La valeur du conseil

1 juin 2010 | Dernière mise à jour le 1 juin 2010
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Le mois de juin marque le 10e anniversaire du magazine Conseiller. En effet, depuis 2000, le magazine poursuit sa mission d’informer et de défendre les intérêts des professionnels des services financiers. À cette occasion, Conseiller.ca, le site Web de la publication, vous propose tout au long du mois de juin des articles thématiques autour du conseil financier. Ces articles composent également le numéro souvenir marquant cette première décennie de la publication imprimée. Bon anniversaire… à vous !

Voici le premier article de notre série anniversaire.

La valeur du conseil « L’autre jour, un client m’a appelé pour acheter une police d’assurance pour son fils. Il était prêt à acheter tout de suite, mais il ne voulait pas s’asseoir avec moi. J’ai refusé », raconte Larry Bathurst, associé chez Planex Solutions Financières. Tout le monde peut vendre de bons produits financiers ; ce n’est pas ça qui me valorise en tant que conseiller. Il est essentiel pour moi de passer du temps avec chaque client. » En ces quelques mots, M. Bathurst résume bien la philosophie qui régnait à la table ronde tenue dans les bureaux de Conseiller, à l’occasion du 10e anniversaire du magazine. Sous l’intitulé La valeur du conseil, cette table ronde réunissait des lecteurs du magazine engagés dans une discussion à bâtons rompus sur l’industrie et le métier.

Autour de la table donc, 11 professionnels aux expériences variées mais au constat unique : la valeur du conseil réside autant dans l’expertise que dans l’écoute des clients; ces deux données permettent d’établir des stratégies qui collent aux projets, au style de vie et à la personnalité de chacun.

« La valeur d’un gestionnaire de portefeuille se mesure à sa performance du dernier mois, tandis qu’un conseiller peut retenir ses clients grâce à la relation de confiance qu’il établit avec eux. Et les conseillers sont prêts à payer cher pour cette confiance-là », tranche Sylvain Tremblay, vice-président aux relations d’affaires en gestion privée à Optimum.

Bâtir la confiance « En nous accordant sa confiance, la personne assise en face de nous offre son plus beau cadeau, renchérit Yves Charbonneau, conseiller indépendant associé à l’Industrielle Alliance. C’est un cadeau extraordinaire, mais il s’accompagne d’une responsabilité : nous sommes responsables de la vie financière du client, de sa retraite, de son bien-être. C’est pour cela que j’accompagne mes clients pendant de longues années. Quand je me trouve dans un salon funéraire et que la moitié des visiteurs sont mes clients, ils voient bien que je serai là jusqu’au bout. Le conseil, ça va du début à la fin. »

Et chaque début est crucial pour la suite, selon Bernard Martin, planificateur financier pour Desjardins cabinet de services financiers. « Quand je rencontre un nouveau client, je veux tout savoir : le nom de ses enfants, ses projets de vacances… Chaque fois, celui-ci me dit  que c’est la première fois qu’on lui pose ces questions-là ! » Pour moi, les questions en apparence anodines sont très importantes, car elles montrent que je ne veux pas juste l’argent du client, que je m’intéresse vraiment à lui. »

Au-delà des apparences, la connaissance approfondie de chaque client permet aussi d’éviter les erreurs de jugement. « Bien connaître les clients, ça permet de ne pas s’exciter quand ils annoncent de grosses sommes, et de rester constants dans nos recommandations, juge le planificateur financier indépendant Jean-Pierre Vachon, de Vachon et Associés. Mes clients me disent que je leur répète la même chose depuis 15 ans, quoi qu’il arrive. Mais c’est justement en restant constant que l’on conserve la confiance, pas en faisant la girouette. »

Même son de cloche de le part d’André Buteau, de la Financière Liberté 55, pour qui les moindres événements de la vie d’un client sont l’occasion de renforcer la valeur du conseil. « La vie est faite de changements continuels, qu’il s’agisse de l’achat d’une auto ou d’un changement de carrière, souligne-t-il. C’est en suivant tous ces événements que j’aide mes clients à cheminer dans leur vie. Je les invite à développer le réflexe de m’appeler avant de poser des gestes, plutôt que de me faire intervenir après les faits. »

La retraite, un tournant crucial Cette relation de confiance prend tout son sens quand survient la retraite, un passage très sensible pour bien des clients. « On passe notre temps à bâtir le capital des clients, et le jour où ils doivent le décaisser, la dynamique change du tout au tout », témoigne Hélène Gagné, planificatrice financière chez PWL Capital. « J’ai rencontré récemment un retraité avec un portefeuille de 2 M$, dont 85 % était en actions. La volatilité était son amie quand il bâtissait son capital, mais une fois venu le temps de le décaisser, elle devient sa pire ennemie. C’est là qu’intervient la valeur de mon conseil, car je suis autant outillé pour bâtir le capital que pour le décaisser », conclut Mme Gagné.

