Gestion de fortune : un immense potentiel au Québec

Par Gérard Bérubé | 17 novembre 2009 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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La gestion de fortune privée a subi un choc au cours de la crise actuelle. Soudainement, les modèles traditionnels de répartition d’actif ne tenaient plus, et il revenait aux liquidités d’offrir le meilleur rendement. Dans cette conjoncture où les grandes lois de la finance ont été bafouées et où les grandes institutions financières ont dû se débattre pour préserver leur réputation, un nom ressort, celui d’Optimum.

Selon les données de Gestion privée 1859 (Banque Nationale), en 2006, 471 000 ménages canadiens affichaient un actif net d’un million ou plus à investir. Aujourd’hui, ce club sélect oscillerait entre 400 000 et 450 000 familles, récession et chute des marchés obligent. Dans cinq ans, il comptera un peu plus d’un million de membres, soit une multiplication par 2,2. Selon les parts de marché, en 2006, 3,3 % des familles canadiennes revendiquaient un tel actif net à investir, retenant 66 % de la richesse. En 2016, ces pourcentages passeront respectivement à 6,4 % et à 74 %.

Les meilleurs rendements obtenus Au Québec, une douzaine de grands noms se disputent ce marché composé d’un nombre de clients restreints. S’ajoutent les banques, qui composent le Top 5 de l’industrie. À partir des données publiées par Mercer et Morneau Sobeco, ces spécialistes affichaient, au 30 juin dernier, un rendement annuel moyen de – 10 %. C’est tout de même mieux que l’indice de référence, qui s’inscrivait en recul de 13 %. Un nom se démarquait, celui d’Optimum Gestion de placements, qui affichait un rendement en définitive nul. « Nos clients n’ont pas perdu d’argent dans la pire crise des 100 dernières années », se félicite Sylvain Tremblay, son vice-président des relations d’affaires, Gestion privée.

Sur cet horizon d’un an, la pire performance a été inscrite par Landry Morin (- 16 %), précédé par Montrusco Bolton (- 14 %). Au Mouvement Desjardins et à la Financière Banque Nationale, on a joué la moyenne de l’industrie (- 10 %). Le nom de référence dans l’industrie, Letko Brosseau, a affiché un rendement négatif légèrement inférieur à 9 %, alors que le célèbre cabinet Jarislowsky Fraser a inscrit une performance négative légèrement supérieure à 6 %.

Cela vaut pour une période de 12 mois terminée au 30 juin dernier, en plein marasme des marchés financiers. Optimum se démarque également sur trois ans, avec un rendement annualisé de près de 3 %, battu cependant par Regar Gestion financière (près de 3,5 %). Le rendement annualisé des autres joueurs oscille entre – 4 % et + 1,3 %, alors que l’indice de référence emprunté à l’univers des fonds équilibrés affiche un recul annuel de près de 2 % sur cette même période de trois ans.

Sur cinq ans, Letko Brosseau occupe la première place avec un rendement annuel de près de 6 %, suivi par Regar (5,5 %). Le troisième rang est occupé par Lombard Odier et Landry Morin, qui revendique chacun un rendement annuel de près de 4,5 %. Optimum suit avec 4,2 % par année, surpassant de peu Jarislowsky Fraser, qui comptabilise un rendement annuel dépassant les 4 %. L’indice de référence dans le secteur est de moins de 3 % .

Le cas d’Optimum Michel Nadeau, directeur général de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques, retient que lors de cette crise, les grandes lois de la finance n’ont tout simplement pas fonctionné. Ainsi, les gestionnaires priorisant la gestion de risques s’en sont mieux tirés alors qu’à l’autre extrême, ceux jouant la carte du momentum ont éprouvé de graves difficultés. « Il va falloir redonner confiance aux gens, offrir une vision claire qui repose davantage sur le bon sens et moins sur les modèles mathématiques. La quête de l’alpha, fondée sur le talent des gestionnaires, n’a pas rapporté. »

« Lors de la dernière correction, celle des années 2001 et 2002, nous avons également offert une performance positive », ajoute Sylvain Tremblay. Optimum se distingue justement par une démarche qui n’accepte aucun compromis face au risque. Dans la trilogie rendement/portée fiscale/préservation du capital, le cabinet retient une démarche prudente. « Certes, nous allons utiliser des stratégies ciblées, lorsqu’il y a opportunité et pour des cas précis. Nous l’avons fait en réalisant des pertes en capital stratégiques, ou en les cristallisant. Mais nous ne compromettrons pas la sécurité du capital ni le rendement pour des gestes de nature fiscale. »

« Les actuaires sont prédominants chez nous. Ils colorent l’organisation. La gestion du risque est prépondérante », insiste-t-il.

