Prévoir sa séparation…

Par Anaïs Chabot | 28 janvier 2013 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Couple, dos à dos, tenant chacun un bout de coeur rouge brisé.
Vadim Guzhva / 123RF

Une séparation ou un divorce est une cause d’appauvrissement pour la plupart des femmes. Encore aujourd’hui, ce sont les femmes qui ont souvent le plus bas salaire dans le couple et elles qui, dans la plupart des cas, héritent de la garde des enfants. Que faire après une séparation, alors que l’on a moins d’argent, mais autant de bouches à nourrir? Conseiller s’est entretenu avec deux planificatrices financières et vous propose un article sur la question que vous pourrez distribuer à vos clientes et à vos clients.

Certaines choses peuvent être faites dès le départ pour faciliter la situation en cas d’éventuelle rupture. « Établir l’inventaire de chacun en début de relation, ça évite bien des problèmes après. Dans le cas des conjoints de fait, c’est prioritaire, parce qu’il n’y aura pas de partage du patrimoine à la séparation », explique Josée Jeffrey, planificatrice financière et fiscaliste.

Hélène Paradis, conseillère en placement à TD Waterhouse, croit également qu’il est important que les couples s’entendent dès le départ. « Même si ce n’est pas ce qu’il y a de plus romantique, il faut en parler dès le début de la relation, se mettre d’accord sur la manière dont on sépare les choses et être à l’aise avec notre décision », explique-t-elle. Et que conseille-t-elle à ses clients? « Il n’y a pas de meilleures stratégies que d’autres. Je suggère à mes clients de séparer les dépenses du ménage selon le revenu de chacun. S’il y a un membre du couple qui gagne deux fois plus que l’autre, je pense qu’il est normal qu’il contribue aux dépenses du ménage deux fois plus. Il y a certaines petites choses comme ça sur lesquelles on peut s’entendre dès le début. »

Les conjoints de fait ont intérêt à reprendre tout ce qu’ont les couples mariés sur le plan du partage du patrimoine familial et à signer une convention de vie commune, avance pour sa part Josée Jeffrey. « Cette convention va dicter toutes les conditions et les éléments du partage lors d’une rupture. » Elle suggère également que les conjoints de fait s’accordent dès le début sur le partage du Régime de rentes du Québec, sur les transferts de biens et de propriétés et sur les roulements automatiques, s’il y a lieu. « Il peut arriver que les roulements automatiques se fassent à la valeur marchande, mais si c’est le cas et qu’on estime qu’il y aura un impact fiscal à payer, il faudrait que les conjoints s’entendent à l’avance sur la manière dont ils diviseront le paiement sur la plus-value au moment de la séparation », ajoute-t-elle.

Josée Jeffrey croit elle aussi qu’il est important que le couple s’entende dès le début de la relation. Sinon, les conséquences de la séparation vont devenir plus difficiles. « Prenons l’exemple d’une propriété qui appartient seulement à l’un des conjoints. L’autre participera aux dépenses des ménages et à l’enrichissement de la maison pendant la relation. Si les conjoints se sont entendus dès le départ sur une compensation financière sur la plus-value de la propriété pendant la relation pour le conjoint qui n’est pas propriétaire, c’est plus facile. Sinon, l’autre doit démontrer après la séparation qu’il a contribué aux dépenses, ce qui est beaucoup plus difficile à prouver », ajoute la planificatrice et fiscaliste.

Selon Hélène Paradis, souvent, dans un couple, un des deux conjoints va prendre le contrôle des finances du ménage. « Il faut que l’autre, qui s’occupe moins de l’aspect financier du couple, soit au courant, qu’il sache où sont les documents, notamment en ce qui concerne les placements, qu’il sache où se trouvent les déclarations de revenus, les testaments, etc. Il est important de toujours jeter un coup d’œil sur les placements, les emprunts et d’être au courant de tout. C’est beaucoup moins stressant quand arrive une séparation, ou la perte du conjoint, puisqu’on sait quelle est notre situation financière. »

S’impliquer dès le début

  • Pour Hélène Paradis, plus le conseiller est impliqué tôt après la séparation, plus il est en mesure de mieux conseiller sa cliente. Cependant, on sait que si le couple avait déjà un conseiller, habituellement c’est plutôt l’homme qui le consultait. La confiance de l’ex-conjointe sera peut-être moins grande envers ce conseiller. « Je pense que les femmes doivent prendre le temps de s’asseoir avec ce conseiller et de poser les bonnes questions. Les femmes posent beaucoup de questions, veulent être écoutées. C’est important d’être conscient de cet aspect si on veut conserver la femme comme cliente. Elle doit vraiment avoir confiance en cette personne qui la guidera vers la retraite.
  • Il faut que les conseillers prennent le temps d’évaluer la nouvelle situation financière des clientes qui viennent de se séparer et qu’ils établissent des plans de retraite détaillés avec elles », conclut la conseillère en placement.

