Cap sur le service personnalisé

Par Caroline Fortin | 4 novembre 2015 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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En matière de rémunération, le conseiller d’avenir sera caméléon.

Il est des sujets plus délicats que d’autres à aborder avec ses clients. La question des commissions, des honoraires et des frais de gestion est souvent une étape où de nombreux conseillers marchent sur des œufs parce qu’ils ont mal préparé leur client ou ils se sont mal préparés eux-mêmes, l’un allant généralement de pair avec l’autre. C’est un fait reconnu que les investisseurs d’aujourd’hui sont mieux informés et incidemment plus exigeants.Vos clients sont-ils convaincus que vous travaillez dans leur intérêt? Qu’est-ce qui se dessine à l’horizon en matière de rémunération? Sept professionnels de l’industrie ont bien voulu nous faire partager leur point de vue sur la question.

CONSOMMATEURS CONFUS OU CONSEILLERS DISTRAITS?

En mai 1999, la firme de sondage Angus Reid a été mandatée par les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) pour prendre le pouls des investisseurs. Sur les 728 personnes ayant répondu à la question : «Diriez-vous que votre compréhension de la façon dont votre courtier ou votre conseiller est payé lorsque vous achetez des fonds par son entremise est : extrêmement bonne, très bonne, assez bonne, mauvaise ou médiocre?», plus du quart ont répondu mauvaise ou médiocre, soit 204 investisseurs (115 femmes et 89 hommes). La note est légèrement meilleure lorsque l’on isole les chiffres pour le Québec seulement et tombe à 21 %. Néanmoins, le nombre surprend et reflète un certain malaise.

Raymond Lepage, vice-président, gestion de fortune, StratégicNova.

«Ce qui compte, c’est que le consommateur comprenne exactement à quoi il fait face et que le planificateur financier le lui explique. C’est pour cela que les planificateurs de l’Ordre des administrateurs agréés doivent obligatoirement faire signer une lettre-mandat, qui est maintenant l’outil à peu près standard dans l’industrie au Québec», indique Raymond Lepage, vice-président, gestion de fortune, à StratégicNova et président du secteur planification financière de l’Ordre.

Ladite lettre est née des suites des normes de pratique professionnelle que l’Ordre des administrateurs agréés a établies en 1991 et que tous les planificateurs financiers doivent respecter. Y sont décrits : le genre de services offerts au client, le type de rémunération et le montant que le client aura à débourser. «Cette façon de procéder permet la transparence souhaitée [quant à la rémunération] et, une fois qu’on a établi cette transparence, il n’y a plus de conflits», avance M. Lepage.

Le client sait donc à quoi s’attendre de son conseiller et combien lui en coûtera une planification financière sur mesure.

Mais il en va autrement quand il s’agit des frais de gestion liés aux produits. Et c’est ici que la rétribution entre véritablement en jeu. Vieux comme la Bourse, le débat sur les conflits d’intérêts rattachés aux commissions et la neutralité associée aux honoraires est pourtant brûlant d’actualité. Transformée par la réorganisation des Bourses et une nouvelle technologie qui remet en question le rôle des intermédiaires, l’industrie canadienne semble se diriger de plus en plus vers un service basé sur le conseil. Payer cent dollars à chaque transaction dans un compte est même devenu excessif aux yeux d’un nombre croissant de consommateurs puisqu’ils peuvent effectuer cette tâche en trois clics sur leur ordinateur.

D’où l’importance de faire valoir la légitimité de vos conseils, car si votre beau-frère peut devenir millionnaire sur Internet, grandes sont les chances qu’il ait besoin de quelqu’un pour gérer son magot.

LES HONORAIRES, UN COURANT QUI MONTE

D’emblée, celui qui a conçu la fameuse lettre-mandat, Raymond LeBlanc, planificateur financier chez PWL Conseil, cite des statistiques sur l’état de l’industrie américaine en matière de rémunération : «Le conseiller et chercheur bostonien Kurt Cerulli a noté que l’actif sous gestion des conseillers à honoraires aux États-Unis a fait un bond de 345 % entre 1992 et 1997, passant de 120 à 534 milliards US. De son côté, la firme Bernstein Research a établi que, depuis 1990, le nombre de firmes à base d’honoraires est passé de 5 000 à 25 000 en moins de dix ans. Tout cela démontre que la tendance vers la rémunération à honoraires est en forte croissance du côté américain.»