« Après la retraite, le client doit s’en remettre entièrement à nous : il n’est plus en contrôle », reconnaît Léon Lemoine, planificateur financier de Gestion Ethik. « Il faut bien prendre le temps de lui expliquer ce qu’on va faire pour lui et de souligner l’importance de chaque étape, pour s’assurer que le passage à la retraite se fasse en douceur. »

« Un de mes clients prend bientôt sa retraite avec 3 M$, et il est aussi inquiet que mes clients qui ont 200 000 $ », témoigne Larry Bathurst. « L’exercice du plan financier est salutaire à ce moment-là. Il offre la garantie que l’inquiétude va disparaître parce que l’incertitude disparaît aussi, quitte à travailler quelques années de plus. L’incertitude, c’est l’ennemi à abattre. »

Norbourg et compagnie : une mise à l’épreuve Actualité oblige, le thème des scandales financiers a plané tout au long des discussions. Norbourg, Earl Jones et la crise du papier commercial (PCAA) ont mis plus que jamais à l’épreuve la confiance entre conseillers et clients.

Certains ont traversé la tourmente sans heurt, comme Kaddis Sidaros, planificateur financier et assureur vie indépendant qui sert une clientèle fidèle depuis plus de 40 ans. « J’en suis à ma troisième génération de clients. Alors, quand on parle de scandales, c’est comme parler de la guerre en Afghanistan : on ne se sent pas touchés, ni mes clients, ni moi. Je ne crois même pas qu’ils se soient demandé si je détenais un permis de l’AMF ! »

Mais la plupart ont fait face à des questions difficiles. C’est le cas de Larry Bathurst : « Certains m’ont fait des farces sur le sujet. Je sentais qu’ils devenaient inquiets. Souvent, ce sont leur banque ou leur comptable qui ont semé dans leur l’esprit des doutes à mon sujet. Mais j’ai reçu leurs questions avec beaucoup d’ouverture; j’aime mieux qu’ils m’en parlent plutôt que d’aller simplement voir ailleurs. »

« Un de mes clients qui faisait affaire avec moi depuis 15 ans a appelé chez Waterhouse à Toronto, sur les conseils de son comptable, pour vérifier que ses comptes s’y trouvaient bien », témoigne pour sa part Hélène Gagné. « Ma firme existe depuis 1996 seulement, nous ne sommes pas très connus, alors notre développement d’affaires est devenu difficile dans ce contexte. »

« Ces histoires prouvent que la confiance n’est parfois pas suffisante. Les clients d’Earl Jones lui faisaient confiance aussi ! », tranche Peter Tsakiris, planificateur financier au réseau PEAK.

Tous reconnaissent qu’un permis de l’AMF n’est pas une preuve suffisante de probité ; après tout, Vincent Lacroix en possédait un lui-même. Certains conseillers ont donc redoublé de transparence avant même que leurs clients le leur demandent. Léon Lemoine a envoyé à ses clients une copie de son assurance responsabilité ; Hélène Gagné leur a écrit un message résumant les mécanismes de protection qui entourent sa pratique. « Ce n’est pas parce qu’ils ne nous posent pas la question qu’ils ne se la posent pas ! », explique-t-elle.

« Ces histoires nous ont amenés à mieux nous documenter et à mieux documenter nos clients », conclut Yves Charbonneau. « Nous avons tous appris à redoubler de sérieux. »

Au fond, c’est le savoir-faire de nos conseillers qui leur a permis de traverser la tempête, croît Jean-Pierre Vachon : « Le risque de faire affaire avec un voleur représente moins de 1 % des problèmes qui peuvent survenir. Le plus grand risque d’un investisseur, c’est un conseiller qui n’est pas compétent. Il faut donc offrir aux clients toute l’information sur notre formation, nos références, nos modes de rémunération, etc. »

Après le conseil, la facture Parlant d’argent, la valeur du conseil se mesure aussi à la facturation. Freud disait que l’échange d’argent entre le patient et le psychanalyste fait partie de la cure, car il valide le rôle de chacun. Il en est de même pour le conseil en services financiers !

