238 M$ de produits financiers non réclamés au Québec!

Par Nathalie Côté | 13 juin 2016 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Brian Goff / 123rf

Des produits financiers totalisant 238 millions de dollars dorment actuellement dans les coffres de l’État québécois, faute de propriétaires. Appartiennent-ils à vos clients?

Revenu Québec publie régulièrement des « avis de recherche » afin de retrouver les propriétaires ou ayants droit (héritiers ou bénéficiaires) de biens non réclamés. Ces derniers incluent les produits financiers, notamment des sommes payables en vertu d’un contrat d’assurance vie, de placements ou d’un régime de retraite.

Mais à partir de quand un produit financier est-il jugé non réclamé au Québec? Lorsqu’il n’a fait l’objet d’aucune réclamation, opération ou instruction depuis une période de trois ans et que le détenteur (l’institution financière, le gestionnaire de portefeuille, etc.) n’a pas trouvé le propriétaire ou l’ayant droit.

Il faut cependant tenir compte de la nature du produit. « Pour une épargne à terme de cinq ans, par exemple, c’est à la fin du terme que la période de trois ans commence à être calculée », précise André Chapleau, porte-parole chez Desjardins.

Avant la fin de ce délai, le détenteur doit envoyer un avis aux propriétaires ou ayants droit pour les informer que les produits seront remis à Revenu Québec s’ils ne se manifestent pas. À condition qu’il connaisse leur adresse…

Car contrairement aux États-Unis, il n’existe pas au Canada de registre unique des décès. Les institutions financières ne disposent donc pas d’une source d’information centralisée pour savoir si un client dont elles n’ont plus de nouvelles est décédé.

« Il n’est pas tenu de donner l’avis s’il ne peut, par des moyens raisonnables [la loi ne précise pas lesquels], retrouver l’adresse de la personne ou si la valeur de l’ensemble des biens non réclamés est inférieure à 100 $, précise Stéphane Dion, porte-parole de Revenu Québec. Nous effectuons des vérifications auprès des détenteurs pour nous assurer qu’ils respectent les exigences. »

ENQUÊTE 101

Selon la valeur du produit financier, plusieurs moyens peuvent être pris pour retrouver son propriétaire.

« Nous allons essayer d’appeler à son dernier numéro de téléphone connu, vérifier nos dossiers, faire des recherches sur Internet et auprès d’Équifax, explique Jean-Pascal Lavoie, conseiller en communication à La Capitale. Lorsque la valeur du produit le justifie, nous pouvons aussi embaucher une agence d’investigation. »

La compagnie ne facture aucuns frais au propriétaire ou au bénéficiaire d’un produit financier pour les recherches effectuées pour le retrouver. D’autres institutions financières imposent cependant des pénalités, notamment pour des comptes inactifs.

« Dans le cas d’un folio inactif, par exemple, nous avons des frais de 15 $ après un an, 30 $ après deux ans et 50 $ après trois ans », indique M. Chapleau.

OÙ VA CET ARGENT?

Une fois entre les mains de Revenu Québec, les sommes ne sont pas perdues pour autant. Ainsi, les Québécois ont 10 ans pour réclamer les produits financiers de moins de 500 $. Il n’y a aucune limite pour ceux dont la valeur est supérieure.

Stéphane Dion

« En plus des avis publics publiés dans la Gazette officielle du Québec et dans certains grands quotidiens, les biens non réclamés sont aussi inscrits dans un registre public, explique M. Dion. Nous faisons aussi certaines recherches sur Internet et dans les avis de décès, par exemple, pour retrouver les propriétaires et ayants droit. »

Lorsqu’il remet la somme, Revenu Québec conserve à même celle-ci certains frais d’administration, qui varient en fonction des services requis et de la valeur des produits.

Les sommes non réclamées et dont les propriétaires n’ont pas pu être retrouvés par Revenu Québec sont versées au Fonds des générations du gouvernement du Québec, affecté exclusivement au remboursement de la dette. « Des intérêts s’accumulent à partir du moment où un produit financier non réclamé est liquidé, c’est-à-dire transformé en valeur monétaire », indique Revenu Québec sur son site.

AU FÉDÉRAL AUSSI

Mais ce n’est pas tout! Si la majorité des produits financiers non réclamés sont sous la responsabilité de Revenu Québec dans la province, d’autres sont plutôt gérés par la Banque du Canada (BdC).

