AMF : une nouvelle ère?

Par Yves Bonneau | 21 août 2013 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Vous avez probablement pris connaissance des changements d’état-major à l’Autorité des marchés financiers (AMF) au début de l’été. Si plusieurs ont applaudi le départ de Jean St-Gelais il y a deux ans, la récente nomination à Investissement Québec de son remplaçant, Mario Albert, en a surpris plus d’un et a même beaucoup déçu.

À voir la parade qui défile dans les fauteuils de cadres de l’AMF ces temps-ci, il est légitime de se demander pourquoi les gouvernements nous font et défont la tête d’un organisme aussi important que l’AMF dans le paysage de l’industrie financière (et dans celui de la construction maintenant), sans même demander l’avis des acteurs concernés.

Le modus operandi est toujours le même : on veut remplacer un mandarin d’un ancien régime, alors on lui trouve un suppléant parmi les irréductibles fidèles du nouveau régime.

Prenons le cas de Jean St-Gelais. Il est nommé par Bernard Landry premier fonctionnaire de l’État après avoir été sous-ministre aux Finances… aux côtés de celui-ci.

Yves Bonneau, rédacteur en chef du magazine Conseiller.

Puis, tout juste avant que M. Landry ne perde les élections aux mains de Jean Charest, en 2003, M. St-Gelais est « parachuté », toujours par M. Landry, comme PDG d’une AMF encore en gestation. Comme de coutume, M. Landry demande alors au nouveau premier ministre Charest de lui accorder une faveur, à savoir de conserver les nominations de fin de régime. Beau joueur, M. Charest accepte d’entériner la nomination de M. St-Gelais.

On connaît la suite. Il y a eu, en février 2004, l’accouchement difficile de l’AMF, elle-même rejeton de l’Agence nationale d’encadrement du secteur financier, elle aussi un organisme hybride issu de la Commission des valeurs mobilières du Québec, de la Régie de l’assurance-dépôt, de l’Inspecteur général des institutions financières, du Fonds d’indemnisation des services financiers et du Bureau des services financiers. Il a fallu marier tout ce beau monde, fusionner les cultures, coordonner les services, déterminer la mission. Pour faire bouger cette énorme mécanique, on a mandé M. St-Gelais, qui n’avait aucune expérience pratique ni théorique dans le domaine. Il y avait sans doute des gens compétents à l’interne, mais pour le leadership, rien n’est moins sûr. Ça nous a d’ailleurs donné de nombreux dérapages, ainsi que les cafouillages de l’après-Norbourg et du Fonds d’indemnisation…

La mission de l’AMF est de protéger les consommateurs et d’encadrer l’industrie. Soit, mais pour faire correctement les deux, encore faut-il bien comprendre comment fonctionne cette industrie. L’apprentissage de M. St-Gelais s’est fait dans des conditions très difficiles. Il aurait mieux valu qu’on lui préfère un expert comme Luc Bertrand ou Jean Martel, ou encore l’actuelle présidente de l’OCRCVM, Carmen Crépin.

Pour les élus qui atterrissent au gouvernement, tout se passe comme si notre industrie gérait la récupération des queues de cerises. Un jour, on a un ministre délégué, le suivant, on a un cinquième de sous-ministre.

Jean St-Gelais, lui-même pris dans un tourbillon de nominations, passant de patron de l’Agence du revenu du Québec à sous-ministre de Pauline Marois, a recruté ses ex-collègues à l’AMF, Nathalie Drouin et Patrick Déry (qui est depuis retourné à l’Autorité). Il avait également tenté d’attirer Mario Albert dans son nouveau fief. Plusieurs déplorent la perte de compétences et d’expérience que provoquent ces pratiques. La culture du pistonnage, de la partisanerie et du remerciement des amis qui se perpétue dans les organisations comme l’AMF n’est peut-être pas étrangère au découplage observé ces dernières années entre les intermédiaires de marché et leur régulateur.

Un conseiller à la retraite m’a dit un jour à quel point il était déçu des comportements de l’AMF vis-à-vis l’industrie. « On devrait être fier de notre régulateur, du travail d’encadrement et d’éducation qu’il doit faire. Mais au lieu de ça, on s’en méfie et on aime le détester… C’est un vrai problème », m’avait-il confié.

C’est peut-être la prérogative du gouvernement de nommer des cadres plus ou moins méritants selon des règles plus ou moins partisanes, sinon obscures, mais dans la foulée des grenouillages dévoilés ces dernières années (les nominations de juges, les ministres qui font du trafic d’influence, les commissions Charbonneau et Bastarache, etc.), le temps de changer ces habitudes désuètes et franchement néfastes ne serait-il pas venu ?

À l’AMF, on semble néanmoins s’être affranchi de ces pratiques. La nomination de Mario Albert et maintenant celle de Louis Morisset tendent à démontrer qu’elle porte en elle des leaders et, pour peu qu’on ne se les fasse pas débaucher sans vergogne, on devrait pouvoir construire sur des bases solides.

Souhaitons qu’avec Louis Morisset comme PDG nous entrions dans une nouvelle ère. Nous avons déjà souligné les compétences et le dynamisme du monsieur dès 2008. En outre, il connaît très bien l’industrie et ses enjeux puisqu’il y a œuvré en début de carrière comme avocat spécialisé en valeurs mobilières. Espérons que nous avons cette fois un véritable passionné qui saura insuffler à l’AMF un leadership de premier plan, et que ce poste ne sera pas qu’un simple tremplin vers une carrière de haut fonctionnaire ailleurs. Pour les dix ans de l’AMF, ce serait un beau cadeau à se faire.


Yves Bonneau, rédacteur en chef yves.bonneau@objectifconseiller.rogers.com

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