Et si votre fantôme était riche ?

Par Ioav Bronchti | 9 mai 2022 | Dernière mise à jour le 26 septembre 2023
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Photo : lightwise / 123rf

Votre client est fier de ce qu’il a bâti. Mélange de chance, de travail et de savoir-faire, il sait qu’il a de bonnes chances de léguer d’importantes valeurs à ses enfants. Ça fait son bonheur.

Avec la loupe de votre expérience, comme l’Esprit de Noël encore à venir de Charles Dickens, qui vient gâcher le party de Scrooge, vous sensibilisez votre client au fait que ce patrimoine peut aider ses enfants, mais également leur nuire.

Si tu avais reçu 1 million de dollars (M$) à tes 18 ans, serais-tu mieux ou moins bien placé dans la vie aujourd’hui ?

Heureusement, vous ne le laisserez pas y penser sans lui parler de quelques outils à sa disposition.

J’aimerais aborder en détail un outil que vous ne pourrez pas vous empêcher de présenter à votre client : la fiducie pour le jeune majeur.

LE FANTÔME QUI ACCOMPAGNE

Un peu comme le faisait Patrick Swayze dans Mon fantôme d’amour (Ghost), votre client pourra se payer le luxe d’accompagner un peu ses enfants, dans le scénario terrible que vous lui avez exposé. Il pourrait leur payer des cours de céramique, bien sûr, mais il pourrait surtout les accompagner financièrement. Son medium : la fiducie testamentaire.

La fiducie permet de poursuivre la gestion de votre patrimoine dans les limbes, selon vos valeurs, vos critères et la réalité de vos bénéficiaires. Je dis toujours à mes clients que c’est leur fantôme qui continue ainsi de gérer leurs biens.

Concrètement, il suffit de créer cette fiducie dans leur testament. Et pas de souci car rien, absolument rien, ne se passe avant leur décès.

Exemple : je crée une fiducie dans mon testament pour accompagner mon enfant dans la gestion du patrimoine jusqu’à son 30e anniversaire. Si je décède alors qu’il a 30 ans, aucune fiducie n’existe. Il n’y a aucun rapport d’impôt de fiducie à faire, aucune reddition de compte fiduciaire, pas d’États financiers, rien. Le seul coût lié à cela est le coût de rédaction du testament, qui est toutefois plus cher qu’un testament ne contenant pas de fiducie.

VOTRE FANTÔME REMETTRA UNE PARTIE DES REVENUS…

La fiducie peut donc prévoir les cas d’aider le bénéficiaire (l’enfant de votre client, ici) à même les revenus et/ou le capital de la fiducie. Études, logement, dépenses générales, déplacements, vacances, divertissements, investissement entrepreneurial, achat d’immeuble, vie familiale (s’il veut voir grandir ses enfants de près), bénévolat, la limite est l’imagination de votre client.

En fait non, la limite est aussi la morale… On ne peut pas créer de conditions immorales ou impossibles. Pour recevoir de l’argent tu devras obtenir un doctorat (pas possible pour tout le monde), ou tu ne recevras rien si tu te maries avec une personne de même sexe sont ainsi des conditions que l’on ne peut pas imposer au bénéficiaire. Le terrain de jeu demeure tout de même vaste.

UN FANTÔME EST UN CONTRIBUABLE

Fiscalement, il peut coûter moins cher de dépenser tous les revenus de la fiducie pour l’avantage de votre bénéficiaire. En effet, la fiducie est imposée au taux marginal sur le premier dollar (ouch!), si ses revenus ne sont pas remis (payé ou payable) à son bénéficiaire. Si elle lui attribue ses revenus, c’est lui qui s’imposera, ce qui est potentiellement moins cher d’un point de vue fiscal.

Mise en garde : on planifie trop avec un fichier Excel, en s’assurant de tout dépenser. Mettez de l’humain dans cet engrenage ! En calculant approximativement les revenus possibles, demandez à votre client s’il préfère payer moins d’impôts, même si cela éloigne la fiducie de son but.

Exemple :  je risque de laisser 5 M$ à mon fils unique. On peut présumer que mon fantôme aura des revenus de 250 k$/an à gérer. En quoi est-ce que j’ai éloigné mon fils de l’oisiveté ? Avec de tels moyens, sera-t-il tenté de poursuivre ses efforts (études, entreprise en démarrage, etc)?

LE CAPITAL

Les clients souhaitent souvent prévoir la fin de cette histoire. Ils décideront donc que le capital de la fiducie finira dans les mains du bénéficiaire à un certain âge. 21 ans ? 30 ans ?

On choisit aussi fréquemment d’étaler les remises de capital. Un tiers à 20 ans, un autre à 25 ans et le solde à 30 ans, par exemple. J’ai aussi vu, souvent, un dixième par an pendant 10 ans.

Mes clients m’inspirent. Les prévoyants qui planifient, autant que les bénéficiaires qui ont vécu, après décès, ces remises. J’ai donc appris à proposer un étalement inégal des remises de capital.

Si votre but est de permettre à votre jeune d’apprendre à manipuler du capital, et donc d’avoir le luxe de faire ses erreurs, il faut peut-être lui donner un montant qu’il peut épuiser avant la remise suivante. Ainsi, s’il se « plante », il va vivre une période de disette, où il n’aura plus de capital. Le fiduciaire, juridiquement obligé d’être un bon gestionnaire, aura su conserver sa part du capital. On voit ainsi des clients qui choisissent des scénarios comme 10 % à 20 ans, 40 % à 25 ans et le solde à 30 ans, engageant ainsi un apprentissage par progressif.

Avec 5 M$ de capital, laisser un dixième du capital par année ne permet pas de vivre cet apprentissage. Tout dépend donc des buts visés et des montants en jeu. Tout est humain.

Certains clients souhaitent aussi que la fiducie n’épuise jamais son capital du vivant du bénéficiaire… Cela permet de soutenir plus d’une génération.

FLEXIBILITÉ

Votre client pourrait donc faire une liste des valeurs humaines qu’il souhaite transmettre à travers sa fiducie. Sur quoi lâche-t-il prise ?  Sur quoi insiste-t-il ? Son conseiller saura le guider dans les limites possibles juridiquement.

La fiducie est faite de Lycra à 100%, elle est hyper flexible. Il faut savoir exploiter cet aspect à l’avantage de votre client.

J’aimerais mettre en garde quiconque voudra faire une fiducie rigide. Ce n’est pas la nature de ce véhicule. Sa souplesse est sa force. Il est bon, par exemple, de faire appel à la discrétion du fiduciaire, en utilisant le terme « raisonnable » partout où l’on ne sait pas comment baliser. N’oubliez pas que c’est son propre fantôme que votre client dessine. Il saura s’adapter.

Préparer une liste de scénarios que l’on souhaite encourager ou baliser permettra au notaire de traduire le tout en fiducie humaine.

LES FANTÔMES N’EXISTENT PAS (SOUVENT)

Tout cela, naturellement, prévient un décès de votre client alors que ses enfants sont encore trop jeunes, pour qu’il soit en paix avec leurs capacités de gestion. Ce scénario reste improbable, les clients ont de bonnes chances de vivre beaucoup plus longtemps que cela. On a donc le droit de dédramatiser la discussion et rappeler qu’on prévient une situation potentiellement sérieuse, mais potentiellement seulement.

Ioav Bronchti, notaire, est conseiller principal, planification successorale, à la Financière Banque Nationale.

Ioav Bronchti