Cessez de pleurnicher

Par Philip Porado | 26 avril 2007 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
7 minutes de lecture

(26-04-2007)Vous croyez avoir la vie dure avec les organismes de réglementation? Vous n’avez rien vu.

CONSEILS EN MATIÈRE DE CONFORMITÉ

Je suis un gars patient. Et je ne fais que très rarement la morale. Mais j’avoue que je commence à en avoir assez des gens qui se plaignent de la nature draconienne de la réglementation dans le domaine des services financiers canadiens. Et c’est sans compter les lettres envoyées à notre alter ego, le magazine Advisor’s Edge, concernant la complexité du processus de divulgation des frais de courtage.

Je vais vous faire une confidence: je suis Américain, mais plus pour très longtemps. Dans un an, je traverserai la frontière, où je serai appelé à jurer fidélité à la Reine et à ses héritiers. Toutefois, avant de faire le grand saut vers ce grand et beau pays, j’aurai passé les dix dernières années à couvrir la scène de la réglementation financière à Washington. Ce qui signifie que j’en sais suffisamment pour affirmer que vous vous la coulez douce ici.

L’approche des États-Unis et du Canada en matière de réglementation découle de la façon dont les deux pays ont réagi à la grande crise de 1929. Le Canada a d’abord misé sur son secteur agricole en mettant sur pied la Commission canadienne du blé(CCB), afin de freiner la dégringolade du prix des marchandises. Ce n’est qu’au milieu des années 1930 que fut fondée la Banque du Canada, à qui on confia le mandat de superviser la politique monétaire. Du côté des États-Unis, les années qui suivirent la Grande Dépression furent particulièrement difficiles, du moins jusqu’à l’élection de Franklin Roosevelt en 1933. Par la suite, on adopta rapidement la Glass-Steagall Act, qui établissait des limites claires entre les banques, les maisons de courtage et les compagnies d’assurances. Puis, dans la foulée, vinrent une foule d’autres réglementations qui menèrent à la création de la Commission des valeurs mobilières des États-Unis(SEC)et formalisèrent le processus d’accréditation des conseillers en placement auprès du gouvernement fédéral.

À l’époque, le président demanda au tout premier commissaire de la SEC, Joseph Kennedy, de placer derrière les barreaux le plus grand nombre possible de ses anciens collègues, de manière à donner l’impression au public américain qu’on faisait le nécessaire pour assainir les marchés financiers. Disons simplement que la SEC – et l’ensemble des organismes de réglementation dont le pouvoir est attribuable à cette dernière – a pour ainsi dire conservé cette mentalité pour le moins punitive.

En général, les organismes de réglementation américains se basent sur l’analyse de délits réels, ainsi que sur des suppositions quant aux crimes qui pourraient être perpétrés si rien n’était fait, pour établir leurs lignes directrices. Normaliser au plus bas dénominateur commun permet certes d’éviter un certain nombre de méfaits. Toutefois, cette approche a également jeté les bases d’un système où les services juridiques et de conformité de chaque société de placement américaine scrutent à la loupe chacune des lois afin de les appliquer à la lettre, plutôt que d’en faire respecter l’intention générale. Ainsi, les individus désireux de transgresser les règles n’ont qu’à examiner la formulation de ces dernières pour trouver une façon de les contourner.

Ainsi, lorsque vous disposerez de quelques minutes entre deux appels à propos de la plus récente correction boursière, je vous suggère de consulter cette liste d’exigences en vigueur aux États-Unis, et auxquelles vous avez la chance d’échapper:

