B.A.-BA – Une formation à revoir?

Par Jean-François Venne | 5 mars 2015 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Evgeny Atamanenko / 123RF

Les gens payés pour donner des conseils financiers ont-ils tous les connaissances suffisantes pour bien le faire ? Certains en doutent, et proposent que l’on revoie les formations.

« Une bonne planification financière devrait être holistique, c’est-à-dire qu’elle devrait prendre en compte tous les paramètres de la vie financière d’une personne, lance Michel Mailloux, planificateur financier et formateur en déontologie financière. Mais les clients se retrouvent parfois devant des conseillers très spécialisés, qui manquent de connaissances générales en dehors de leur domaine de prédilection. Cela rend l’approche holistique très difficile à appliquer. »

Michel Mailloux admet sans peine que les travailleurs de l’industrie financière ont un degré de littératie financière au-dessus de la moyenne des citoyens. « Mais ont-ils suffisamment de connaissances ? demande-t-il. C’est une tout autre question. »

Selon lui, ces travailleurs ont le degré de connaissances requis pour l’obtention de leur permis d’exercice. Or, ce degré varie grandement d’une discipline à l’autre, l’essentiel étant d’en savoir assez pour réussir l’examen donnant accès au permis de pratique.

Au Québec, il faut un diplôme collégial pour pouvoir distribuer de l’assurance (sauf dans le cas de l’assurance contre la maladie ou les accidents, où un diplôme d’études secondaires peut faire l’affaire), alors que pour devenir, par exemple, représentant en épargne collective, il faut réussir un examen précédé d’une formation d’un minimum de 45 heures de cours. « C’est peut-être suffisant pour donner de l’information de base, mais pas pour proposer des approches élaborées ou croisées, note Michel Mailloux. Par exemple, cela ne vous donnera pas les compétences pour donner de bons conseils fiscaux. La fiscalité est d’ailleurs l’élément le plus méconnu des conseillers financiers, car le plus complexe. Or, c’est peut-être le plus important. »

LE TROU NOIR FISCAL

Ce diagnostic est largement partagé par Flavio Vani, président de l’Association professionnelle des conseillers en services financiers (APCSF), dont la mission est de défendre et promouvoir les intérêts professionnels des conseillers en services financiers. Loin de remettre en cause l’engagement des professionnels auprès de leurs clients, il croit plutôt qu’ils sont desservis par la multiplication des disciplines et permis existants, qui mène à une industrie financière dont les principaux acteurs ont des connaissances très segmentées.

Cette formation souvent trop partielle les empêche de pouvoir prendre en compte l’ensemble du portrait financier de leur client. Lui aussi donne l’exemple de la fiscalité. « Beaucoup de conseillers en services financiers n’ont pas ou peu de connaissances en fiscalité », déplore-t-il. Selon lui, cela peut les faire passer à côté d’outils de placement très avantageux pour leurs clients, puisque c’est souvent grâce aux stratégies fiscales que l’on réalise les gains les plus importants.

Il donne l’exemple d’un client qui maximiserait chaque année ses cotisations au REER et au CELI, et qui pourrait avoir avantage à investir de l’argent dans sa police d’assurance vie universelle. L’argent investi dans la police est non imposable. Celle-ci peut, par ailleurs, servir de garantie pour obtenir une marge de crédit, laquelle sera remboursée au moment du décès. Le client peut donc ainsi bénéficier pendant de longues années de revenus intéressants, et non imposables. Encore faut-il le savoir.

L’EXEMPLE DES PLANIFICATEURS FINANCIERS

L’importance de connaissances pluridisciplinaires est largement admise dans le cas des planificateurs financiers, lesquels doivent démontrer leurs compétences dans sept champs de pratique distincts pour obtenir leur diplôme. Ce qui ne les empêchera pas, à plus long terme, de se spécialiser ou d’avoir des connaissances plus pointues dans un nombre plus restreint de domaines. « C’est un peu comme avec les médecins, illustre Jocelyne Houle-LeSarge, PDG de l’Institut québécois de planification financière (IQPF). Il n’y a rien de mal à être généraliste, mais il faut au moins avoir les connaissances permettant de savoir quand c’est le temps de référer un client à un spécialiste. »

L’IQPF n’hésite pas non plus à imposer la détention d’un diplôme universitaire parmi ses critères d’admission, les plus sévères du milieu. Pour porter le titre de planificateur financier au Québec, il faut avoir réussi l’examen de l’IQPF, et l’institution porte cette responsabilité avec beaucoup de sérieux. « Les apprentis planificateurs financiers ont acquis de bonnes connaissances de base à l’université, note la PDG. À l’IQPF, nous enseignons l’application de ces connaissances. Nous travaillons toujours avec des études de cas, afin que l’apprentissage soit le plus concret possible. »

Les formations sont aussi offertes en anglais à ceux qui le requièrent, et les anglophones peuvent faire l’examen dans leur langue. Seul le manuel de base (la fameuse « bible » du planificateur financier) demeure offert en français seulement, pour des questions de coût. Il fait plus de 2 000 pages et est remis à jour chaque année. Environ un quart de l’ouvrage est donc réécrit annuellement. Il en coûterait trop cher de tout traduire sans cesse.