« Le client qui paye 2000 $ est intéressé à comprendre le processus et à y participer. Si le client ne voit pas ce que vaut votre travail, vous manquez l’occasion d’imposer le respect », juge Hélène Gagné.

« C’est comme les avocats : on en trouve à tous les prix, mais aucun ne donne de conseils gratuits. C’est cela qui est important », renchérit Jean-Pierre Vachon.

Nouveaux investisseurs, nouvelles attitudes Alors qu’une nouvelle génération arrive sur le marché de l’investissement, les conseillers font face à de nouvelles attitudes qui rendent difficile le développement d’une relation de confiance à long terme. « Nos clients plus jeunes sont difficiles à convaincre », témoigne Larry Yanakis, du Groupe Investors. « Ils vivent dans une société de désir où ils veulent tout réaliser immédiatement. Je fais beaucoup d’efforts pour leur faire comprendre le progrès qu’ils réaliseront en pensant à long terme. »

« Je leur explique la même chose qu’aux jeunes que j’entraîne au football : seuls les efforts et la discipline amènent à la victoire », affirme Léon Lemoine.

Encore faut-il pouvoir s’assoir avec ces jeunes investisseurs. « Mes enfants n’ont jamais été faire un dépôt auprès d’une caissière. Ils font tout par Internet, dit Bernard Martin. Le premier planificateur qui offre un service de conseil par webcam va s’emparer d’un nouveau marché. Je passe peut-être pour un extra-terrestre en affirmant cela, mais c’est vers ce genre d’échange que la relation client-conseiller va évoluer. »

La meilleure job au monde Nul n’en doute : les conseillers travaillent très fort. Accompagner des centaines de clients de façon personnalisée demande énormément de temps et d’effort. Mais les conseillers réunis à notre table ronde n’échangeraient leur job pour rien au monde.

« J’ai connu l’époque où un assureur vie était perçu comme un perdant qui se cherche une vraie job », raconte Kaddis Sidaros. Aujourd’hui, ce conseiller d’expérience enseigne trois jours par semaine au cégep; il écrit une chronique dans un journal, il a publié sept ouvrages et il est engagé dans une foule d’associations. « J’ai toujours adoré communiquer ma passion pour ce travail. Jusqu’à la fin, je continuerai à œuvrer pour qu’on nous reconnaisse comme des professionnels de haut niveau. »

« Je suis impatiente de rencontrer chaque nouveau client, témoigne pour sa part Hélène Gagné. Je suis fascinée de voir à quel point les gens se dévoilent quand on leur en donne l’occasion. »

Pour Larry Bathurst, c’est une question de qualité de vie. « Mon métier m’apporte avant tout la liberté. Je ne suis pas capable de rendre des comptes à un patron. Mais je suis aussi un altruiste qui n’hésite pas à aider les gens, qu’il s’agisse d’offrir du conseil financier ou même de guider de nouveaux pêcheurs dans une pourvoirie, si l’occasion se présente ! »

« J’ai connu les assureurs qui mettaient le pied dans la porte des gens ; je me disais que je ne serais jamais capable d’agir ainsi, se souvient Yves Charbonneau. Il suffit de retirer la barre du signe de dollar et d’en faire un S comme “service”. Quand les gens m’arrêtent dans la rue pour me présenter leurs amis ou quand ils m’envoient des cartes de Noël ou des dessins spontanés de leurs enfants, je suis énormément touché. Ce qu’ils me donnent n’a pas de prix. »

« Il y a le sentiment d’être utile à autrui, mais aussi de favoriser la richesse collective. Nous contribuons fortement à l’enrichissement de la collectivité québécoise, conclut Léon Lemoine. Chaque matin, je me lève en me demandant qui je vais aider aujourd’hui. Je suis un ancien scout, alors quand j’ai fait ma B.A. quotidienne, je suis content ! »

Cet article est tiré du numéro de juin du magazine Conseiller. Vous pouvez aussi consulter sur notre site les archives du magazine.

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