Les dangers de l’hyperconnectivité

Par Martin Morin | 4 novembre 2020 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Une femme devant un ordi qui regarde sa tablette.
Delmaine Donson / iStock

Votre clientèle s’attend bien entendu à un service irréprochable de votre part, mais l’équilibre est précaire entre votre vie personnelle et professionnelle si vous ne balisez pas clairement les limites de la communication. Cellulaire, courriel, messagerie instantanée…. vous êtes joignable facilement, certes, mais en tout temps ou en toute circonstance? Où se situe la ligne à ne pas franchir? Vos clients la connaissent-ils? Nous avons demandé à trois professionnels de nous parler de leur expérience face à cette nouvelle réalité.

 Pour le planificateur financier André Buteau, il faut savoir s’adapter aux situations. « Je n’ai pas tendance à mettre des limites, car parfois les journées sont longues. Même avant la pandémie, je recevais des questions la fin de semaine, car c’est à ce moment qu’ils [les clients] en ont. »

Et la fin de semaine, c’est souvent la période au cours de laquelle le conseiller a du temps libre, après une semaine passée en réunion, en rendez-vous, etc. « Il fallait libérer du temps. », déclare-t-il.

À l’inverse, pour la conseillère en services financiers Laurie Therrien, le fait d’être disponible en tout temps complique la vie des professionnels.

« Il y a tellement d’aspects positifs à la technologie; l’efficacité accrue, le rendement au travail, les délais moindres. Si nous devons poser une question supplémentaire à un client, c’est facile de lui réécrire par courriel. Si nous avons oublié une signature, on peut maintenant procéder par signature électronique. Toutefois, c’est justement rendu tellement facile et accessible que cela nous suit partout. Et ça prend beaucoup de discipline pour réussir à se déconnecter du travail en dehors des heures de bureau. »

Pour éviter les pièges de l’hyperconnectivité, elle suit à la lettre un mode de fonctionnement qui lui permet de ne pas laisser sa carrière empiéter sur sa vie privée.

« Personnellement, si je reçois un courriel le samedi soir, je ne répondrai à mon client que le lundi matin. J’ai établi des plages horaires dans mon agenda pour cela, et le lundi matin est en tout temps libre pour répondre aux courriels et appels reçus la fin de semaine. Mes soirs et mes fins de semaine, je tiens à les passer avec mes enfants; ce sont nos moments à nous. Par contre, la semaine, de jour, mon équipe et moi sommes 100% disponibles pour nos clients. Je crois que c’est tout à fait sain de se mettre de telles balises pour trouver le meilleur équilibre possible dans nos vies. »

LES TECHNOLOGIES ET LES ATTENTES ÉVOLUENT

S’il s’avère être disponible en dehors des heures habituelles de bureau, André Buteau admet tout de même établir ses limites. « Si quelqu’un a des attentes trop optimistes [au niveau des délais], je vais le calmer, prendre le temps de lui expliquer », indique-t-il. Il a bien vu l’évolution des attentes de la clientèle avec l’avènement des nouvelles technologies… bien avant l’apparition des appareils mobiles.

« Ça fait plus de 30 ans que je pratique, j’ai vu l’évolution. Dans les années 80, c’était le fax. Quand on demandait une cotation sur certains produits, on attendait que ça arrive par courrier interne et c’était imprimé ailleurs. La notion d’attente était là.  Le courrier électronique a énormément haussé les attentes des gens. ‘As-tu vu mon courriel?’. Et maintenant avec les textos… »

Pour le conseiller et l’associé de Virage Coaching, Sylvain de Champlain, la notion de disponibilité est fort simple : « On est aussi des hommes et des femmes d’affaires. Alors, il faut être capable d’agir en hommes et en femmes d’affaires, et tirer une ligne par rapport aux attentes des clients ».

« Maintenant, si tu es seul, que tu n’as personne dans ton équipe, tu dois gérer tout ce volet-là. Sinon, la réponse peut venir d’un autre membre de l’équipe. Mais pour le conseiller qui est seul, ça prend un équilibre dans la vie. » Et cet équilibre doit se faire en balisant le plus clairement possible les attentes des clients.

Sinon, on n’est jamais tranquille, prévient Sylvain de Champlain. « Tu es toujours en mode travail : t’es en vacances, tu es en mode travail! Tu es avec tes enfants, la fin de semaine, ou avec ta famille, tu es en mode travail! Tu es en train de prendre une bière…  Alors bref, il faut gérer les attentes. »

Son secret : « mes clients n’ont pas mon numéro de cellulaire!  Ils ont mon numéro au bureau, ils sont capables de me laisser un message. On est en téléphonie IP, donc je vais voir que j’ai reçu un message sur mon cellulaire, mais aucun client n’a mon numéro ».

DES ATTENTES RAISONNABLES

Ce qui est bon pour d’autres professionnels l’est également pour les conseillers. « Moi, si j’ai une carie qui vient d’éclater en fin de semaine, j’ai beau courir après mon dentiste, je vais être obligé d’attendre lundi matin. Je n’ai pas le numéro personnel de mon dentiste… Il faut faire comprendre à nos clients qu’on est des professionnels, mais qu’on a une vie privée également! », souligne Sylvain de Champlain.

Il rajoute : « Comme entrepreneur, je ne souhaite pas que mes clients me dictent leur urgence à eux, quand ce n’en est pas une pour moi. Je veux me respecter dans mon équilibre de vie, et donner un super bon service. C’est beaucoup de gestion des attentes, et ceux qui veulent faire un pas en arrière pour se ‘déshyperconnectiviser’ c’est à eux de le dire à leurs clients. »

Évidemment, il fallait être très disponible en début de crise de la COVID-19, mais la question est de savoir bien s’adapter aux circonstances. « On aurait dû acheter des actions de Zoom il y a un an… », précise d’ailleurs M. de Champlain.

Le mot de la fin appartient à Laurie Therrien : « C’est toutefois important d’en prendre conscience quand ça nous arrive [la trop grande disponibilité], car le danger est grand de s’oublier ou de frôler l’épuisement professionnel. Je pense qu’il est important que la clientèle soit au fait dès le départ que nous travaillons sur nos heures de bureau, mais que le soir et les fins de semaine, nous avons une vie familiale et que nous ne travaillons pas. »

Vos investisseurs sont-ils au courant de vos plages de disponibilité? Il est peut-être grand temps de mettre les choses au clair pour éviter de devenir l’esclave de vos outils de communication.

Martin Morin