LES PREMIÈRES CHOSES À FAIRE

Pour Josée Jeffrey, la première chose à faire après une séparation, c’est d’avertir les gouvernements du changement de situation familiale. « J’ai souvent vu des femmes qui n’ont pas fait leurs changements auprès des gouvernements, pour les prestations fiscales, le crédit pour le soutien aux enfants, le crédit de solidarité, le crédit pour la TPS, etc. Très souvent, ces clientes ou leur ex-conjoint se sont retrouvés avec une facture du gouvernement lui réclamant des montants qu’ils auraient reçus en trop. Si ces clientes ne font pas leurs changements assez rapidement, elles le paieront à un certain moment. C’est vraiment à leur avantage de le faire, parce que sinon, c’est peut-être l’ex-conjoint qui recevra les chèques à leur place. »

Dans le cas d’un couple marié, il faut avertir les gouvernements lors du premier mois suivant la séparation. Dans le cas des conjoints de fait, il faut attendre 90 jours avant de les aviser. « Pour une femme monoparentale, cela peut faire toute une différence, puisque les prestations seront calculées selon son revenu individuel. Et comme les femmes gagnent souvent moins que les hommes, elles pourront aller chercher beaucoup d’argent ainsi », ajoute Mme Jeffrey, dont l’une des clientes a bénéficié grandement de ce revenu supplémentaire. « Ma cliente gagnait 22 000 $ par année et son ex-conjoint, 60 000 $. Depuis qu’ils sont séparés, elle n’arrête pas de recevoir des chèques et elle m’appelle pour être certaine qu’elle a droit à tout cet argent! Comme les calculs sont désormais basés sur son revenu individuel, les chèques sont plus élevés qu’auparavant. » Elle rappelle également que les parents sont tenus d’avertir les gouvernements de tout changement quant à la garde des enfants. Encore une fois, ça permet d’éviter des factures parce qu’on a reçu trop d’argent.

Une fois que ces changements fiscaux ont été effectués, il faut s’assurer de fermer tous les comptes conjoints et de réenregistrer les actifs (immobilier, placements, etc.) au nom des bonnes personnes, explique Hélène Paradis. « De plus, la cliente n’est pas obligée de conserver les mêmes prêts. Une séparation est le bon moment de renégocier les emprunts, de fermer certaines facilités de crédit », explique la conseillère en placement.

Josée Jeffrey ajoute qu’on doit aussi être certain d’avoir payé toutes les dettes conjointes et de bien changer les noms sur les baux, s’il y a lieu. « Il faut également faire attention, quand on se sépare, à ce que l’ex-conjoint ne soit plus le bénéficiaire de notre assurance vie. Il faut également revoir nos protections, car on ne veut pas laisser les enfants sans ressource en cas de malheur. Je suggère même que le couple s’entende dès le départ, afin que les enfants soient protégés. »

LE BUDGET, UNE PRIORITÉ 

Pour Josée Jeffrey, la priorité après une séparation, c’est de faire un budget. « Quand on est soumis à la restriction, on n’a pas le choix. La première recommandation que je ferais à une femme qui se sépare, c’est de dresser un budget. C’est plate, mais il faut le faire. Il faut non seulement diminuer les dépenses, mais les suivre aussi. »

Même son de cloche du côté d’Hélène Paradis. « Le budget, c’est vraiment la base. Une fois qu’on a établi le budget des dépenses et le budget discrétionnaire, on peut établir un objectif de retraite, de REEE, etc. Il faut fixer des priorités et réévaluer ses besoins. »

Tant pour Josée Jeffrey que pour Hélène Paradis, les femmes sont tenues de prendre conscience qu’elles doivent devenir autonomes financièrement et se prendre en main. « Non seulement il faut faire un budget, mais aussi analyser sa nouvelle situation financière, voir quelles seront les dépenses essentielles, définir les objectifs financiers, et refaire un plan de retraite – parce qu’on est toute seule désormais. Je crois également qu’il est important de déterminer dès le départ avec la cliente à quelle fréquence on réévaluera le budget, le plan de retraite et tous les autres aspects de la planification financière », précise Mme Paradis.

PLANIFIER LA RETRAITE… ET LES ÉTUDES DES ENFANTS 

Hélène Paradis le dit, les femmes qui viennent de se séparer doivent, en plus de faire un budget, penser à leur retraite, mais aussi à l’avenir de leur progéniture. Pour Josée Jeffrey, c’est même essentiel. « Il faut aussi planifier l’avenir des enfants. Avant de se séparer, il vaut la peine de s’entendre afin que chacun continue ou commence à cotiser aux REEE des enfants, si minime soit le montant. De plus, ça permet d’aller chercher des crédits d’impôt. »

Les femmes doivent également planifier leur retraite dans leur budget. Et c’est un fait connu qu’elles auront moins d’argent que les hommes une fois rendues là. Selon les dernières données de la Régie des rentes du Québec, les femmes reçoivent une rente moindre que celles des hommes. En effet, la rente moyenne des Québécoises équivaut à 52 % de la rente maximale, alors que celle des hommes représente 72 % de la rente maximale. C’est donc dire que le revenu des femmes est 40 % moins élevé que celui des hommes, à la retraite.