Fondé en 1985, Optimum Gestion de placements abrite un actif sous gestion de 2,4 milliards, dont 360 millions en gestion privée, le reste étant institutionnel. Le cabinet accepte les comptes inférieurs, mais en gestion privée, la barre est fixée à 500 000 $ d’actif net à investir, une limite qui permet une bonne diversification. Ne disposant pas d’un réseau de distribution, le cabinet recrute sa clientèle par le bouche à oreille ou l’obtient par références, provenant notamment de firmes d’expert-comptables. « Le service à la clientèle est l’élément clé. Nous devons leur simplifier la vie. Ils doivent se sentir bien avec nous. Et nous ne lésinons pas sur l’aspect légal et la sécurité de notre activité, particulièrement sensibles en ces lendemains des affaires Norbourg et d’Earl Jones. »

Quant à l’état de santé du secteur, « il est très bon. Il va y avoir du ménage, c’est certain, et des transferts de capitaux, d’un cabinet à l’autre », indique Sylvain Tremblay, dont le cabinet a reçu cette année de nouveaux mandats pour lesquels il avait soumissionné. Mais avec le rythme croissant de nouvelle épargne, avec la contribution grandissante des transferts intergénérationnels, notamment sous la forme d’héritage et de ventes d’entreprise, avec tous ces retraits des REER et ces comptes immobilisés qu’il faudra liquéfier, l’activité ne manquera pas.

« Avec le vieillissement, de plus en plus de gens ont de l’argent, des ressources ; d’importants réservoirs de capitaux deviennent accessibles. La période actuelle est la plus florissante pour le patrimoine privé de toute l’histoire du Québec, surtout chez les francophones », a ajouté Michel Nadeau.

« Il y a 25 ans, lorsque j’ai débuté dans la profession, un compte de 500 000 $ était plutôt rare. Aujourd’hui, moins… » Sylvain Tremblay parle de deux gros créneaux porteurs, soient les héritages et la vente d’entreprises. « Avec les héritages, le problème majeur consiste à conserver l’actif sous gestion. Avec ces fortunes appelées à se diluer lors de la liquidation de la succession, il faut se rapprocher des héritiers. » Pour leur part, les transferts impliquant la vente d’entreprise portent sur des montant souvent plus élevés, et arrivent entre les mains d’entrepreneurs plus jeunes.

« C’est un public très difficile, très exigeant, extrêmement émotif, qui fait appel à beaucoup d’expertise », renchérit Michel Nadeau. « On ne s’improvise pas spécialiste dans la gestion du patrimoine. » L’ex-numéro deux de la Caisse de dépôt et de placement du Québec souligne que l’angoisse de tout perdre est intense chez une personne qui dispose d’une fortune de 40 millions de dollars et moins. Cette angoisse atteint son paroxysme chez ceux qui possèdent de 10 à 15 millions, de dollars alors qu’au-delà de 40 millions de dollars, « on devient plus détendu. On sait que même s’il y a des pertes, on dispose d’un bon coussin. » Une autre réalité concerne, cette fois, le particulier. Les spécialistes reconnaissent que les gens ont tendance à surestimer le temps qu’il reste avant la retraite et à sous-estimer le temps qu’ils passeront à la retraite, sans oublier l’effet de l’inflation, également sous-estimé, qui peut être dévastateur dans un contexte de retraite prolongée, dans ce contexte de faibles rendements. « Les gens ont souvent une vision peu réaliste. Ils font fi de l’horizon de placement. On va notamment voir leur portefeuille surpondéré en actions à l’approche de grands événements, telle la retraite. Ils sous-estiment l’effet de volatilité des marchés, leur longévité et l’effet d’inflation », résume le vice-président d’Optimum.

Sylvain Tremblay parle d’une période charnière pour la retraite, d’une période de pointe entre 60 et 72 ans, et d’une combinaison de multitudes d’instrument (REER, FERR, CRI, CELI, régime complémentaire, suppléments de revenu des régimes publics de retraite, compte de dividendes en capital, etc.) « Les considérations sont nombreuses et parfois complexes », résume-t-il. Selon certaines extrapolations faites à partir de données de Capgemini, une des plus importantes sociétés de services en ingénierie informatique, l’actif financier à investir devait totaliser 4200 milliards au Canada en 2010. Quant aux transferts d’entreprise, ils étaient appelés à s’élever à 1200 milliards de dollars d’actif, également en 2010. Voilà donc beaucoup de travail en perspective.

Paru dans le numéro de novembre du magazine Conseiller, cet article est aussi disponible en version PDF.

Gérard Bérubé