Concours de vente : le début de la fin?

Par Christine Bouthillier | 12 avril 2018 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Christine Bouthillier

Ça sent la fin pour les concours de vente dans l’industrie de l’assurance. Après des années de mises en garde, l’Autorité des marchés financiers (AMF) a finalement publié l’été dernier un document1 recensant les différentes catégories d’incitatifs financiers et les risques de conflits d’intérêts qu’ils posent. S’en est suivi une consultation sur la question, exercice qui s’est terminé en octobre.

Les concours de vente représentent un « risque élevé » de conflits d’intérêts, affirme le document de consultation. Interrogée par ­Conseiller, l’AMF a indiqué que l’option de carrément les abolir était sur la table, mais qu’aucune décision n’avait encore été prise.

Je n’ai qu’une chose à dire à ce sujet : enfin ! L’abolition des concours de vente est chose faite depuis 20 ans dans l’industrie des fonds communs. On jugeait alors le risque de conflits d’intérêts trop important pour qu’on laisse libre cours à cette pratique. La situation ne semble pourtant pas différente du côté de l’assurance.

Plusieurs assureurs ont d’ailleurs compris il y a quelques années que le vent tournait. Après que l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP) eut incité ses membres à modifier leurs concours pour enrayer l’apparence de conflits d’intérêts, la ­Great-West et ­Canada-Vie ont été les premières à annoncer, en 2016, la fin de ceux avec un voyage à gagner.

D’autres compagnies leur ont par la suite emboîté le pas, décrétant la mort imminente de ces conférences de formation auxquelles les meilleurs vendeurs gagnaient le droit d’assister. Conférences qui se déroulaient souvent dans de chaudes contrées exotiques…

MAIS ENCORE?

C’est un pas en avant, mais ce n’est pas suffisant. Certains des assureurs qui avaient annoncé la fin des conférences incitatives ou indiqué qu’ils étaient en réflexion à ce sujet ont continué à organiser des concours similaires, mais avec des prix en argent de plusieurs milliers de dollars à gagner. Un voyage ou un montant qui permet de se payer un voyage, c’est pourtant du pareil au même.

C’est d’ailleurs ce que souligne l’AMF dans son document de consultation : « ­Bien qu’il s’agisse d’un bon début en matière de gestion des incitatifs, l’Autorité estime qu’une évaluation globale des risques liés à l’ensemble des incitatifs doit se poursuivre. »

UNE QUESTION DE RÉPUTATION 

Plusieurs intervenants de l’industrie font remarquer que si le concours n’est pas lié à la vente d’un produit spécifique ou ne favorise pas un assureur en particulier, le risque de conflits d’intérêts est beaucoup plus faible.

D’autant plus que la grande majorité des représentants ne se laissent pas influencer par ces concours. La plupart ne savent même pas qu’ils y participent ; les inscriptions se font souvent automatiquement.

Lorsque vient le moment de recommander des produits, c’est la convenance au client qui importe, pas un quelconque bénéfice que les représentants pourraient en tirer. La stratégie inverse serait de toute façon contreproductive ; ils risqueraient plutôt de perdre des clients, insatisfaits parce qu’on leur a fait souscrire le mauvais produit. Tout ça pour un voyage de quelques jours ou un prix ? ­Le jeu n’en vaut pas la chandelle.

Vous avez la qualité de votre travail à cœur et vous n’avez pas besoin de cadeau pour bien le faire. Le problème, c’est que ces concours laissent une drôle d’impression au consommateur. Ils donnent mauvaise réputation à l’industrie en renforçant cette fausse perception que les représentants ne cherchent que la vente à tout prix, alors qu’ils ne sont bien souvent que tributaires du système.

Au lieu de vous aider, ces concours font mal à la profession. Et en ces temps où taper sur la tête des conseillers semble à la mode, on pourrait se passer de cette source de méfiance supplémentaire.

ET APRÈS? 

Reste que les concours, s’ils ne favorisent pas un produit ou un assureur particulier, peuvent servir à reconnaître le travail des meilleurs joueurs de certaines équipes. Comment continuer à leur donner cette petite tape dans le dos tout en évitant de potentiels conflits d’intérêts et problèmes d’image ?

Certains estiment que récompenser le rendement global, sans égard au produit, suffit. D’autres suggèrent des récompenses moins élevées. Personne ne voudrait risquer sa carrière en recommandant des produits inadéquats pour remporter un prix de 50 $, par exemple.

Des représentants suggèrent aussi de maintenir les concours tenus sur plusieurs années, mais pas ceux qui durent quelques mois pour éviter une frénésie de ventes possiblement injustifiées en un court laps de temps. Finalement, l’idée de plutôt tenir des galas de reconnaissance, sans incitatif financier à la clé, a également été lancée.

Bref, si le malaise entourant cette pratique semble général, les réponses à y apporter, elles, sont loin de faire consensus. Reste à voir quelle voie le régulateur décidera finalement d’emprunter.

Christine Bouthillier est directrice principale de contenu à Conseiller.

[1] Autorité des marchés financiers, La gestion des risques de conflits d’intérêts liés aux incitatifs, bit.ly/2sINlco


• Ce texte est paru dans l’édition d’avril 2018 de Conseiller.

Christine Bouthillier

Titulaire d’un baccalauréat en science politique et d’une maîtrise en communication de l’Université du Québec à Montréal, Christine Bouthillier est journaliste depuis 2007. Elle a débuté sa carrière dans différents hebdomadaires de la Montérégie comme journaliste, puis comme rédactrice en chef. Elle a ensuite fait le saut du côté des quotidiens. Elle a ainsi été journaliste au Journal de Montréal et directrice adjointe à l’information du journal 24 Heures. Elle travaille à Conseiller depuis 2014. Elle y est entrée comme rédactrice en chef adjointe au web, puis est devenue directrice principale de contenu de la marque (web et papier) en 2017, poste qu’elle occupe encore aujourd’hui.