« Les femmes vivent généralement plus longtemps que les hommes », explique Hélène Paradis. Selon les plus récentes données de l’Institut de la statistique du Québec, l’espérance de vie d’une femme québécoise était de 83,6 ans en 2010, contre 79,6 chez les Québécois. « De plus, les femmes auront un horizon de travail moins long, puisqu’elles auront très souvent arrêté de travailler pour prendre soin des enfants, ou encore pour s’occuper de leurs parents, ajoute Mme Paradis. Aussi, si son conjoint est plus âgé, la femme aura tendance à prendre sa retraite en même temps que ce dernier. Ce sont elles qui ont le plus besoin d’argent à la retraite. Or, elles en auront moins, mais vivront plus longtemps. »

Même constat pour Josée Jeffrey, qui croit aussi que les femmes sont moins avantagées que les hommes à la retraite. « Non seulement elles ont moins cotisé au Régime des rentes du Québec (RRQ), elles ont aussi moins épargné. De plus, les femmes monoparentales ont plus de dépenses parce qu’elles ont leurs enfants à charge, explique la planificatrice financière. Je conseille toujours à mes clientes d’épargner 10% de leur revenu, toutefois 5 % est déjà un bon début. Pour moi, c’est une dépense obligatoire au budget. Et si mes clientes peuvent cotiser à un REER collectif à leur travail, je leur conseille cette option, puisqu’il y a une réduction d’impôt sur le salaire et que les frais de gestion sont moins élevés qu’un REER traditionnel. Les retraits automatiques aussi sont une bonne stratégie pour s’assurer qu’une cliente épargnera.

Garderie à 7 $… ou pas?

Selon Josée Jeffrey, les femmes qui ont un revenu moindre auront tendance à penser que les garderies à 7 $ sont plus avantageuses. « J’ai un gros bémol sur le sujet. Selon moi, plus notre revenu est bas, plus c’est avantageux de payer le 25 $ ou le 30 $ par jour, surtout si notre salaire est inférieur à 50 000 $ par année », avance la planificatrice financière et fiscaliste.

« Si on débourse 7 $ par jour, on n’est pas admissible au crédit d’impôt remboursable du gouvernement du Québec. De plus, on réduira le revenu imposable de seulement 7 $ au fédéral. Selon moi, quand on paye de 25 à 30 $ par jour pour la garderie, on réduit notre revenu imposable de 25 ou 30 $ par jour. En réduisant notre revenu imposable, les prestations fiscales reçues sont plus élevées. De plus, les prestations fiscales pour enfants et soutien pour enfant seront plus élevées. Ensuite, la cliente sera admissible au crédit d’impôt pour les frais de garde du gouvernement du Québec », explique Josée Jeffrey. Cependant, il faut convaincre ses clientes que c’est la bonne stratégie.

« Souvent, les clientes ont peur de payer ce montant quotidien. Mais, fiscalement, ça vaut la peine. Si les clientes sont salariées, elles peuvent demander directement une réduction fiscale sur leur paye au fédéral. Au provincial, elles peuvent recevoir des crédits d’impôt anticipés. Avant, ces crédits étaient remboursés trimestriellement. Aujourd’hui, les remboursements sont mensuels. C’est juste le premier mois qui sera le plus difficile financièrement », soutient Mme Jeffrey.

Mais attention. Cette stratégie n’est pas profitable à tous les clients. « La garderie à 7 $, ça devient avantageux pour les plus riches, ceux qui gagnent plus de 130 000 $, explique Josée Jeffrey. Les plus pauvres ont avantage à payer plus chaque jour ».

Petits conseils fiscaux de Josée Jeffrey

Certains faits fiscaux sont souvent ignorés ou mal connus des clients, et il peut parfois être avantageux pour leurs finances de les leur rappeler.

Les personnes à charge Les gens ont tendance à penser qu’il faut avoir vécu toute l’année avec un enfant pour avoir droit au crédit d’impôt fédéral pour personne à charge admissible. « Au contraire, s’ils ont vécu seuls avec un enfant à un certain moment au cours de l’année, ils ont droit au crédit d’impôt. C’est un montant assez important, surtout pour une cliente monoparentale. Certains clients qui font leur déclaration de revenus seuls vont penser qu’il faut avoir vécu toute l’année avec cette personne à charge, alors que ce n’est pas vrai », explique-t-elle.

Les reçus de frais de garde Pour Josée Jeffrey, il vaut mieux payer directement à la garderie la moitié des frais de garde plutôt que de rembourser le père de ses enfants. « J’ai vu des situations où la femme me dit : “C’est mon ex-conjoint qui paye, mais je lui rembourse la moitié”. C’est une erreur! Ma cliente ne pourra pas les réclamer au gouvernement. C’est seulement le payeur qui pourra les réclamer sur sa déclaration de revenus. Il vaut donc mieux payer directement les frais à la garderie, afin de pouvoir les réclamer dans sa déclaration de revenus », précise-t-elle.

Anaïs Chabot