Brexit : le secteur financier inquiet pour ses emplois

Par La rédaction | 12 avril 2017 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Les quelque deux millions d’employés du secteur financier du Royaume-Uni, l’un des secteurs les plus importants de l’économie britannique, s’interrogent sur ce que sera leur avenir, rapporte l’Agence France-Presse.

En dehors de Londres et de la City, où plusieurs milliers d’emplois pourraient être délocalisés sur le Vieux Continent, voire disparaître, le monde de la finance est en effet très actif dans différentes régions du pays, puisqu’une vingtaine de villes emploient plus de 10 000 personnes travaillant dans cette branche.

« Le centre financier international, c’est Londres et le Royaume-Uni », et pas seulement la capitale, explique à l’AFP Gary Campkin, un responsable de l’organisme de promotion bancaire TheCityUK. Selon la firme, l’industrie financière tous secteurs confondus (banque, assurance et services associés) emploie 2,2 millions de personnes, soit 7 % des salariés britanniques. D’après la Banque d’Angleterre (BoE), le secteur financier britannique représente en outre près de 25 % des revenus des services financiers de toute l’Union européenne (UE), tandis que 80 des 358 banques en activité au Royaume-Uni disposent d’un siège social ailleurs sur le Vieux Continent.

1,5 MILLION DE SALARIÉS HORS DE LONDRES

À elle seule, Londres concentre 750 000 employés, accueillant notamment les sièges de grandes banques britanniques et internationales au cœur de la ville, dans la City, ou dans le quartier des affaires plus récent de Canary Wharf, dans l’est de la ville. Le reste des salariés, soit 1,5 million de personnes, est réparti un peu partout dans le pays.

Au centre-ville de Manchester, par exemple, la sortie programmée de la Grande-Bretagne de l’UE fait craindre le pire, en particulier parmi les sociétés présentes à l’international, relève l’AFP, qui cite le dirigeant d’un cabinet d’assurance selon qui « cela va avoir un gros impact ici et pour l’ensemble du Royaume-Uni ». « Nous sommes évidemment un peu nerveux sur le résultat, mais nous sommes confiants sur la capacité à obtenir un accord. C’est encore un peu tôt, mais si nous sommes affectés, nous le serons comme Londres », estime pour sa part Fraser Morris, un responsable de la banque privée luxembourgeoise Brown Shipley, également installée à Manchester.

De son côté, la ville de Bristol, dans le sud-ouest de l’île, abrite le groupe de services financiers Heargreaves Lansdown, tandis que Birmingham, dans le centre, héberge le siège de la banque de détail britannique de HSBC et que l’Écosse accueille deux des plus importants gérants d’actifs du pays, Standard Life et Aberdeen Asset Management.

JUSQU’À 240 000 EMPLOIS MENACÉS

Autant dire que « les enjeux en matière d’emploi font porter une lourde responsabilité au gouvernement » à l’heure où les négociations sur la sortie du Royaume-Uni de l’UE viennent de commencer, commente l’AFP. « Est-ce que cela va coûter des emplois? Personne ne sait ce qui va se passer », observe Gary Campkin, alors que le secteur a déjà perdu des dizaines de milliers de postes dans la foulée de la crise financière de 2008-2009.

L’agence de presse rappelle que le gouvernement de Theresa May « a promis une sortie du marché unique et donc, pour le secteur financier, la perte du passeport européen » qui permettait jusqu’alors aux banques de proposer leurs services en Europe grâce à leur présence en Grande-Bretagne. « Si les choses se passent bien […], il n’y aura pas trop de pertes d’emplois, mais si elles se passent mal, le chiffre effrayant de 240 000 peut donner une idée de ce qui est en jeu », calcule Keith Pilbeam, professeur d’économie à la City University de Londres, en partant du principe que 10 % des effectifs seront concernés.

