Anticiper les mouvements boursiers grâce à Twitter

Par Dominique Lamy | 19 juillet 2012 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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L’importance des médias sociaux dans le plan de marketing d’un conseiller en sécurité financière n’est plus à démontrer. D’autres utilisations potentielles semblent pourtant vouloir en émerger. De nouvelles études suggèrent l’utilisation du site de microblogage Twitter pour prédire les variations boursières à venir sur Wall Street. Sommes-nous en présence d’un éventuel indicateur utile au portefeuille de vos clients?

Deux études distinctes avancent que le site de partage de gazouillis pourrait faire davantage que de simplement favoriser les relations d’affaires entre utilisateurs. L’univers Twitter se voudrait aussi un baromètre pour jauger la direction prochaine des marchés boursiers, allant même jusqu’à prédire les cours avec quelques jours d’avance.

Quand Twitter prédit Wall Street

Twitter prédirait les humeurs de Wall Street? C’est ce que suggère l’étude inédite de l’Indiana University Bloomington intitulée Twitter mood predicts the stock market, selon laquelle Twitter serait en mesure d’extrapoler les soubresauts haussiers ou baissiers de Wall Street avec quelques jours d’avance. Ainsi, une mesure de l’activité sur Twitter lors d’une journée précise peut prédire la direction prochaine du Dow Jones Industrial Average trois jours plus tard avec un taux de succès impressionnant de 86,7 %.

L’étude menée en 2010 par les chercheurs Johan Bollen, Huina Mao et Xiao-Jun Zeng souhaitait s’inspirer de l’outil informatique OpenFinder – utilisé à l’occasion d’études antérieures simplement pour mesurer l’humeur positive ou négative d’un environnement – pour créer un baromètre de l’humeur plus nuancé. Pour ce faire, un questionnaire psychologique voué à la recherche pharmaceutique et intitulé Profile of Mood States fut utilisé comme base pour construire l’algorithme en question.

Ledit questionnaire exigeait des participants d’évaluer leurs émotions en fonction de 72 adjectifs, et les réponses obtenues permettaient de mesurer l’humeur selon six atmosphères : le calme, la vigilance, la certitude, la vitalité, la gentillesse et le bonheur.

L’équipe de recherche n’a eu qu’à étoffer le lexique des adjectifs mentionnés précédemment pour déployer le premier test d’humeur basé sur 9,85 millions de gazouillis publiés par 2,7 millions d’utilisateurs sur Twitter entre février et décembre 2008.

Les chercheurs ont validé l’efficacité de leur script en vérifiant l’humeur générale prévisible lors de journées particulières, comme au moment des élections présidentielles de 2008 aux États-Unis. Les résultats se sont avérés fiables : l’univers Twitter se voulait anxieux la veille de l’élection, plus calme durant la journée du vote et plus heureux à mesure que l’échéance du 5 novembre se rapprochait, une fois la victoire de Barack Obama confirmée lors de ce scrutin.

La crise de 2008 sur le radar de Twitter

La suite des choses est le fruit d’un pur hasard. Simplement pour savoir ce qui pourrait arriver, Huina Mao s’est donc affairée, algorithme validé en mains, à comparer l’humeur générale de l’univers Twitter au Dow Jones Industrial Average. Eurêka! L’émotion détectée prédisait avec justesse les hausses et les baisses boursières sur Wall Street enregistrées trois ou quatre séances plus tard. Il semble donc que l’humeur prédominante des usagers de Twitter fluctue au quotidien, et que le sentiment de calme ou de nervosité exprimé soit corrélé d’une façon ou d’une autre aux cours boursiers de clôture de l’indice du Dow.

Pour contrevalider cette conclusion, les chercheurs ont comparé le taux de succès de l’algorithme fondé sur Twitter avec un autre, plus classique, ne tenant compte que des variations du marché boursier sur une période de trois jours. Résultat : l’algorithme mathématique classique, qui faisait abstraction de l’humeur exprimée sur Twitter, a anticipé les mouvements boursiers avec un taux de succès de 73,3 %, bien inférieur à celui de 86,7 % comptabilisé grâce au script incluant les gazouillis. « Le fait d’inclure les informations liées à l’humeur en provenance de Twitter amène une précision supérieure à l’outil », confirme le chercheur Johan Bollen en entrevue sur le site Wired.com.

Le fait que Twitter fut en mesure de prédire les variations du marché boursier au milieu de l’année 2008 se veut un argument significatif en faveur d’études approfondies à ce sujet. « Il s’agissait probablement de l’une des périodes les plus difficiles à prédire. Il y a eu l’élection présidentielle, les difficultés financières des banques, le début de la plus grande récession depuis les années 1930… », souligne-t-il.