Celle-ci s’occupe des « soldes non réclamés », c’est-à-dire un compte, un dépôt ou un instrument négociable en dollars canadiens détenu ou émis par une banque ou une société de fiducie sous réglementation fédérale. En décembre 2015, la valeur de ceux-ci s’élevait à 626 M$ pour l’ensemble du pays! Impossible toutefois de savoir quelle proportion de cette somme est attribuable au Québec.

Lorsqu’un solde est resté inactif pendant une période de dix ans et que son propriétaire ne peut être retrouvé par l’institution où il est déposé, il est remis à la Banque du Canada.

Les détenteurs doivent avoir envoyé au préalable un avis écrit au propriétaire du compte après une période d’inactivité de deux, cinq et neuf ans. Le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF) s’assure que les détenteurs respectent ces obligations légales.

« Les institutions financières envoient ces avis à la dernière adresse connue figurant au dossier de l’individu, explique Annik Faucher, spécialiste en communication au Bureau du surintendant des institutions financières du Canada. Elles ne sont pas tenues de faire des recherches pour tenter de retrouver une personne qui aurait omis de faire son changement d’adresse, par exemple. Par contre, elles sont libres d’instaurer leurs propres règles et démarches à l’interne. »

Les soldes de moins de 1000 $ sont conservés par la Banque du Canada pendant 30 ans. Les montants supérieurs sont gardés 100 ans.

« Pendant les dix premières années de garde, des intérêts sont versés sur les soldes qui étaient détenus dans des comptes d’épargne portant intérêt avant d’être transférés à la Banque du Canada, explique l’organisme sur son site Internet. Les autres dépôts ou effets ne rapportent aucun intérêt. »

Si le solde n’est pas réclamé à la fin de ces périodes, les fonds sont transférés au receveur général du Canada, qui gère les opérations du Trésor fédéral, et ne peuvent plus être récupérés.

ÉVITER CES SITUATIONS

Pour éviter à vos clients de se retrouver dans cette situation, vous pourriez bien sûr leur conseiller de faire un bon suivi de leurs affaires personnelles.

« Ils devraient aussi informer leurs proches de leurs avoirs, avoir un testament à jour et s’assurer de faire leurs changements d’adresse », indique M. Dion.

Du côté des assurances, l’Ombudsman des assurances de personnes a également un service de recherche de polices perdues afin d’aider les bénéficiaires à retrouver celles des membres de leur famille décédés récemment.

L’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes conseille aux gens de dresser l’inventaire de leurs différents documents pour se faciliter la vie et celle de leurs proches. Pour ce faire, elle offre d’ailleurs son propre outil en ligne : Chaque chose à sa place.

Bien sûr, vous pouvez aussi leur suggérer d’aller jeter un œil au registre des biens non réclamés de Revenu Québec et celui des soldes non réclamés de la Banque du Canada. Qui sait!

D’autres biens cherchent aussi un propriétaire

Véhicules abandonnés sur la voie publique, biens découverts sur une personne décédée non identifiée ou dont on n’a pas retrouvé les proches, etc. se retrouvent aussi au registre de Revenu Québec. Même chose pour certaines successions : elles sont considérées non réclamées dans les six mois suivant le décès si personne ne se manifeste. La valeur totale de tous les biens non réclamés qui ne sont pas des produits financiers s’élève actuellement à environ 60 M$!

« Les démarches pour liquider les biens sont entreprises dès que Revenu Québec a pris compétence dans le dossier », explique Stéphane Dion, porte-parole.

À part pour la succession (6 mois), il n’y a pas de délai précis quant au moment où l’agence gouvernementale prend le dossier en charge. Les biens peuvent alors être vendus aux enchères ou par l’entremise d’un courtier immobilier, par exemple.

Les montants ainsi obtenus peuvent bien sûr être réclamés par les propriétaires ou ayants droit. Ils se retrouvent au registre des biens non réclamés, comme les produits financiers.

En chiffres

  • 81 M$ ont été reçus par Revenu Québec en biens non réclamés (incluant les produits financiers) en 2014-2015
  • 20 M$ ont été remis à des ayants droit par Revenu Québec en 2014-2015
  • 10 M$ ont été remis à des propriétaires de soldes non réclamés par la Banque du Canada en 2015

Pour en savoir plus

Nathalie Côté