Plusieurs grandes institutions financières, notamment HSBC, UBS, Morgan Stanley et Goldman Sachs, ont déjà annoncé leur intention de « délocaliser » des emplois hors du pays, y compris avant la fin des discussions sur le Brexit qui doivent durer deux ans. Le sentiment qui domine avec le Brexit, c’est « la peur de l’inconnu », résume pour l’AFP Lee Jenkins, contractuel à RBS, à Manchester.

VERS UN PACTE BANCAIRE ENTRE LONDRES ET L’UE?

C’est dans ce contexte d’incertitude que le gouverneur de la BoE a appelé vendredi dernier la Grande-Bretagne et l’UE à reconnaître chacune la réglementation bancaire de l’autre dans le but de ne pas pénaliser le secteur financier européen une fois le Brexit achevé. Dans une déclaration à l’agence Reuters, Mark Carney a toutefois prévenu que les banques devaient se préparer à l’éventualité de négociations difficiles au cours desquelles aucun accord pourrait n’être finalement trouvé.

Le système financier mondial est « à la croisée des chemins », a également déclaré le dirigeant, qui a ajouté : « D’un côté, nous pouvons construire un système plus efficace, plus résistant pour une mondialisation financière responsable. De l’autre, nous pouvons nous replier sur nous-mêmes et perdre confiance dans les systèmes qui nous sont étrangers. » Sa conclusion? « La façon dont les négociations sur le Brexit se termineront sera un test pour une mondialisation financière responsable. »

Un groupe de conseil proche des banques britanniques, l’International Regulatory Strategy Group (IRSG), a lui aussi annoncé lundi qu’il était favorable à la création d’un nouveau système permettant une reconnaissance mutuelle par le Royaume-Uni et l’UE de leurs réglementations bancaires respectives après le Brexit en vue de ne pas perturber les marchés. Soutenu par TheCityUK, l’IRSG soutient qu’il faudra de toute façon instaurer un nouveau système de résolution des différends lorsque le pays aura quitté l’Union, théoriquement d’ici à la fin mars 2019.

CRÉER UN MÉCANISME DE RÉSOLUTION DES DIFFÉRENDS

Dans un rapport qu’il vient de publier, cité par Reuters, le groupe estime notamment que « les différends pourraient être soumis à une nouveau comité indépendant, composé de spécialistes mondiaux des normes bancaires, comme le Conseil de stabilité financière (FSB) ou l’Organisation internationale des commissions de valeurs (OICV), ou alors à une nouvelle commission d’experts dont la majorité seraient extérieurs à l’UE ou au Royaume-Uni ».

Pour l’IRSG, les « critères d’accès » au marché devraient être basés sur des règles globales acceptées par le FSB, l’OICV et le Comité de Bâle, qui fixe les règles prudentielles pour les banques, indique Reuters, qui précise que l’organisme a déjà proposé ce modèle de reconnaissance mutuelle par le passé, mais qu’« on ignore à ce jour si l’UE accepterait une telle demande, certaines voix se faisant entendre pour qu’elle renforce au contraire le système existant d’accès au marché unique ».

En effet, note l’agence de presse, Francfort, Paris, Luxembourg et Madrid espèrent bien récupérer une partie des activités et des emplois de la City après le Brexit.

Les craintes du président de l’AMF française

Dans une récente entrevue accordée au quotidien Le Monde, le président de l’Autorité des marchés financiers française, Gérard Rameix, affirme redouter que le Brexit n’entraîne « un relâchement de la régulation financière » en Europe et dans le monde.

« Nous militons au sein de l’Autorité européenne des marchés financiers pour que les règles du jeu soient claires en Europe et qu’il ne s’instaure pas une sorte de concours du gendarme financier le moins-disant entre les capitales pour attirer chez elles les banques ou les sociétés de gestion », explique le patron de l’AMF.

Toutefois, celui-ci se dit « encore davantage préoccupé » par la situation actuelle aux États-Unis, « où le président Donald Trump affiche sa volonté de déréguler la finance », ce qui risque « d’accroître la domination des banques américaines ». Résultat, poursuit-il, « le jour où il y aura une crise, elles la géreront… à l’américaine, c’est-à-dire en retirant brutalement leurs capitaux ».

La rédaction