Robots financiers : pas de panique!

Par Caroline Ethier | 27 juin 2019 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Photo : willyambradberry / 123RF

Si le déploiement des robots dans l’industrie financière fait craindre le pire à certains, d’autres y voient une occasion en or d’améliorer le conseil. C’est le cas de Michel Mailloux, expert en conformité financière et Pl. Fin, qui en dresse un portrait  élogieux.

« Les robots sont une nécessité absolue. On l’a vu avec Uber et les chauffeurs de taxi. On n’a pas le choix. Est-ce qu’on peut se battre contre la technologie? Non. On a besoin des robots », défend avec ardeur le planificateur financier devant des professionnels du conseil venus suivre sa formation Mandat et robots. « On va être de meilleurs conseillers si on utilise des robots! » Difficile d’être plus convaincu.

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE, VRAIMENT?

Les robots financiers sont évidemment le fruit de l’IA, qui se passe de présentation tant elle a gagné tous les secteurs d’activité, bouleversé notre quotidien et renversé nos habitudes.

Mais ce qu’on appelle « intelligence artificielle » ne serait ni plus ni moins que des méthodes logiques mathématiques, soit l’apprentissage profond (deep learning) et l’apprentissage automatique (machine learning), qui n’auraient rien à voir avec l’intelligence. Simplement parce qu’un robot ne réfléchit pas.

Michel Mailloux définit les robots financiers comme étant « des logiciels parfaitement autonomes et aptes à évaluer une situation, à conseiller un client et à mettre en application les recommandations avec lesquelles le client est d’accord. Pour ce faire, ils doivent être dotés de jugement et agir à l’intérieur de contraintes morales. »[1]

Or, même si on utilise le terme robot dans l’industrie, il n’existe pas, à l’heure actuelle, de tels logiciels, indique le Pl. Fin. On parlera plutôt de « cobot », une contraction de collaborative robot, des « logiciels sophistiqués d’aide à la décision qui viennent en appui aux conseillers »[2].

En somme, « le robot [qui existe actuellement] est un programme informatique efficient, non intelligent et sans jugement, précise M. Mailloux. La progression est là, mais nous sommes encore loin de l’intelligence artificielle. »

UTILITÉ DU ROBOT : ÉLÉMENTAIRE, MON CHER WATSON!

Pour illustrer les bénéfices que l’on peut tirer de ces logiciels, l’expert présente le cas du robot médical Watson, d’IBM, utilisé notamment dans la détection de tumeurs. Il explique que les radiologistes humains réussissent à détecter des tumeurs de 5 mm et plus dans 95 % des cas.

Watson obtient de son côté un taux de réussite époustouflant de 99,5 % dans la détection de tumeurs de seulement 1 mm et plus. Mais ces résultats peuvent poser problème : les tumeurs de moins de 5 mm peuvent ne pas se développer en cancer. Le robot détecte donc trop de tumeurs. « Si ce n’était que de Watson, on inonderait les blocs opératoires », ironise-t-il.

Watson est donc beaucoup plus efficace qu’un humain pour identifier les tumeurs. Mais advenant le cas où un radiologiste déciderait d’occulter les données recueillies par Watson, voire refuserait un diagnostic de cancer posé par le robot, quelle serait la responsabilité du médecin si le robot avait raison?

« Voilà exactement le genre de problème qu’on va avoir avec nos robots dans le monde financier », prévient Michel Mailloux.

UNE MÉMOIRE INFINIE

L’utilité des robots dans l’industrie du conseil prendra plusieurs formes, assure le Pl. Fin., qui évoque la myriade de produits financiers disponibles sur le marché et notre incapacité à tous les retenir et tous les comprendre.

Des milliers de pages d’informations financières sont publiées chaque jour et cinq nouvelles études sortent de Wall Street chaque minute, selon une étude d’IBM.

« Vous êtes ici depuis 8 h ce matin. Vous êtes donc 2 400 études en retard à cause de cette formation », lance-t-il, amusé. S’il est humainement impossible d’assimiler cette avalanche d’informations, le robot, lui, y parvient.