Twitter, gagnant d’une simulation boursière

Une seconde étude, intitulée Correlating Financial Time Series with Micro-Blogging Activity et publiée en février 2012 par l’Université de Californie et des chercheurs d’un laboratoire de Yahoo! en Espagne, démontre que la compilation des données partagées sur Twitter permet de prédire le volume échangé et la valeur d’un titre boursier le jour suivant son analyse.

Les responsables ont découvert que le nombre de transactions effectuées sur un certain titre boursier était proportionnel au nombre de gazouillis publiés sur Twitter au sujet de l’entreprise concernée. Le modèle mis au point par l’équipe de travail composée de Eduardo J. Ruiz, Vagelis Hristidis, Carlos Castillo, Aristides Gionis et Alejandro Jaimes aurait surpassé d’autres stratégies d’investissement dans une fourchette de rendement de 1,4 % à 11,0 %, tout en offrant un meilleur rendement que le Dow Jones Industrial Average lors d’une simulation survenue du 1er mars 2010 au 30 juin 2010.

Des bémols pour l’instant

Les chercheurs estiment que ces conclusions pourraient avoir des répercussions certaines sur le comportement des investisseurs. Par contre, il y a un pas à franchir avant d’affirmer que Twitter pourrait être l’eldorado de l’investissement boursier. Impossible de savoir si ces premiers succès peuvent se répéter sur un horizon à plus long terme et de savoir si ces méthodes seront tout aussi efficaces lors de marchés baissiers, par exemple.

Benoit Lizée, Adm.A., conseiller en sécurité financière au Groupe Financier BCL et représentant en épargne collective rattaché à Promutuel Capital, n’est d’ailleurs pas convaincu qu’une telle méthode assure l’enrichissement à long terme en Bourse. « J’y accorde le même taux de crédibilité que les forums boursiers traditionnels. Certains intervenants pourraient avoir un intérêt à y mousser un titre pour leur propre bénéfice, grâce à des “informations” difficilement vérifiables », ajoute-t-il.

Prêcher par le conseil

L’investissement est loin d’être une science exacte basée sur des mathématiques de haute voltige. Le conseiller en sécurité financière doit inciter ses clients à adopter les principes de base du placement, sans le biais d’une boule de cristal quelconque qui incite, souvent, à vouloir retirer ses billes de la Bourse au mauvais moment.

Le jeu des prédictions s’avère souvent dangereux. Il y a huit ans, le p.-d.g. de la firme de recherche HS Dent, économiste réputé et auteur de plusieurs livres à succès, Harry S. Dent Jr, s’était risqué à dire que le Dow Jones était pour atteindre 40 000 points en 2009. Ça ne s’est jamais produit. Au mieux, l’indice s’est approché des 14 000 points en 2007, et il se situe présentement tout juste au-dessus de la barre des 13 000 points.

Le conseiller doit, plus que jamais, démontrer qu’indépendamment des cycles du marché, il est en mesure de planifier à long terme et d’aider le client à atteindre ainsi ses objectifs financiers, en faisant fi des variations quotidiennes qui secouent la Bourse depuis la période de grande volatilité débutée en 2008. « Pour ce faire, le conseiller devra s’efforcer davantage de dégager le processus décisionnel de l’investisseur de toute forme d’émotivité, en vue d’éviter le schéma psychologique type qui consiste à acheter au haut du marché, pour vendre au bas », suggère Maud Salomon, conseillère en sécurité financière et représentante en épargne collective rattachée à Mica Capital inc.

Philippe Ventura, CFA, président et conseiller en sécurité financière chez Chevalier, Meunier et Associés, abonde dans le même sens. Il rappelle essentiellement la règle infaillible d’opter pour une stratégie d’investissement et de s’y coller par la suite, sans égard aux manchettes de l’actualité et aux bruits ambiants des réseaux sociaux. « La pire erreur des investisseurs est de tenter de synchroniser le marché, en sortant de celui-ci sans motivation valable ou en achetant l’idée à la mode du moment », souligne-t-il. M. Ventura suggère également à ses clients un rééquilibrage de leur portefeuille vers la cible identifiée au préalable. « Ainsi, personne n’aurait eu 30 % de son portefeuille investi en valeurs technologiques lors de la bulle des années 2000 », conclut-il.

Twitter, une carte cachée pour investir à la Bourse? Pas pour l’instant, du moins, obligeant encore ainsi le conseiller à faire ce qu’il fait de mieux : user de son expertise en prêchant ses bons conseils.

Cet article est tiré de l’édition de juin du magazine Conseiller. Consultez-le en format PDF.

Dominique Lamy