La concurrence vive a aussi gagné du terrain chez nos voisins du Sud, et les produits sans commission laissant le soin aux conseillers de facturer leurs propres honoraires sont devenus presque obligatoires pour se démarquer. Plusieurs observateurs du secteur des services financiers constatent donc que le vent qui souffle du côté des États-Unis ne tardera pas à se faire sentir au pays. C’est du reste ce que croit Goshka Folda, consultante principale au sein de la firme torontoise Investors Economics : «La rémunération à honoraires est sans doute le secteur le plus en croissance du réseau de distribution actuel… et je pense que cela se développera encore plus rapidement le jour où l’on aura atteint une masse critique de conseillers à honoraires.»

Pour Martin Noël, vice-président et directeur régional des ventes des Services Financiers Mackenzie à Montréal, le virage est déjà amorcé dans la métropole. «RBC a été le pionnier dans le domaine, et Scotia a emboîté le pas. La tendance est plus prononcée en Ontario, et même chez les courtiers anglophones de Montréal, que n’importe où ailleurs au Québec», note-t-il.

DÉTENTEURS DE FONDS DE PLACEMENT AU QUÉBEC

Compréhension de la rémunération du courtier ou conseiller

Extrêmement bonne, très bonne, assez bonne : 73 %

Mauvaise, médiocre : 21 %

Échantillon de 728 personnes, niveau de risque de 5 %

Sources : Commission des valeurs mobilières du Québec, Angus Reid

INTÉRÊTS EN CONFLIT

S’il était auparavant aisé d’offrir à l’aveuglette des produits ne comportant «aucuns frais» aux investisseurs, le contexte est différent aujourd’hui. Bardé d’informations, disposant de multiples ressources comme le Bureau des services financiers et la Commission des valeurs mobilières, le client est en mesure d’exiger la sacro-sainte objectivité. Ce que les conseillers à honoraires affirment leur garantir.

La rémunération basée sur les honoraires ne constitue pourtant pas la seule façon de garantir la neutralité, admet Raymond LeBlanc, qui est également coauteur des normes de pratique pour la planification financière au Québec. «Mais c’est ce que j’ai connu dans ma carrière comme étant le plus transparent, ajoute-t-il. Les honoraires sont fixés en fonction du degré de complexité, du temps qui sera accordé au dossier, et selon les exigences du client, tout cela évidemment convenu au préalable. Tout est clair pour le bénéfice du client.»

Raymond LeBlanc, planificateur financier, PWL Conseil James Parkyn, associé et cofondateur, PWL Capital.

Offrant depuis presque cinq ans des services à honoraires, la firme PWL Capital a adopté une politique claire. Elle facture chaque mois dans le compte du client les honoraires du professionnel et a fixé un taux unique pour les transactions. «Notre formule n’est pas du tout un environnement transactionnel, elle est axée sur le conseil. Les conseillers sont payés pour choisir de bons placements et, en fait, moins ils transigent, souvent mieux c’est. Car contrairement à toute cette vague de publicités des courtiers à escompte, qui incitent les gens à transiger, créer un patrimoine, c’est investir à long terme», avance James Parkyn, associé et cofondateur de la société PWL Capital et stratégiste de placement.

Raymond Lepage, qui demande des honoraires en retour de ses conseils, n’est pas d’avis que l’objectivité réside uniquement dans le type d’émoluments et la divulgation de ceux-ci. «Oui, il faut discuter (avec le client) de la rémunération, la question est importante mais ce n’est pas une finalité, je pense que la clé réside dans la manière de faire des affaires, dans la divulgation de ses liens d’affaires avec les autres partenaires…»

LE REVERS DE LA MÉDAILLE

Quant à lui, Gaétan Veillette, du Groupe Investors, admet que la question est épineuse et que les arguments militant en faveur de la rémunération à honoraires sont clairs et encouragent l’augmentation du patrimoine du client. Par contre, il fait remarquer qu’il y a un risque de tomber dans l’autre excès. «Puisque l’augmentation de l’actif est directement liée à la rémunération du conseiller, ce dernier pourrait avoir tendance à adopter une stratégie plus risquée au détriment des objectifs réels de placement de son client», précise-t-il.