« C’est ça qu’il va faire pour vous. Il va lire les études et vous aurez l’air brillant quand vous allez rencontrer vos clients, dit-il à la blague. J’espère que je vous ai persuadé qu’il était utile pour vous. »

PAS DE ROBOT SANS CANEVAS ÉTHIQUE Vos cours de philosophie du cégep sont peut-être un lointain souvenir, mais ils peuvent désormais servir à comprendre l’importance de l’éthique dans la programmation d’un robot financier.

« Quand on parle des robots, on parle d’intelligence artificielle, d’algorithmes. Mais on oublie la base : l’éthique », rappelle Michel Mailloux.

Pour assurer une pratique exemplaire, ces machines devront être programmées selon l’une des trois approches de l’éthique normative, soit l’éthique des conséquences, l’éthique déontologique et l’éthique de la vertu, dit-il. Chacune de ces approches renferme des morales sur lesquelles s’appuieront les robots dans leurs décisions.

Les programmeurs devront donc trouver le moyen de traduire en algorithmes des notions morales. « Mais quelle morale sera choisie? questionne le Pl. Fin. Et si mon robot est moral, comment le sera-t-il? »

Pour illustrer l’incidence du canevas éthique sur les recommandations d’investissement du robot, il donne l’exemple d’une cliente de 30 ans, célibataire, gagnant un salaire au-dessus de la moyenne, avec un bon régime de retraite et un profil prudent. Son objectif : épargner.

« Si le robot a été programmé en éthique de la vertu, il pourrait lui recommander un RVER [régime volontaire d’épargne-retraite] qui reflète cette morale parce qu’on choisit ce qui est, à notre avis, le meilleur pour le client. S’il est programmé en éthique des conséquences, il pourrait lui proposer des CPG ou des fonds distincts, ce qui a le moins de conséquences négatives pour la cliente, comme une perte de capital, explique Michel Mailloux. Et s’il est programmé en éthique déontologique, comme cette morale est basée sur le respect des règles, le robot pourrait proposer un fonds prudent parce qu’il a suivi son profil d’investisseur. »

Un client pourrait donc recevoir trois recommandations différentes. Et impossible de programmer la machine avec les trois types de morales : « elles risqueraient de se contredire », assure l’expert.

QUI SERA RESPONSABLE?

Le choix de l’éthique amène à se questionner sur la notion de responsabilité. Disons que le robot recommande un type d’investissement à votre client, que vous n’êtes pas d’accord avec ce choix et décidez de lui vendre autre chose.

Si le client s’en aperçoit, celui-ci pourrait vous poursuivre, explique Michel Mailloux. Mais si le client suit les recommandations du robot et qu’il perd de l’argent, qui sera responsable? Vous? L’institution financière? Le régulateur?

Selon M. Mailloux, le robot devra agir comme un professionnel et être jugé comme tel. Dans un cas comme celui exposé plus haut, si le robot n’est qu’un soutien au conseil, c’est le conseiller qui est responsable. Le robot est alors défini comme un cobot. « Mais si le robot a pris en charge la totalité de la relation, sans intervention humaine directe, ce sera présumément l’institution financière qui sera responsable. »

Et quelles règles appliquera le robot? Dans le cas des Pl. Fin., celles de l’Institut québécois de planification financière? Et quelle déontologie suivra-t-il? Celle de la Chambre de la sécurité financière? « On va devoir imposer une norme de type financière. C’est sûr qu’on va dans cette direction-là », assure Michel Mailloux.

L’ASSISTANT DU FUTUR?

En analysant les données du client – son profil, son bilan, ses réponses aux questions –, en assimilant les milliers d’études financières publiées chaque année, en avalant les théories de base, en tenant en compte des biais des investisseurs cernés par la finance comportementale, les robots s’avèrent des appuis inestimables au conseiller.

« Ils apportent toute la profondeur, dit Michel Mailloux. Personne ne lit ces études alors qu’elles sont très importantes. Le robot est bien plus important que moi en ce sens qu’il va en connaître bien plus que moi, reconnaît-il. Mais sera-t-il capable de bien les interpréter? »

S’il ne pense pas que le robot remplacera l’humain, le Pl. Fin. croit qu’il deviendra son assistant et que les conseillers seront mieux équipés pour répondre aux clients.

« Je suis persuadé qu’il est là, le point de bascule, conclut-il. Mais ça ne se fera pas du jour au lendemain. »


[1] Michel Mailloux et Mayhews & associés, Mandat et robots, 2016

[2] Op cit.

Caroline Ethier