Campagne de l’AMF : pour protéger les consommateurs ?

Par Yves Bonneau | 27 novembre 2009 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Les récessions, débâcles, krachs et autres crises économiques ont ceci de particulier, et de sain : ils permettent au marché de se purger des derniers filous qui ont profité des bonnes années pour soutirer le magot à leurs victimes sans trop qu’il y paraisse. Processus de sélection naturelle : le capitalisme est un système organique.

Encore un automne malaisé pour le moral et la réputation des conseillers; et pour ajouter son grain de sel à ce sale temps, l’Autorité des marchés financiers (AMF) a lancé à coup de plus d’un million de dollars une campagne de publicité à la télé (en français) et à la radio (en anglais) pour inciter les consommateurs de produits et services financiers à investiguer avant d’investir. La campagne est personnifiée par Guy Mongrain, victime au début des années 1990 d’un conseiller en assurance qui lui a vendu pour quelque 300 000 $ des « placements » infaillibles. Le conseiller fautif, Jean-Claude Cusson, a été condamné à quatre ans de prison en 1993. Il avait vendu des « placements » immobiliers de son cru, qui n’avaient rien à voir avec l’assurance. Une autre malheureuse histoire, une de plus, toujours une de trop.

Le message publicitaire francophone d’une minute, sobre, est bien fait, évite l’alarmisme. Guy Mongrain est crédible, inspire le respect. Les messages radiophoniques diffusés en anglais font abstraction de l’histoire de M. Mongrain et jouent davantage la carte de l’inquiétude. On peut comprendre qu’après avoir eu affaire à un épouvantail comme Earl Jones, l’AMF tente maintenant de tirer la communauté anglophone de sa torpeur vis-à-vis des services de l’Autorité. Est-ce que cette campagne portera fruit ? Difficile de le prédire, même si les conseillers en ont déjà senti les effets. Les clients les plus nerveux ont pris le message au pied de la lettre et ont vérifié auprès de leur conseiller son inscription, la solvabilité de sa compagnie, la sécurité de leur compte, etc.

Cette prise de conscience et cette responsabilisation du consommateur de produits et services financiers paraissent rassurantes à première vue. Reste à voir si le réflexe de base se généralisera et persistera au-delà de la campagne. Ses effets, pour le moment plutôt anecdotiques, permettront peut-être de démasquer un imposteur çà et là. Et ce sera tant mieux. L’AMF devrait justement nous tenir au fait de ces rebondissements.

L’aspect plus illusoire de l’affaire réside dans cette logique spécieuse où le consommateur peut croire à tort que, pourvu qu’il vérifie l’inscription et le permis en règle de son conseiller, il peut dormir en paix. Il faut en convenir, « investiguez avant d’investir » tient davantage du calembour de publicitaire qui sied bien à M. Mongrain que d’une quelconque réalité sur le terrain. L’AMF a les ressources pour enquêter et la responsabilité de le faire. Le consommateur, mis à part qu’il peut s’inquiéter et vérifier l’inscription de son conseiller sur le site web de l’AMF, n’est pas outillé pour investiguer. De plus, il s’en remet à son conseiller, lui fait entièrement confiance. M. Mongrain le dit lui-même : il avait confiance, n’aurait jamais douté de son ami, et l’homme était inscrit. Résultat : M. Mongrain ce serait probablement fait rouler quand même.

Ironie du sort, quelques jours après le début de la campagne, La Facture, de Radio-Canada, nous apprenait que la conseillère Saverina Cottone du cabinet First Canadian Financial Services a fraudé ses clients de la communauté italienne pour près d’un million de dollars. Le scénario se répète encore. Et les improbables clients suspicieux (tous lui vouaient une confiance aveugle) qui auraient voulu investiguer se seraient fait dire par l’AMF que Mme Cottone était inscrite. Même si elle était sous enquête, cela consitue une information confidentielle, donc inaccessible aux consommateurs.

Là où l’histoire se corse, c’est que l’AMF, qui exhorte maintenant les consommateurs à investiguer, n’a peut-être pas mis ses plus fins limiers sur ce cas renversant. En effet, l’AMF a avalisé le permis de pratique de Mme Cottone en 2008, après que celle-ci l’eut perdu au tournant de l’an 2000. Et pourquoi, l’avait-elle perdu ? Elle avait volé plus de 400 000 $ à Midland Walwyn, son employeur de l’époque, en 1998. Condamnée au criminel, elle a par la suite obtenu un pardon qui effaçait la faute. Sauf qu’en trente minutes, les recherchistes de La Facture ont retracé les frasques de la dame au plumitif du palais de justice de Montréal. Sachant que le taux de récidive de ces criminels dépasse les 70 %, peut-on vraiment se permettre de les admettre de nouveau comme conseiller pour gérer les épargnes des consommateurs ? La réponse est sans équivoque.

Les victimes de First Canadian Financial Services et de Saverina Cottone auront possiblement droit à l’indemnisation du Fonds d’indemnisation des services financiers (FISF) puisqu’elle était inscrite. Encore une fois, le fonds, capitalisé grâce aux ponctions toujours croissantes faites dans les poches des conseillers, devra régler la note.

Les mauvaises langues disent que si l’AMF a réinscrit Mme Cottone, c’est pour indemniser ses malheureux clients avec le FISF. C’est un peu gros. Il est de toute façon grand temps de retirer ce fonds des mains de l’AMF qui se sert des cotisations des conseillers pour protéger les consommateurs contre eux-mêmes, les fraudeurs inscrits et… les erreurs de l’AMF. Un fonds auquel participeraient consommateurs, institutions financières et intermédiaires est réellement la voie de l’avenir afin d’éviter toute forme d’ingérence et de conflit d’intérêts.

Yves Bonneau