Attirer une clientèle jeune, ça se mérite !

Par Didier Bert | 24 septembre 2010 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Les conseillers auraient intérêt à prospecter leur future clientèle lors des cérémonies de remise de diplôme. En effet, si les étudiants sont souvent endettés, leur arrivée sur le marché du travail coïncide avec l’émergence de nombreux projets, qui présentent autant de défis de planification et d’accompagnement financier. Encore faut-il que les conseillers arrivent à entrer en relation avec eux.

Si certains conseillers boudent les jeunes, ils doivent savoir que ces derniers les boudent tout autant. Parmi les épargnants fortunés âgés de moins de 35 ans, 63 % trouvent inutile de payer pour recevoir des conseils d’investissement, indique un sondage réalisé pour la firme iShares. Seuls 26 % des plus de 35 ans font le même constat, selon la même étude qui souligne ainsi le fossé séparant ces générations.

Le problème est que peu de jeunes se reconnaissent dans les conseillers, indique Christian Robitaille, vice-président de la formation à Force Financière Excel. « La clientèle ciblée d’un conseiller a dix ans de moins et dix ans de plus que lui, observe-t-il. Très peu de conseillers ont trente ou quarante ans. La clientèle de demain n’est plus sollicitée. »

Délaissée, la jeune génération se penche ainsi vers les solutions qui lui semblent les plus abordables : les institutions financières et le Web. « Les jeunes diplômés ont le réflexe de penser aux banques. Ils ne pensent pas au conseiller de leurs parents. C’est plus commode d’aller à la banque qui est au coin de la rue », regrette Gianni DePastena, conseiller en services financiers à Centaure.

Pourtant, les conseillers pourraient facilement entrer en contact avec cette clientèle prometteuse avant qu’elle prenne ses habitudes ailleurs. « Souvent, c’est la deuxième ou la troisième génération de nos clients, constate Gianni DePastena. Avec le financement des études, les jeunes deviennent indirectement nos clients. Quand ils arrivent sur le marché du travail, ils veulent consommer. Ils ont besoin d’être guidés pour établir leur budget. »

Les nouveaux diplômés intéressent particulièrement la caisse populaire Desjardins de Sainte-Foy. Située à cinq minutes de marche de l’Université Laval et à proximité du cégep Sainte-Foy, la caisse a créé une structure dédiée à la jeune clientèle. « On veut les aborder lorsqu’ils sont aux études, avance Catherine Martineau, l’une des deux conseillers qui se consacrent à ce marché. Il ne faut pas attendre qu’ils aient beaucoup d’argent pour aller vers eux. Ils ont de nombreux projets et des besoins précis. C’est plus facile de créer une relation d’affaires », ajoute Catherine Martineau, elle-même âgée de 24 ans, et dont le collègue est dans la trentaine.

Les deux conseillers dédiés aux jeunes à la caisse de Sainte-Foy sont spécialisés en crédit. « Souvent, on commence avec la marge de crédit, puis le prêt étudiant », affirme Catherine Martineau. « Tout débute par le crédit; après, c’est une belle histoire. Ils sont au stade de leur vie où tout va arriver, se réjouit-elle. Ce sont des clients qui ont fait des études. Leur projet, c’est d’acheter un condo ou d’accumuler de l’épargne avant de pouvoir acheter une maison. »

Certains conseillers apprécient pouvoir œuvrer aussi tôt avec leurs clients. « C’est très intéressant de commencer avec un jeune diplômé, parce qu’on peut le guider dès le début, ajoute Éric Bouchard, 37 ans, vice-président du cabinet de services financiers Financia, à Québec. On a donc plus de chances d’atteindre son objectif, qu’il soit de préparer sa retraite ou autre. » Les premières entrevues permettent de mesurer le potentiel du client. « Quand on parle avec eux, on voit tout de suite s’ils sont organisés, s’ils sont prêts à suivre un plan », ajoute-t-il.

Le conseiller doit alors jouer un rôle d’éducateur en matière financière auprès d’une clientèle diversement informée. « Les jeunes posent beaucoup de questions. Ils aiment être informés. C’est à nous de démystifier les sujets, croit Catherine Martineau. Certains n’ont jamais entendu parler de cote de crédit. D’autres ne mesurent pas que les conséquences des retards. L’école n’apprend pas à gérer son crédit, ça fait partie de l’éducation qu’on doit faire. »

Une fois ces jeunes informés, les questions de planification peuvent leur sembler incongrues. Les nouveaux diplômés sont à l’aube de nombreux choix de vie, et ils éprouvent de la difficulté à se projeter dans l’avenir. « Les jeunes font diverses expérimentations. Ils bougent dans leur vie, observe Steeve Lachance, président de Financia à 37 ans. Il faut être prêt à accepter cette donnée pour gagner leur confiance. On ne doit pas les enfermer dans un carcan. Au fur et à mesure, les transactions changent. Ils vont devenir rentables si on les guide. » Certains réfèrent même leur conseiller à leurs parents et à tout leur entourage. « Les jeunes diplômés ont souvent un bon réseau. Ils côtoient plus de monde que les gens qui partent à la retraite », lance Éric Bouchard.

