Gagner la confiance par la philanthropie

Par Bernard Viau | 8 octobre 2021 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
7 minutes de lecture
vinnstock / 123RF

Dans nos réunions de bureau, les dons planifiés sont parfois abordés lorsqu’on parle de planification successorale.  Comment gagner la confiance en quêtant de l’argent ? Voici ce que la philanthropie a amélioré dans mes techniques de prospection.

En philanthropie, tout n’est pas qu’une question de crédits d’impôt. Soyons clair sur un point : sur le plan financier, faire un don n’est absolument pas rentable, même avec les crédits d’impôt. Ce n’est pas un abri fiscal.  Il existe donc un élément invisible à considérer pour comprendre comment approcher les clients en philanthropie et cet invisible c’est la rentabilité psychologique du don planifié.

Vos clients ne font pas un don pour sauver de l’impôt. Bien sûr, vous devez expliquer les aspects fiscaux, mais sans trop focaliser sur le montage financier. Demandez-vous à quelle philanthropie vos clients sont réceptifs. Une cliente un peu spéciale m’a fait comprendre cela il y a plusieurs années.

C’était une aînée, itinérante depuis plusieurs années, que je rencontrais souvent à une certaine époque de ma vie, ailleurs qu’au Canada. Elle passait d’une table à l’autre dans le café où je travaillais. Je lui offrais un café pour lui permettre de se reposer un peu. Un soir, je lui ai demandé qui étaient ses meilleurs « clients ».

« Les tables de 5 ou 6. Si je choisis la bonne personne au départ, les autres vont donner. Si je me trompe, alors personne ne donne. Tu sais, les gens riches, ça ne donne jamais grand-chose. De la petite monnaie, et ils donnent surtout pour que j’aille voir à une autre table. »

Les rapports annuels de Statistique Canada sur la philanthropie arrivent aux mêmes conclusions que ma grand-mère analphabète : en pourcentage, les riches donnent moins que les gens simplement aisés, ou même que la génération des jeunes adultes de 2020. La pression des pairs joue en philanthropie. Si la personne clé donne, les autres suivent. Que faites-vous lorsqu’un itinérant vous demande de l’argent ? Ne soyez pas surpris de la première réaction de vos clients quand vous parlerez philanthropie.

LES TYPES DE PHILANTHROPIE

Il y a 4 types de philanthropies où vous ne trouverez pas de clients : la philanthropie d’urgence, celle du missionnaire, la philanthropie religieuse et la philanthropie de prestige.  Demandez-vous plutôt si vos clients cadrent dans l’un ou l’autre de ces deux grands types de philanthropie.

  • La philanthropie de principe. Inconsciemment, on donne pour bien paraître en société, ou alors pour bien paraître vis-à-vis soi-même. Ces clients veulent que la petite vieille passe à une autre table, pour revenir à mon histoire. Le client donne parce que c’est la bonne chose à faire. Beaucoup de vos clients font de la philanthropie de principe.
  • La philanthropie sociale. Les clients qui cadrent avec cette philanthropie sont des territoriaux qui privilégient le bon voisinage. Marches, courses, dîners de gala, concerts ou tournois, l’important est que les fonds aillent pour leur hôpital, leur ville ou leur région. Un pourcentage très élevé de clients préfère la philanthropie sociale. Le meilleur exemple de philanthropie sociale est l’organisme Up with People.

Ne rien donner n’est pas une marque d’insensibilité, en psychologie, cela s’appelle l’apathie du spectateur.  Qu’importe à quelle philanthropie ils adhèrent, certains clients plus pratiques réfléchissent en termes de retour d’ascenseur, c’est le reçu d’impôt qui les intéresse. Ils calculent que recevoir la reconnaissance officielle d’un don de 1000 dollars ne leur coûtera que 52% à cause du taux marginal d’impôt. En philanthropie, la rentabilité est psychologique : donner nous fait nous sentir bien face à nous-même.

À partir d’un certain niveau de revenus annuels, la rentabilité psychologique est plus importante que la rentabilité financière. C’est vrai pour le groupe 4 et fondamental pour le groupe 5 (pour revoir les définitions des quatre groupes, lisez « La confiance dans le monde des placements »). Mon premier prospect avait planté des millions d’arbres sur ses terres comme œuvre sociale. Les ultra-fortunés ne demandent souvent pas mieux que d’utiliser leur argent pour aider leur communauté.

QUE PEUT-ON DONNER ?

Des tas de choses comme des peintures, un lot à bois ou une vieille voiture, mais en tant que conseiller, on pense à deux choses importantes : une assurance vie ou des valeurs mobilières. Lorsqu’on donne des actions il n’y a pas d’impôt sur le gain en capital, mais n’insistez pas sur ce point avec votre client, ce commentaire illogique sent l’argument de vente.

