10 questions qu’on a osé poser à Jean-Guy Desjardins

Par Céline Gobert | 16 février 2018 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Jean-Guy Desjardins

Selon sa biographie, il est un « phénix de la finance » pour avoir bâti Fiera Capital après avoir construit, puis cédé TAL. Mais c’est comme « grand bâtisseur pour le Québec » que Carl Robert, premier vice-président communications à CFA Montréal, a présenté Jean-Guy Desjardins à l’assemblée venue l’écouter jeudi lors d’un déjeuner-causerie.

Interrogé par Miville Tremblay, représentant principal et directeur du Bureau régional de Montréal (marchés financiers) de la Banque du Canada depuis 2002, M. Desjardins a ainsi répondu à plusieurs questions concernant ses stratégies, sa vision de l’industrie financière et le système de rémunération mis en place à Fiera devant un parterre de personnalités de l’industrie, tantôt hilares face à ses répliques, tantôt captivées par ses conseils.

Voici quelques-unes de ses réponses lors de cet événement organisé par CFA Montréal

1- Que pensez-vous du déplacement actuel d’une gestion active vers une gestion passive? Est-ce une tendance durable?

Jean-Guy Desjardins : En 40 ans d’expérience, c’est la troisième vague passive que je vis. Elle va faire son temps. Après deux, trois années, pendant lesquelles les statistiques vont démontrer qu’un gestionnaire actif donne de meilleurs résultats, il va y avoir un ralentissement, voire un renversement. C’est un phénomène sain, tant qu’il n’est pas autodestructeur, poussé à l’extrême. Ça fait partie du marché. C’est un sujet sensible en ce moment surtout dans le marché du détail, un peu dans le marché institutionnel, mais à peu près inexistant dans la gestion de fortune.

2- Quelle est votre stratégie pour Fiera?

JGD : Depuis 2003, notre stratégie est de développer ce qui s’appelle des stratégies non traditionnelles. C’est encore une voie de croissance importante pour nous. Là-dedans, on a de l’infrastructure, de l’immobilier, de l’agriculture. Tout ce segment-là, c’est une stratégie que tu peux pas répéter de façon passive, pas aisément en tout cas. Les marges de profit sont encore intéressantes et il n’y a pas beaucoup de compétition.

3- Toutes sortes de rumeurs courent sur le modèle de rémunération de Fiera, qui fait certainement des envieux dans la salle. Pouvez-vous expliquer comment cela fonctionne?

JGD : Notre philosophie, c’est de rendre les gens responsables et imputables, et on a aligné notre système de rémunération là-dessus. Dans celui-ci, nos chefs d’équipe ont le contrôle de leur rémunération. On leur donne un certain budget, qui est un pourcentage de leur boni et ils le gèrent eux-mêmes. S’ils veulent engager deux autres analystes, c’est leur budget qui paye. Pour ceux qui ont atteint une certaine taille, c’est ce modèle qui s’applique.

Pour l’autre modèle, la règle de base, c’est que le boni est corrélé aux performances. Notre philosophie est de nous éloigner le plus possible de ce qui est subjectif dans le processus de rémunération. Les gens savent exactement quelles sont les règles. Ça évite beaucoup de conflits potentiels et, pour être honnête, ça rend notre travail plus facile.

4- Quelles sont les valeurs de Fiera? Votre philosophie?

JGD : Au total, nous avons une centaine de stratégies différentes. Notre philosophie a toujours été de croire aux capacités d’une équipe de gestion relativement petite, homogène, cohésive, avec un leader fort et responsable. On n’est pas une firme qui opère à partir d’un processus décisionnel de consensus. C’est du travail d’équipe. On a 35 boutiques de gestion dans notre entreprise et chacune d’elles est indépendant. Par ailleurs, les finances sont en partie gérées de façon autonome par le chef de l’équipe. Ce dernier se voit octroyer un pourcentage du revenu généré par ses stratégies, qu’il distribue à son personnel selon ses priorités.

On n’interviendra jamais dans une stratégie de placement pour dire au leader : « Tu devrais faire ça, ou tu ne devrais pas faire ça ». On va lui poser des questions, l’encadrer. Dans une période difficile, on va l’encourager. Tout le monde connaît des périodes plus ardues en placement. Mais nos leaders sont autonomes.