De plus, cette clientèle réclame moins de rencontres avec les conseillers. « Souvent, le jeune diplômé prend l’initiative de rappeler quand il se passe quelque chose dans sa vie », note Éric Bouchard. Ces habitués des réseaux virtuels se satisfont de relations espacées. « Le contact humain devient moins important qu’il ne l’était pour les clients plus âgés, affirme Christian Robitaille. Le côté humain reste, mais on doit se servir beaucoup plus des outils technologiques avec les jeunes. »

Le Web comme allié

Pour communiquer avec les mêmes moyens que sa jeune clientèle, la caisse populaire de Sainte-Foy a misé sur la technologie. Catherine Martineau propose ainsi des rencontres virtuelles par webcaméra. Même s’il part travailler à Montréal, son client peut encore lui parler en face à face grâce à la vidéo. La conseillère veut ainsi aller chercher ses clients « par des moyens qui leur disent quelque chose ». En mettant en place ce nouvel outil, la caisse populaire a aussi satisfait des clients plus âgés, qui trouvent pratique cette façon de communiquer à distance. Une page Facebook a aussi été créée pour présenter les produits de la caisse et saluer les réalisations communautaires, tels les résultats sportifs des équipes juniors.

Internet est une vitrine qui permet de joindre cette clientèle habituée à fureter sur le Web. « Je ne m’attends pas à faire des ventes grâce à notre site, explique Steeve Lachance. Nous voulons surtout créer le contact, confirmer que nous existons. Les visiteurs y trouvent notre courriel et une façon de nous joindre. »

Le monde financier a bien compris l’intérêt de ces nouveaux moyens de communication pour toucher le jeune public, mais les résultats sont contrastés. L’Autorité des marchés financiers (AMF) a lancé le site TesAffaires.com afin de sensibiliser les plus jeunes aux réalités financières. « Nous transmettons des notions financières et des conseils aux jeunes, en utilisant des moyens de communication qu’ils utilisent, explique Sylvain Théberge, responsable des relations médias de l’AMF. Nous essayons d’intéresser les jeunes à des questions pas toujours aussi séduisantes que les clips diffusés sur MusiquePlus. Nous ne jugeons pas l’abandon des cours d’économie au secondaire, décidée par le gouvernement. Mais cette situation crée une plus grande nécessité de donner des outils de gestion financière », explique-t-il. L’AMF revendique cinq mille visites mensuelles sur TesAffaires.com.

Le pointage de son compte Twitter est beaucoup moins flatteur : seulement neuf personnes suivent l’actualité de l’AMF sur ce nouveau média, à l’heure où nous écrivons cet article. « Nous avons un travail à faire sur la permanence de cet outil, pour inciter davantage les jeunes à en faire un outil à consulter régulièrement », reconnaît Sylvain Théberge, qui ajoute que l’AMF a lancé une réflexion sur la possibilité de créer une page Facebook.

La communication sur le Web semble aussi primordiale que difficile à maîtriser. La consultante en médias sociaux Michelle Blanc suggère aux conseillers de commencer par utiliser un blogue. « Mettez du contenu pour montrer que vous êtes intéressants. Les jeunes vous trouveront par les moteurs de recherche. C’est la méthode la plus efficace du point de vue des retombées, précise-t-elle. Ne dites pas que vous êtes le meilleur, prouvez-le. Bloguez vous-même, partagez vos connaissances. Si vous n’avez rien à dire, c’est dommage. » D’après la consultante, Facebook présente l’inconvénient d’être fermé aux moteurs de recherche, en plus d’être inadéquat pour les entreprises, car les utilisateurs de Facebook consultent peu les pages des entreprises. Quant à Twitter, Michelle Blanc est radicale : « Ce ne sont pas les jeunes qui vont sur Twitter, ce sont les vieux. »


Fraîchement diplômés, mais pas accablés

L’image habituelle du nouveau diplômé montre un endetté qui commence sa vie professionnelle avec le couteau sous la gorge. Toutefois, les statistiques ne sont pas aussi flagrantes. Certes, la dette d’études moyenne s’élève à 18 800 $ au moment de la remise du diplôme. Mais deux ans plus tard, près de 30 % des diplômés ont entièrement payé cette dette.

Mieux : l’acquisition d’un diplôme permet de gagner 450 000 $ de plus au cours d’une vie professionnelle, selon l’économiste Pierre Fortin. Cela représente presque 24 fois la dette d’études moyenne !

Pour rembourser leur dette, les diplômés bénéficient d’un taux de chômage bien moins élevé que les non-diplômés : 4,5 % pour les détenteurs d’un diplôme universitaire contre 11,1 % pour ceux qui n’ont pas de certificat d’études secondaires.

Sources : Statistique Canada – May Luong (Les répercussions financières des prêts étudiants, janvier 2010), Statistique Canada 2006


Cet article est tiré de l’édition d’octobre du magazine Conseiller. Consultez cet article au format PDF.

Didier Bert

Didier Bert est journaliste indépendant. Il collabore à plusieurs médias sur les thèmes de l’économie, des finances et du droit.