Financement et prise de garantie

24 octobre 2012 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
9 minutes de lecture

Advenant l’insuffisance des liquidités d’une entreprise, celle-ci fera appel à des tiers (des prêteurs ou des investisseurs) pour financer ses opérations. Une entreprise pourrait avoir de nombreux actifs, mais tout de même manquer de liquidités pour faire face à ses obligations courantes. L’entreprise aura alors besoin d’une marge de crédit qui fluctuera en fonction de ses besoins de liquidités, lesquels seront en corrélation avec la perception de ses comptes clients, la rapidité avec laquelle elle paie ses fournisseurs et la valeur de ses stocks. Les actifs qui seront donnés en garantie font partie des « actifs à court terme », par opposition aux « immobilisations » ou « actifs à long terme ». Il est sage de financer à court terme ses actifs à court terme, et de financer à long terme ses immobilisations.

Pour obtenir du financement, une entreprise doit généralement fournir des garanties aux prêteurs. Ainsi, ceux-ci limitent leurs risques en prévoyant un recours en cas de défaillance de l’entreprise dans le remboursement de sa dette. Ce recours peut être dirigé vers une personne, on parle alors de garantie ou sûreté personnelle, ou vers un bien, il s’agit alors de garantie ou sûreté réelle.

Lorsque les banques prêtent sous garantie des stocks et des comptes clients d’une entreprise, elles peuvent se prévaloir des dispositions de l’article 427 de la Loi sur les banques. L’enregistrement d’un préavis est nécessaire afin de rendre la sûreté opposable aux tiers. Signalons que le registre dans lequel l’enregistrement est effectué s’étend à tout le Canada, par province. Aujourd’hui, les provinces ont toutes adopté des lois relatives aux sûretés mobilières. Au Québec, les hypothèques mobilières peuvent grever des biens spécifiquement identifiés ou même une universalité de biens. Nous retrouverons très souvent des créanciers qui garantiront leurs prêts par l’universalité des comptes clients présents et à venir, des marchandises destinées à la vente, des produits finis, en cours de fabrication ou de transformation et par les indemnités d’assurance couvrant ces biens.

Me Pierre F. Delorme

Un cas fait jurisprudence

Il existe encore une incertitude jurisprudentielle quant au droit de préférence entre les garanties en vertu de l’article 427 de la Loi sur les banques et les sûretés régies par les lois provinciales sur les sûretés mobilières. Cette question a été étudiée dans l’affaire Transport Consol (1998) inc. (Faillite de), dont la décision a été rendue le 31 août 2004. Le juge Bernard Godbout a décidé que l’hypothèque mobilière du créancier grevait un véhicule loué à un tiers par l’emprunteur aux termes d’un bail à long terme, et ce, même si ce bail n’avait pas été publié au registre des droits personnels et réels mobiliers (RDPRM).

Les faits dans cette affaire sont les suivants : la Banque de Montréal finance les activités commerciales de Location Rompré qui, le 8 avril 2002, lui consent une hypothèque mobilière sans dépossession. Cette hypothèque porte notamment sur l’universalité des véhicules de quelque nature que ce soit, loués ou destinés à être loués. Location Rompré consent également à la Banque de Montréal une garantie suivant l’article 427 de la Loi sur les banques, qui porte notamment sur l’universalité des véhicules de quelque nature que ce soit, loués ou destinés à être loués.

Le 26 novembre 2003, Transport Consol fait cession de ses biens et Groupe Thibault, Van Houtte et associés Ltée est nommé syndic à sa faillite. Comme les deux véhicules automobiles loués sont en la possession du failli, la Banque de Montréal dépose entre les mains du syndic une preuve de réclamation de biens. Le syndic rejette cette preuve de réclamation, invoquant que le bail à long terme entre Transport Consol et Location Rompré n’a pas été publié au RDPRM. Selon lui, il s’agit d’éléments d’actif libres qui ne sont pas grevés en faveur de la Banque de Montréal. Il prétend donc qu’il est propriétaire des deux véhicules automobiles.

