se dit néanmoins convaincu de l’importance de la gestion active pour gérer les risques adéquatement. « Il revient au conseiller de trouver les gestionnaires performants qui réussissent à ajouter de la valeur, poursuit-il. Si la gestion active était vraiment si inutile que certains le prétendent, les grands investisseurs institutionnels comme la Caisse de dépôt n’auraient pas des immeubles remplis d’analystes. »

Lors du même panel, Jean-Philippe Lemay, président et chef de l’exploitation de la division canadienne à Fiera Capital, a confirmé que les gestionnaires devaient constamment démontrer la valeur de la gestion active. « Tant qu’elle générera de la valeur ajoutée, il y aura de la place pour la gestion active », a-t-il dit. Le gestionnaire précise tout de même que la gestion active est davantage justifiée pour certaines catégories d’actif. « Si l’on parle du marché obligataire canadien, être en indiciel peut être tout à fait justifié, mais ce sera beaucoup plus difficile si l’on parle de titres de crédit des marchés émergents. »

Pour Bernard Letendre, président d’Investissements Manuvie, tout est une question d’équilibre. « Les investisseurs ont trois budgets à gérer : un de rendement, un de risque et un de frais. Réduire les frais n’est pas une stratégie d’investissement. Si les frais sont à zéro, le budget de risque sera forcément surpondéré dans le portefeuille », explique-t-il.

UN CONTEXTE QUI ENCOURAGE LA PRISE DE RISQUE

Frais de gestion ou pas, les portefeuilles d’aujourd’hui affichent un niveau de risque bien plus élevé qu’il y a une vingtaine d’années. Actions des marchés émergents, obligations à rendement élevé, titres illiquides, voilà des catégories d’actif fort tendance aujourd’hui qui étaient plutôt rares dans les portefeuilles il y a quelques décennies.

Plusieurs facteurs expliquent pourquoi les gestionnaires ont développé une panoplie de produits d’investissement plus risqués, mais les faibles taux d’intérêt trônent sans nul doute au haut de la liste.

« Il y a eu une époque où l’on pouvait atteindre une cible de rendement de 7,5 % avec des obligations cotées AAA. Aujourd’hui, on doit s’exposer à beaucoup plus de risque pour atteindre une telle cible », explique Bernard Letendre, en notant que les épargnants ont parfois des attentes démesurées. « On doit leur rappeler qu’en raison du faible niveau d’inflation actuel, 7,5 % de rendement aujourd’hui vaut bien plus cher que 7,5 % en 1995. »

Une tendance démographique majeure exerce en outre une forte pression sur les gestionnaires, et conséquemment les solutions de placement : le départ massif des boomers à la retraite.

Après plus d’un demi-siècle à vendre des produits axés sur l’accumulation de capital, l’industrie financière doit maintenant faire face aux défis de décaissement d’une population vieillissante. Dans certains cas, des rendements plus élevés sont également nécessaires pour compenser une épargne insuffisante.

L’engouement est d’ailleurs grand pour les instruments financiers offrant un revenu élevé, tels que les titres à revenu fixe ayant une cote de crédit inférieure et les formes de crédit non traditionnelles génératrices de revenu, note Jean-Philippe Lemay.

DES FORMATIONS EN RETARD

Cette complexité croissante des produits d’investissement soulève de nombreux défis d’éducation, autant chez les investisseurs que chez les conseillers, souligne Robert Lachance.

« La formation de base des conseillers est en retard sur les tendances. C’est aux cabinets à offrir des formations et à s’assurer que leurs conseillers comprennent bien les nouveaux produits sur le marché », dit-il, en insistant sur l’importance de démystifier les stratégies non traditionnelles. « Les conseillers doivent comprendre qu’une solution alternative utilisant des dérivés n’est pas forcément risquée », donne-t-il en exemple.

Pour ce qui est de la relation avec les épargnants, Bernard Letendre estime que les conversations portant sur le taux de rendement du portefeuille par rapport à la performance de l’indice n’ont plus vraiment leur place. « L’indice ne représente pas la vie de l’épargnant. Sa vie, ce sont ses objectifs, soutient-il. Du moment où les objectifs sont atteints, est-ce vraiment important de comparer le rendement avec un indice de référence? Comme industrie, on doit changer le focus. »

Pierre-Luc Trudel