  • Une réglementation de la SEC obligeant les sociétés à répondre dans les 72 heures(bien qu’on ait volontairement laissé suffisamment de latitude dans le texte de loi pour permettre aux enquêteurs d’exiger que leur demande soit traitée dans un délai encore plus court)à toute requête de la part d’un organisme de réglementation fédéral ou d’État, ou encore d’un organisme d’autoréglementation(OAR), à propos des livres comptables ou des dossiers;
  • Tout individu susceptible de vendre un produit pouvant être considéré comme un titre de placement, ce qui inclut notamment les fonds communs et les programmes d’assurance liés à des titres de placement, doit obligatoirement être titulaire d’une licence portant sur les valeurs mobilières de catégorie 6 ou 7, en plus de respecter les exigences en matière de formation continue de la firme et des organismes de réglementation, s’il désire en poursuivre la vente; ou
  • Un obiter dictum fédéral qui établit de façon précise les spécifications techniques des systèmes informatiques utilisés pour archiver les informations vitales, telles que les extraits de compte préliminaires des clients, les brouillards et les formulaires de connaissance du client. L’interprétation de cette règle par la SEC offrait tellement peu de marge de manœuvre qu’on a dû la réécrire après qu’on eût identifié des limitations technologiques importantes susceptibles de rendre extrêmement complexe le processus d’archivage, en plus de faire grimper les coûts d’exploitation lors des premières phases de sa mise en application. Ce qui n’a toutefois pas empêché les organismes de réglementation d’exiger que les firmes se conforment à cette règle au cours des années en question.

Je vais vous confier un petit secret… vous vous la coulez douce ici.


Puis, il y a la masse de nouvelles règles qui viennent s’ajouter chaque année. Lors d’une année particulièrement occupée, la SEC peut proposer plus de 40 nouvelles règles, 30 d’entre elles étant finalement approuvées. À cela viennent s’ajouter les quelque 100 modifications proposées par des organismes d’autoréglementation tels que la National Association of Securities Dealers et la Bourse de New York. Ces dernières ne sont pas toutes approuvées par la SEC, cela va de soi, mais il en passe suffisamment entre les mailles du filet pour vous rendre la vie difficile. Alors que certaines d’entre elles portent sur des détails sans importance à propos des transactions et du marché en général, comme par exemple les frais versés par les membres pour avoir accès aux marchés, d’autres affectent de façon significative la structure de conformité des firmes et les obligent à investir des sommes importantes pour des mises à niveau technologiques liées à la conformité.

Ceci étant dit, cette mentalité punitive peut parfois s’avérer profitable. Les conseillers en placement, les maisons de courtage et les agents d’assurance américains sont tout à fait conscients que les organismes de réglementation n’attendent qu’un faux pas de leur part pour se lancer à leurs trousses et mettre leurs bureaux sans dessus dessous. Et ils ont pris les mesures appropriées pour que, justement, ça n’arrive pas.

Il y a trois ans, la SEC a suggéré qu’on oblige dorénavant toute personne responsable de la vente de rentes variables à dévoiler toutes les informations pertinentes à propos des frais de courtage et des conflits d’intérêts potentiels lors de la transaction. Bien que les groupes de pression de l’industrie aient remis en question certains détails techniques de cette réglementation, ils étaient d’accord avec le concept de la divulgation, selon Judith Hasenauer, associée déléguée chez Blazzard Grodd & Hasenauer à Fort Lauderdale, en Floride. Toutefois, ils voulaient tout de même éviter les problèmes empêchant la mise en application des réglementations de la SEC à propos des livres comptables et des dossiers. L’industrie a donc proposé et financé la création d’une plate-forme Internet permettant aux consommateurs de comparer aisément les véhicules de placement disponibles en fonction d’une foule de critères, y compris les frais de courtage.

Cette modification proposée par la SEC permit également de rouvrir le débat portant sur le traitement continu des transactions boursières, puisque ces mêmes technologies pouvaient dorénavant être utilisées pour aider à clarifier le processus de divulgation et à promouvoir la transparence auprès de la clientèle. Cette initiative est attribuable à Christopher Cox, président de la SEC et probablement le membre de la commission le plus versé dans la technologie depuis le départ de Laura Unger il y a quelques années. De plus, l’industrie s’est montrée ouverte au changement et prête à aller encore plus loin que ne l’avaient espéré les clients et les organismes de réglementation.

«Je ne me considère pas comme une protectrice des consommateurs, souligne Mme Hasenauer. Mais c’est excellent pour les affaires.»

Après tout, n’est-ce pas ce qui compte?

AER

Philip Porado