5- Combien d’acquisitions avez-vous réalisé? Quels sont les critères importants, hormis la diversité de segments de marché ou de géographie?

JGD : Entre 15 et 17, dont une bonne douzaine qui nous ont bien fait avancer. Dans le passé, notre objectif a toujours été d’abord et avant tout de viser l’acquisition de nouvelles stratégies de placement performantes avec des professionnels engagés et avec qui on pourrait travailler.

On s’est toujours dit : « On se fréquente, et si on s’aime, on se marie! » On peut se fréquenter longtemps et ne pas se marier! (Rires) Ça arrive souvent! Aujourd’hui, on est à un stade où l’on regarde ce qu’on n’a pas, et c’est entièrement dans le secteur non traditionnel. On n’a pas non plus de gestion en dette de pays émergents, on aimerait ça en avoir.

6- On parlait d’acquisition sur les marchés émergents. Parlons de l’île de Man, un paradis fiscal qui a mauvaise presse. N’y a-t-il pas un risque réputationnel?

JGD : (Soupir) Non. Tous les professionnels du placement de Fiera Europe sont à Londres. Ce qu’il y a à l’Île de Man, c’est seulement la partie administration, quasiment comme une entreprise qui a deux parties légales. Pourquoi ça a été construit ainsi? Honnêtement, je ne le sais pas.

7- Comment effectue-t-on la gestion des risques à Fiera?

JGD : Chaque division utilise des systèmes de gestion de risque pour l’ensemble des stratégies de placement. C’est la même chose que tout le monde fait : du point de vue conformité, chaque client a une politique de placement d’un point de vue stratégique. Tous les jours, on vérifie les positions des portefeuilles par rapport à la politique du client. Parce que contrairement aux banques, si on fait une erreur ou qu’on dépasse la politique de placement et que ce n’est pas payant, on les rembourse.

8- Que se passe-t-il si Jean-Guy Desjardins se fait écraser par un autobus demain matin?

JGD : (Long silence) Vous allez pleurer! (Rires) Non, mais il ne faut pas sous-estimer la profondeur qu’il y a dans une entreprise comme Fiera en matière de gestion. Dans mon plan de succession, j’ai, à court terme, deux personnes qui pourraient immédiatement gérer, et quatre personnes à moyen terme. On a vécu dans la dernière année le départ de Sylvain Brosseau [qui était président et chef de l’exploitation de Fiera Capital]. Il était un rouage important de la firme, mais nous sommes simplement allés de l’avant!

9- Avec les soubresauts récents que l’on a vus en Bourse, y a-t-il lieu de devenir plus défensif?

JGD : Moi je répondrais oui, mais pas à cause des soubresauts récents. Ça, ce n’est pas important, c’est de la volatilité. On va en avoir probablement beaucoup cette année, car on vit une transition à l’intérieur du cycle qui s’étire depuis 2009. Transition par rapport aux anticipations inflationnistes. Transition par rapport à une évolution des politiques monétaires, avec un multiple sur les marchés qui n’est pas élevé historiquement, par rapport aux taux d’intérêt.

Le rendement sur les marchés boursiers va être corrélé à l’évolution des profits d’entreprises. Les gens vont devenir de plus en plus anxieux à mesure que la fin du cycle va approcher, dans deux, trois ou quatre ans. L’inflation est le risque le plus dangereux.

10- En ce moment, compte tenu du contexte, quelles sont les grandes catégories d’actif ou les régions que vous surpondérez ou sous-pondérez dans un portefeuille diversifié?

JGD : De façon générale, depuis quatre-cinq ans, on a fortement favorisé l’investissement vers des produits non traditionnels à revenu fixe plutôt que dans les obligations traditionnelles. Ça a été hyper rentable pour nos clients. Quant aux investissements dans les différents marchés boursiers et aux stratégies de hedge funds, on a commencé l’automne dernier à déplacer nos investissements en Bourse vers une plus grande pondération en outils de placement non traditionnels fixes, qui nous donnent environ 8 % de rendement.

Sur les deux prochaines années, j’irais dans l’immobilier parce qu’on va voir les taux d’inflation s’accélérer et qu’ils vont être monétisés par les banques centrales. L’immobilier va s’enflammer. Sur cinq ou six ans, je dirais l’agriculture ou l’infrastructure, ce serait mes choix.

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Céline Gobert