Ne perdez pas de vue les fondamentaux 

13 février 2023 | Dernière mise à jour le 14 août 2023
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Femme qui regarde un écran où s'affiche graphiques et tableaux boursiers.
Photo : Laurence Dutton / iStock

Les investisseurs ont tant l’œil collé sur les décisions de la Fed qu’ils en oublient d’évaluer les titres pour leurs qualités intrinsèques, déplore Paul Roukis, gestionnaire de portefeuille chez Rothchild & Co.

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« La récente reprise des marchés d’actions a été fortement influencée par les émotions. On entend l’hypothèse d’un pic de l’inflation, soutenue par l’idée que la Fed va bientôt lever le pied de la pédale du resserrement monétaire. L’inflation a certes baissé depuis ses pics de l’an dernier, et si cette tendance se poursuit, la Fed aura sans doute la possibilité de renverser la vapeur. Mais jusqu’ici les investisseurs sont restés concentrés sur les politiques marginales de la Fed et des autres banques centrales, plutôt que sur les fondamentaux opérationnels des entreprises, qui se sont détériorés pour beaucoup au cours des derniers mois », analyse Paul Roukis.

Selon l’expert, l’influence de la Fed sur les perceptions des investisseurs, l’économie réelle, et les marchés de capitaux a augmenté « énormément » depuis la grande crise financière de 2008-2009, d’autant plus que son bilan n’a cessé de gonfler. Mais ce sont les profits et les flux de liquidités des entreprises qui soutiennent le cours des actions. Or ceux-ci se sont détériorés au fil des derniers mois, et se trouvent « déconnectés » de l’enthousiasme des investisseurs.

« La meilleure façon d’évaluer les profits des sociétés est d’observer l’indice S&P 500. Dans les derniers mois, les prévisions de croissance des profits pour 2023 ont été révisées à la baisse, et les perspectives de bénéfice par action du S&P 500 tournent maintenant autour de 200/225 $ pour 2023. Au-delà de 220 $, on devient optimiste », relève Paul Roukis.

Il note qu’au vu des états financiers du quatrième trimestre qui ont été dévoilés jusqu’ici, il est de plus en plus difficile pour les sociétés de refiler les hausses de prix à leurs clients, et les consommateurs ressentent une anxiété croissante vis-à-vis du prix des biens essentiels comme l’alimentation, le logement et l’énergie. En outre, le dollar s’affaiblit.

Pendant ce temps, l’Europe semble pouvoir éviter une récession grâce à un hiver clément, et la Chine se remet de ses confinements de la pandémie.

Dans ce contexte, l’expert note qu’après une année à voir les actions de type croissance surperformer le style valeur d’une vingtaine de points de pourcentage, il est temps de dénicher des bonnes affaires dans le secteur des technologies.

« Les importantes ventes d’actions de l’an dernier ont créé une situation où l’on a jeté le bébé avec l’eau du bain. Même si les profits sont révisés à la baisse dans ce secteur, on peut faire de bons placements avec de la patience. Si on regarde l’indice de valeur Russell 1000, les titres de croissance traditionnels comme ceux de Meta, Alphabet, salesforce.com et AMD sont maintenant surpondérés par rapport aux titres de valeur traditionnels comme IBM, Hewlett-Packard et Intel. Nos points de repère ont donc été bouleversés dans les dernières années », estime Paul Roukis.

Il dit favoriser les entreprises qui ont un « biais de croissance » même si elles appartiennent à l’univers du type valeur, et qui s’échangent à des multiples raisonnables ; des entreprises qui possèdent des avantages concurrentiels significatifs, et qui ont les moyens de réinvestir dans leur modèle d’affaire tout en profitant des économies d’échelle. Il cite par exemple, dans le secteur de l’énergie, le géant des services d’exploitation pétrolière Schlumberger (renommé SLB), qui possède de vastes ressources et des capacités d’échelle dans les applications numériques. Dans les services financiers, il mentionne Blackrock, qui dégage de fortes marges de profit ; enfin dans la santé, il cite Ensure UnitedHealthcare, qui propose un modèle intégré verticalement et donc difficile à répliquer.

Pour la suite, il dit s’attendre à une récession « légère » en 2023.

« Très franchement, il est difficile de trouver des précédents au cours des cycles passés, où l’on verrait la Fed tenter un atterrissage en douceur alors que les taux à court terme ont été relevés de plus de 400 points de base de manière très rapide. On a encore vu une autre hausse de 25 points de base au début février. Ajoutez à cela la complexité liée au resserrement quantitatif après des années d’accumulation dans le bilan de la Fed, et il serait naïf de croire que l’atterrissage en douceur est garanti. La réalité est que les effets des hausses rapides de taux ne se reflètent pas encore totalement dans l’activité économique, car cela peut prendre de 12 à 18 mois », analyse Paul Roukis.

Bien que les secteurs les plus sensibles aux hausses de taux, comme l’immobilier résidentiel et commercial, aient connu une destruction de la demande, la plupart des autres secteurs se montrent encore résilients. Mais « ce n’est peut-être qu’une question de temps », prévient-il.

« Il est essentiel que l’inflation soit ramenée à 3 % ou même plus bas selon la mesure traditionnelle de l’IPC. Cela donnera à la Fed une plus grande marge de manœuvre si ses actions passées s’avèrent exagérées. Un autre indicateur important est l’emploi ; les licenciements massifs annoncés par certaines des plus grandes sociétés ne reflètent pas forcément une tendance élargie, en tout cas pas encore. Un marché du travail qui s’avère résilient serait d’un grand secours pour accomplir l’atterrissage en douceur. »

Ce texte fait partie du programme Gestionnaires en direct, de la CIBC. Il a été rédigé sans apport du commanditaire.