Lorsqu’on donne un contrat d’assurance vie, l’évaluation de la valeur marchande pour le fisc demande un calcul d’actuaire. Il faut savoir que pour les organismes qui reçoivent les dons, l’argent seul est roi. Une assurance est un actif à très long terme qui ne leur sert à rien dans l’année courante. Pour un donateur, c’est le plus « efficace » car le total des primes sur 10, ou 20 ans, est toujours inférieur au capital assuré.

L’APPROCHE DU CLIENT.

En philanthropie, j’ai eu la chance de faire beaucoup d’erreurs en début de carrière. Avec mon prospect de l’époque, un ultra-fortuné, mes erreurs ont été nombreuses :

  • je n’avais pas assez bien saisi les nuances de sa personnalité,
  • je n’ai pas choisi un bon moment pour aborder le sujet,
  • je n’avais pas le produit le plus intéressant à proposer,
  • je n’avais pas assez travaillé mon scénario
  • et, pour finir, je n’avais encore pas la passion nécessaire pour l’accrocher.

Bref, le lendemain, un dirigeant de l’entreprise m’a fait comprendre, très poliment, qu’ils avaient déjà une équipe qui s’occupait de ça. Cette prospection m’aura demandé deux voyages et coûté autour de 4000 dollars. J’ai souvent repensé à mes erreurs dans ma carrière.

 Le sujet des dons planifiés est un sujet délicat pour vos clients, car il déclenche des réflexions sur la mort.  Cette rencontre ne doit pas avoir l’odeur d’une rencontre d’affaires. Choisissez avec soin à qui vous allez parler et à quel moment vous allez le faire.

Avec les clients qui privilégient la philanthropie de principe, votre client est ouvert à faire un don, mais il ne veut pas en parler des heures durant. Une fiducie de bienfaisance l’intéressera, car elle élimine les pertes de temps, les discussions et la paperasse. Le client transfère un capital à la fiducie qui s’occupe de gérer les placements et d’en remettre une partie aux organismes sociaux choisis en échange des reçus d’impôts.

Avec les clients qui privilégient la philanthropie sociale, les tableaux d’honneur et les articles de journaux avec photos du groupe sont des points importants. Montrez à ces clients l’impact que leur don aura dans la communauté. Mentionnez des noms que votre client connaît, préparez votre dossier en apprenant par cœur votre scénario. Ce genre de rencontre ne doit pas se faire dans l’improvisation.

 Que voulez-vous vraiment ? Que vos clients vous disent d’aller voir à une autre table, qu’ils vous donnent de la petite monnaie ou qu’ils fassent un don substantiel ?  Si la philanthropie vous intéresse[1], la première étape est de découvrir la cause sociale qui vous inspire. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise cause, mais certaines n’attireront pas l’intérêt de vos clients[2]. C’est l’occasion de vous démarquer comme conseiller en assurance ou en placements. Pourquoi ? Parce que les clients fortunés ont un besoin criant dans ce domaine, selon une étude de Fidelity Charitable.

Comment aborder en douce la philanthropie avec un client qui n’est pas prêt à en parler[3]? Voici une stratégie que j’ai souvent employée. En fin de rencontre, après une pause pour bien marquer que la conversation sérieuse était terminée, j’orientais la conversation sur le sujet de la loterie.

Prenez-vous des billets de loterie ? Moi, j’en prends un seul par semaine. Je sais que je perds mon argent, mais j’ai les moyens de perdre 2 dollars par semaine. Et vous ?

Je leur demandais, comme en badinant, ce qu’ils feraient avec 10 millions à la loterie. Une façon subtile de sonder les rêves de vos clients. Les réponses sont très éclairantes, car, en imagination, vous faites passer votre client dans le groupe de ceux qui ont de l’argent en trop. Essayez-le et prenez des notes, vous verrez.

En assurance et en valeurs mobilières, on parle peu de soi-même avec les clients. En philanthropie, vous avez avantage à parler de vous, à expliquer comment vous, vous voyez la philanthropie et pourquoi cette cause vous anime. La réaction spontanée de vos clients sera plus positive et ce sera plus difficile de vous dire d’aller voir à l’autre table. Votre engagement personnel et vos confidences amèneront votre client à comprendre que l’argent n’est pas tout pour vous. Parler de philanthropie est le moyen le plus sûr de gagner la confiance de vos clients de façon durable.

[1] Un cours gratuit offert par l’ESSEC sur la philanthropie.

[2] Voir les articles : Le financement d’OSBL et l’engagement social 

[3] C’est à dire qui a des revenus supérieurs à 300 000 dollars par année, un bon bilan financier, peu  d’héritiers et qui approche la soixantaine, un âge où l’on réfléchit à ce qu’on a produit dans sa vie.

Bernard Viau