La Banque de Montréal conteste la position du syndic en précisant que ses droits résultent de son hypothèque mobilière et de sa garantie aux termes de l’article 427 de la Loi sur les banques et non du bail à long terme. Elle ajoute que, comme les deux véhicules automobiles n’ont pas fait l’objet d’une aliénation dans le cours normal des affaires de son emprunteur, elle a le droit de les revendiquer.

En l’espèce, c’est le créancier hypothécaire et détenteur d’une garantie en vertu de l’article 427 de la Loi sur les banques qui invoque ces garanties pour revendiquer deux véhicules automobiles que son emprunteur a loués sans en avoir publié le bail.

Le juge a appliqué les dispositions du Code civil relatives au droit de suite (art. 2660) et semble également tenir compte de la priorité que l’article 428 de la Loi sur les banques accorde au créancier, sans toutefois le décider clairement. Pourtant, c’était sans doute la question la plus intéressante que comportait cette décision puisque, comme il a été mentionné plus haut, sans cet élément, il s’agissait d’une application du droit de suite du créancier hypothécaire détenteur d’une hypothèque mobilière portant sur une universalité de biens.

Comme dans le cas précédent, il est donc fréquent aujourd’hui de voir que les banques garantissent leurs prêts par l’application de l’article 427 de la Loi sur les banques et par l’inscription d’une hypothèque mobilière.

Me Alain Ménard

Un second cas

Une situation de besoin de liquidités se retrouvera aussi dans le cas d’une entreprise qui fait une acquisition. La fourchette entre le maximum et le minimum de capital requis pour faire l’acquisition variera selon le type d’acquisition (actifs c. actions) et selon le montant nécessaire pour satisfaire au ratio d’endettement des institutions prêteuses.

Plusieurs institutions prêteuses se spécialisent dans le financement d’actifs tangibles, mais aucune dans l’achat d’achalandage, on comprend alors l’importance de procéder à une réévaluation des actifs tangibles susceptibles de satisfaire à leurs critères. Heureusement, les anciennes dispositions des lois sur les compagnies qui empêchaient qu’une compagnie prête à sa compagnie mère ou garantisse les dettes de sa compagnie mère n’existent plus et il est beaucoup plus facile aujourd’hui de financer une transaction d’acquisition en finançant les actifs de la compagnie faisant l’objet d’une acquisition.

On devrait tenter de répartir le financement entre diverses institutions financières, ce qui est d’autant plus normal qu’aucune d’entre elles ne se spécialise dans tous les types de financement qui doivent être mis en place. L’idéal serait de faire financer les comptes clients et les stocks par une banque et les immobilisations par un prêteur à terme qui exigera une hypothèque sur les immeubles et sur les autres biens mobiliers. Encore là, il peut y avoir un avantage important à faire financer ses équipements par une institution prêteuse différente de celle qui financera les immeubles puisqu’il s’agit de crédit à moyen terme dans lequel certaines institutions financières se spécialisent.

Si les emprunts de l’acheteur joints à ceux de l’entreprise cible risquent de nuire au développement de l’une ou l’autre entreprise, l’acheteur devra inviter une ou plusieurs tierces parties à participer au risque sous forme de prêt subordonné ou de participation au capital, la plupart des institutions prêteuses assimilant à du capital toute forme d’investissement prenant rang après leurs propres garanties. Il s’agit-là d’une décision extrêmement importante puisque la nature même du leadership et de l’entreprise sera affectée par la présence d’un actionnaire dont l’objectif principal est un rendement à court terme sur son investissement. Aussi, avant de songer à inviter une institution financière, l’acheteur devrait envisager la possibilité d’obtenir un solde de prix de vente non garanti ou garanti par une hypothèque de deuxième rang sur les actifs vendus, quitte à permettre à l’acheteur de conserver une certaine fraction de la valeur nette pour lui permettre de tenir compte du risque additionnel. En ce cas, il y aura lieu de négocier une option d’achat sur telle participation. Les autres sources de participation au capital sont en général les suivantes :