Payé à commissions, M. Veillette s’applique plutôt à passer minutieusement en revue les prospectus avec ses clients (au lieu de les inviter à les lire par eux-mêmes), à leur donner des présentations attrayantes et à appliquer les principes de la planification financière, qui sont en soi un gage d’objectivité pour le client, selon lui.

Par ailleurs, les honoraires ne s’adressent pas à toutes les clientèles, signale M. Lepage. «Les clients fortunés et soucieux de savoir où va leur argent sont mieux servis avec les honoraires, tandis que les clients moins nantis peuvent facilement trouver leur compte avec un conseiller à commissions. On s’adresse généralement à un segment différent de la population selon le mode de rétribution qu’on offre».

Marie-Claude Savard, Pl. Fin. indépendant, Services en placement Peak.

Modèle de la conseillère en transition entre les différents modes de rémunération, Marie-Claude Savard est planificateur financier indépendant au groupe Services en placements Peak. À ses clients qui ne désirent qu’un devis financier complet, elle facture un montant global pour ses heures travaillées au dossier. Ceux qui décident d’utiliser ses services d’intermédiaire de marché paient une commission. Et elle insiste : «Comme nous sommes une firme qui prône le long terme, nous ne changeons pas les fonds juste pour les changer.»

Sa façon de demeurer objective? «J’ai gardé la même base de rémunération pour tous les produits que je vends. J’y vais selon le profil de risque du client, je l’amène dans le portefeuille qui lui convient – le même pour tous les clients qui ont un profil de risque semblable. Je suis très structurée dans la façon d’approcher les recommandations, alors je ne prends pas de décisions en fonction des commissions que le fonds me rapporte.»

LE SECRET : S’ADAPTER

L’industrie – comme la génétique – mute, en témoigne Goshka Folda. «Le besoin de service à la clientèle a augmenté considérablement au cours des dernières années, on travaille de plus en plus pour le bien de l’investisseur plutôt que pour son bien personnel. Le ratio de frais de gestion tout compris est maintenant sous la loupe des critiques. Je pense que tous ces frais devront être dissociés des produits à l’avenir. Nous n’aurons pas le choix, vu le contexte hautement concurrentiel qui prévaut.»

Ne s’embarrassant d’aucune nuance, le président de la Securities and Exchange Commission aux États-Unis, Arthur Levitt, affirme pour sa part : «(…) toute firme n’ayant pas réalisé que le rôle traditionnel du conseiller doit changer ne sera plus en affaires dans cinq ans!»

C’est d’ailleurs un pas que certaines grandes sociétés de fonds communs de placement comme Mackenzie, AGF et Trimark ont décidé de franchir, en mettant sur le marché des produits dont les frais sont nettement dissociés, tels les fonds de série F (pour fee-based), qui ont fait leur apparition à l’automne 1999.

Martin Noël, vice-président des Services financiers Mackenzie.

La demande pour ce produit est venue des gros clients comme FBN et RBC, souligne Martin Noël. «Ces grandes entreprises qui sont passées progressivement d’une philosophie de transaction à une philosophie de gestion avec l’avènement des comptes à honoraires ont eu besoin de produits éliminant la double rémunération, explique-t-il. C’est une tendance qui, à mon avis, va s’accélérer pour une raison simple : les firmes de courtage veulent annualiser leurs affaires pour être en mesure d’avoir des revenus plus constants. Ça permet d’augmenter la prévision des revenus qu’elles vont obtenir et de régulariser leur situation financière, autant celle du représentant que celle de la firme.»

Il y aura toujours une clientèle pour les commissions, spécifie M. Noël, puisque ceux qui transigent peu privilégient ce type de traitement. «En fait, le mode de rémunération idéal n’existe pas, il est réinventé avec chaque individu. Nous sommes désormais capables de tailler sur mesure le service et le produit pour chaque client, et c’est justement la beauté de la chose. Avant, il n’y avait qu’un mode, et c’était par transaction.»

Les conseillers qui fonctionnent uniquement à commissions vont pouvoir continuer de procéder ainsi, mais au risque de perdre certains clients et de ne pas pouvoir en approcher certains autres, selon Martin Noël. L’avenir appartient donc à ceux qui adopteront une démarche caméléon et offriront plusieurs solutions, semble-t-il.

Êtes-vous prêts pour ce changement de couleur?


• Ce texte est paru dans l’édition de décembre 2000 de Conseiller. Il est aussi disponible en format PDF. Vous pouvez également consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.

Caroline Fortin