FAIRE MIEUX QUE LE MINIMUM

Il y a les connaissances, essentielles, mais il y a aussi les aptitudes, toutes aussi cruciales, soutient Carl Thibeault, vice-président principal, Québec du Groupe Investors et chargé de cours à l’Université Laval. Il scinde en trois groupes les recrues du Groupe Investors : celles qui ont une formation universitaire en comptabilité ou finance, celles qui ont une formation universitaire en administration, mais ne sont pas spécialisées en comptabilité ou finances, et enfin celles, beaucoup moins nombreuses, qui ont des baccalauréats dans d’autres domaines (génie, droit, etc.) et qui affichent un profil entrepreneurial.

Les professionnels de la Chambre doivent accumuler 30 unités de formation continue aux deux ans, soit 10 en matières générales, 10 en conformité et 10 dans les matières spécifiques à leur(s) discipline(s) d’exercice.

Selon lui, les unités de formation continue exigées par l’Autorité des marchés financiers (AMF) ne font que pourvoir au minimum. « Il faut aller beaucoup plus loin de nos jours si on veut assurer une planification financière et fiscale complète », affirme Carl Thibeault. Depuis environ trois ans, le Groupe Investors offre de plus en plus de formation continue à ses conseillers sur des sphères connexes qu’il juge importantes en raison de l’évolution de l’industrie financière et des besoins des clients, et en fonction du profil des conseillers. Les besoins ne seront pas les mêmes chez celui qui a une formation de comptable que chez un autre qui en possède une en administration.

La complexité et l’évolution rapide et continue de la fiscalité en fait un sujet majeur de formation continue auprès des conseillers. « Il ne s’agit pas d’en faire des fiscalistes, mais ils doivent en savoir assez pour identifier les problèmes ou les opportunités et référer un client à un fiscaliste quand c’est nécessaire, précise Carl Thibeault. Une grande partie du rendement est à gagner dans la fiscalité. C’est pourquoi nous intégrons une portion fiscale à toutes nos formations, qu’elles portent sur les assurances, les produits de placement, la planification de la retraite ou autre. »

À CHACUN SA MÉTHODE

Jacques-Yvan Asselin, directeur principal, offre de formation, services aux particuliers chez Desjardins, note que la formation initiale semble produire des gens aux compétences transversales de plus en plus fortes. « Ils sont ouverts à la diversité, soucieux de l’éthique et très analytiques », dit-t-il.

Il ajoute qu’ils sont souvent spécialisés, ce qui ne serait pas une mauvaise chose, selon lui. « C’est un avantage qu’ils soient très forts dans un secteur, que ce soit les assurances ou autres, poursuit-il. De toute manière, nous tenons pour acquis qu’ils ont besoin de formation une fois arrivés chez nous, afin d’avoir une vue d’ensemble des exigences de leurs fonctions et être à même de détecter les besoins des clients. »

Pour ce faire, Desjardins s’est doté de l’Institut coopératif Desjardins, véritable université d’entreprise vouée au développement des dirigeants, gestionnaires et employés du Mouvement. L’Institut coordonne la formation de plus de 50 000 conseillers et gestionnaires. En 2014, le Mouvement a investi 78,6 millions de dollars en formation et développement de ses employés et dirigeants.

Les formations sont notamment offertes à ceux qui viennent d’être embauchés et à ceux qui ont changé de fonction à l’intérieur de l’entreprise. L’Institut offre aussi de la formation continue visant à renforcer la formation initiale, en fonction des besoins des individus. « Nous mesurons les acquis avant la formation et à la suite de celle-ci, avec des examens auxquels il faut obtenir la note de passage, explique Jacques-Yvan Asselin. Dans plusieurs formations, nous faisons également des mises en situation, d’abord sans client, puis auprès de vrais clients. »

Bref, chaque organisation compte sur ses propres moyens pour maintenir ou augmenter le niveau de connaissance de ses employés, et chaque travailleur de l’industrie s’efforce de respecter les prérequis de formation continue liés à son permis de pratique. Et c’est justement cette disparité qui agace Flavio Vani. « En ce moment, on exige des unités de formation continue (UFC), mais dans la plupart des cas, pour les obtenir, il suffit d’être sur place, déplore-t-il. Personne ne vient mesurer si vous avez vraiment assimilé des connaissances. De plus, on choisit les UFC que l’on veut. Il n’y a rien d’obligatoire. »

Pour le président de l’APCSF, la solution est toute trouvée : faire de la Chambre de la sécurité financière (CSF) un ordre professionnel, qui imposerait une formation unique et uniforme à ses membres. Ainsi, tous les conseillers auraient un niveau de formation équivalent et, surtout, ils auraient des connaissances dans tous les domaines liés de près ou de loin à la fonction de conseil financier, que ce soit l’assurance, les placements ou la fiscalité. « Nous aurions une école reconnue, fonctionnant un peu sur le principe de l’École du Barreau, explique Flavio Vani. Les gens suivraient les cours pendant un certain nombre de mois, puis passeraient un examen. Un suivi serait fait auprès d’eux pendant les trois premières années, avec des mises à niveau. »

Sans être totalement en désaccord, Michel Mailloux soulève une difficulté. « Sur quelle base établirait-on cette formation unique ? demande-t-il. Serait-elle de niveau collégial ou universitaire ? Il y a plus de 12 000 représentants qui travaillent en assurance de personnes, avec une formation collégiale. Si les critères d’entrée deviennent trop sévères, on pourrait avoir un problème de relève rapidement. »

• Ce texte est paru dans l’édition de mars 2015 de Conseiller.

Jean-François Venne