• Dans une économie qui s’internationalise et où l’on doit prendre les moyens pour sortir le plus rapidement possible des frontières du Québec, on peut songer à inviter un investisseur de l’extérieur du Québec ou du Canada qui, d’une part, pourrait apporter à l’entreprise un certain savoir-faire technique et commercial qu’elle ne possède pas et une connaissance de certains nouveaux marchés et d’autre part, accepterait de valoriser son investissement en fonction des économies réalisées en épargnant ses propres frais de démarrage d’entreprise;

• Contrairement à la situation qui existait il y a très peu d’années, plusieurs institutions financières se spécialisent maintenant dans ce genre de financement non garanti en espérant un rendement très important : ce sont essentiellement les sociétés de capital de risque qui investissent immédiatement dans le capital actions avec des objectifs à moyen terme et les sociétés spécialisées dans le financement subordonné (mezzanine financing) qui consentent des prêts subordonnés à des conditions raisonnables en exigeant des options d’achat d’actions de la société qu’elles espèrent exercer à court terme concurremment à un appel public à l’épargne;

• L’acheteur pourra songer également à inviter les cadres supérieurs de son entreprise ou de l’entreprise cible à participer au capital, étant bien entendu que la formule d’intéressement sera fort différente selon que l’objectif est de recueillir du capital ou de s’assurer de la loyauté et de la performance des cadres;

• Il y a également lieu pour l’acheteur d’examiner les avantages fiscaux que les gouvernements mettent à la disposition des investisseurs pour les inciter à participer au capital des entreprises. De tels abris fiscaux devraient inciter un nombre de plus en plus important d’individus éclairés à investir dans le capital-actions.

Quelques remarques

Il est à conseiller, dans tous les cas où un entrepreneur invite un tiers à participer à son capital, et que l’apport de celui-ci se limite à une contribution financière, de tenter de négocier une option d’achat ou de rachat de ses actions, même à un prix qui peut paraître exorbitant.

Dans le cas où l’objectif est de la nature d’un regroupement ou d’une fusion, on devra se rappeler que les dispositions de nos lois fiscales permettent de reporter toutes les conséquences fiscales d’une vente d’éléments d’actif dont la considération est payée sous forme d’actions de l’acheteur, pour la partie du prix de vente correspondant à la différence entre la juste valeur marchande des actifs acquis et leur valeur fiscale. Une telle possibilité peut être utile, entre autres, lorsque le vendeur accepte de continuer à détenir une partie du capital de l’entreprise vendue ou des entreprises regroupées.

Cette rémunération a pour but d’inciter l’entrepreneur à tenir compte des possibilités financières, légales, comptables et fiscales qui sont à sa disposition lorsqu’il prépare son projet d’acquisition. Pour ceux qui le feraient encore, il faut cesser d’évaluer en matière de valeur comptable, de ne planifier qu’en fonction de ses surplus de fonds de roulement, de ne voir l’avenir qu’en fonction de ses bénéfices budgétés et de fixer à un trop bas niveau les limites de l’impossible. Qu’il le veuille ou non, l’entrepreneur est condamné à élargir sa place sur le marché et pour ce faire, à utiliser non seulement ses ressources financières, mais également tout l’effet de levier que celles-ci peuvent générer.


Jean-Guy Grenier, conseiller principal en planification fiscale, financière et successorale chez Desjardins.

Voici les questions que le conseiller doit étudier avec son client, afin de faciliter le travail en matière de financement et de prise de garantie :

1. Quelles garanties, autres que les actifs libres non encore grevés de l’entreprise, pourriez-vous offrir à un tiers prêteur ?

2. Avez-vous songé à la façon de fidéliser certains cadres et de rassurer vos fournisseurs de capitaux supplémentaires?

Jean-Guy Grenier, BAA, CMC, AdmA, Pl.Fin., conseiller principal en planification financière, fiscale et successorale, Desjardins Sécurité financière.

Cet article est tiré du magazine Conseiller. Consultez-le en format PDF.