L’inventaire successoral : nécessaire ou non?

Par Sophie Ducharme | 17 février 2011 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Stepan Popov / 123rf

L’inventaire, obligatoire pour toute succession ouverte au Québec, est au cœur du processus de liquidation. En voici les grands principes. La loi prévoit qu’il s’agit d’une tâche que doit accomplir le liquidateur et oblige, à titre subsidiaire, les héritiers à assurer une vigie et, au besoin, à intervenir à ce sujet.

Quels sont alors les différentes retombées, selon que l’inventaire est produit ou non?

Tout d’abord, l’inventaire doit respecter une des règles prescrites par la loi : il doit prendre la forme d’un acte notarié en minutes, ou encore être produit sous seing privé devant deux témoins. Dans ce dernier cas, le liquidateur et les témoins le signent et y indiquent la date et le lieu où il a été fait. Cependant, si le testateur a expressément prévu à son testament une forme particulière, celle-ci devra être respectée par le liquidateur.

L’inventaire sert avant tout à témoigner de la teneur de la succession (actif et passif) et à l’estimer, y compris, le cas échéant, les créances résultant de la dissolution du patrimoine familial et du régime matrimonial, la prestation compensatoire qui pourrait être due au conjoint survivant et les créances relatives à la fiscalité. Le contenu de l’inventaire doit refléter le plus exactement possible la valeur du patrimoine de la personne décédée au moment de son décès, et il doit se terminer par une récapitulation de l’actif et du passif.

Une exception a été prévue quant à l’inscription des effets personnels du défunt. Dans ce cas, il suffit de les mentionner généralement dans l’inventaire et d’énumérer ou de décrire les vêtements, papiers personnels, bijoux ou objets d’usage courant dont la valeur excède pour chacun cent dollars. L’article 1328 du Code civil du Québec (C.C.Q.) qui traite de ce cas vise bien sûr à ne pas rendre l’exercice trop fastidieux ni trop onéreux. On peut toutefois s’interroger sur la limite de 100 $ par article, laquelle, actuellement, étant rapidement atteinte.

La loi prévoit également des règles particulières, voire allégées, quant à la description de certaines universalités de biens, par exemple la catégorie des biens meubles. Il est mentionné à l’article 1326 (1) du C.C.Q. qu’il suffit que cette universalité soit suffisamment spécifiée, et donc aisément déterminable.

La jurisprudence a reconnu que l’absence d’inventaire ne pouvait être invoquée par aucun débiteur du défunt, et que l’inscription d’une créance au chapitre des passifs constituait une reconnaissance de dettes de la part de la succession.

Une fois l’inventaire terminé, un avis de clôture doit être publié au Registre des droits personnels et réels mobiliers (RDPRM) au moyen de l’inscription d’un avis indiquant le nom défunt et précisant le lieu où l’inventaire peut être consulté par les intéressés (par ex., le créancier d’une dette). Cet avis est aussi publié dans un journal distribué dans la localité de la dernière adresse connue du défunt. Il importe de préciser que ce n’est pas le contenu de l’inventaire qui sera publié, mais le lieu où il peut être consulté.

L’article 796 du C.C.Q. prévoit que le liquidateur doit informer les héritiers, les successibles qui n’ont encore opté et les légataires particuliers, de même que les créanciers connus, de l’inscription de l’avis de clôture et du lieu où l’inventaire peut être consulté. Si cela peut se faire aisément, il leur transmet une copie de l’inventaire.

Ce faisant, il permettra aux successibles de déterminer si la succession est solvable ou non, et ainsi d’accepter la succession ou d’y renoncer à partir d’un choix éclairé. Tout intéressé peut contester l’inventaire ou l’une de ses inscriptions et même demander qu’on produise un nouvel inventaire.

L’inventaire facilitera la tâche du liquidateur par la suite, puisque le document lui servira de point de départ lorsqu’il remettra sa reddition de comptes finale aux héritiers. Ces derniers pourront juger de l’administration effectuée par le liquidateur .

La loi ne prévoit aucun délai précis pour la rédaction de l’inventaire. Toutefois, le liquidateur dispose indirectement de six mois à compter de la date de décès, car c’est de ce délai que jouissent les successibles pour accepter la succession ou y renoncer. Ce délai sera toutefois prolongé d’autant de jours qu’il est nécessaire pour que les successibles disposent de soixante jours à compter de la clôture de l’inventaire, pour opter.

Le testateur ne peut dispenser le liquidateur de faire l’inventaire en vertu du testament. Une telle clause serait réputée nulle puisqu’il s’agit d’un acte nécessaire à la liquidation et à la protection des droits des créanciers et des héritiers. Par contre, les héritiers majeurs et aptes peuvent dispenser le liquidateur de dresser un inventaire si la succession s’avère manifestement solvable. Pareille consigne a pour effet premier l’acceptation de la succession par les successibles qui n’auraient pas encore fait leur choix.

Second effet, et non le moindre, ils seront tenus d’honorer les dettes de la succession, et ce, au-delà de la valeur des biens qu’ils pourront recueillir provenant du patrimoine du défunt. Plus clairement, ils pourraient devoir payer certaines dettes du défunt à même leurs biens personnels, si nécessaire.

La production d’un inventaire revêt à ce point une importance capitale que le législateur a prévu, à l’article 800 du C.C.Q., que les héritiers — sachant que le liquidateur refuse ou néglige de faire l’inventaire, et négligeant eux-mêmes, dans les soixante jours qui suivent l’expiration du délai de six mois, soit de procéder à l’inventaire, soit de demander au tribunal de remplacer le liquidateur ou de lui enjoindre de procéder à l’inventaire — seront personnellement tenus de payer les dettes de la succession, si celle-ci s’avérait insolvable.

Un héritier s’appropriant les biens ou certains biens du défunt s’expose également à devoir assumer les dettes de la succession. Dans ce dernier cas, il importe de faire une distinction, selon que l’appropriation des biens a lieu avant ou après que l’inventaire est dressé. Si l’inventaire n’était pas encore terminé au moment de l’appropriation, l’héritier sera tenu d’assumer toutes les dettes de la succession à même ses biens personnels. Par contre, si l’appropriation a eu lieu après la production de l’inventaire mais avant la fin de la liquidation, il devra personnellement rembourser les dettes jusqu’à concurrence de la valeur des biens ainsi appropriés.

En certaines circonstances, la production d’un inventaire s’imposera d’emblée : si, parmi les héritiers, se trouvent des mineurs ou des majeurs protégés; si la solvabilité de la succession est incertaine (donc non manifestement solvable); ou si d’éventuels litiges entre héritiers sont à prévoir.

Bref, il est fortement recommandé de suivre le processus prévu au C.C.Q., soit de procéder à la rédaction de l’inventaire sous l’une des deux formes prescrites et d’en publier l’avis de clôture. Songeons simplement aux incidences fiscales parfois imprévues au moment du décès, à des poursuites non réglées ou à des dettes surprises qui peuvent apparaître. Autant de bonnes raisons de demeurer prudent!

Sophie Ducharme, notaire, Pl. Fin., vice-présidente, Fiducie et service-conseil, Gestion privée 1859, Trust Banque Nationale.


Cet article est tiré de l’édition de février du magazine Conseiller.

Sophie Ducharme