Conjuguer rendements social et financier

Par Gérard Bérubé | 9 avril 2017 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Shao-Chun Wang / 123RF

Du placement éthique à l’investissement responsable, la finance sociale a dépassé le stade du « greenwashing » et du label marketing. L’heure est à la reddition de comptes.

« ­Nous en sommes ­au-delà de ce qu’on appelait le placement éthique. On parle désormais d’un univers plus vaste, celui de l’investissement socialement responsable, et l’intérêt des investisseurs continue de s’étendre, notamment avec l’avènement encore récent de l’investissement d’impact », témoigne ­Brian ­Minns.

C’est ainsi que le directeur, ­Investissement responsable du cabinet spécialisé ­Addenda ­Capital résume la situation. Avec la démarche éthique, l’investisseur faisait de ses choix de placement une question de discrimination et d’exclusion, du type « je ne veux pas de pétrolières, de fabricants d’armes ou de cigarettiers dans mon portefeuille ». Il retenait alors une approche de tamisage.

Brian Minns

Brian Minns

Avec celle de l’investissement responsable ou durable, les considérations environnementales, sociales et de gouvernance – les facteurs ­ESG – s’insèrent dans une approche de long terme, moins punitive et plus proactive, et dans une communication plus positive avec l’émetteur. Au rendement financier, concurrentiel avec les formes de placement plus traditionnelles, s’ajoute donc un rendement social.

Aujourd’hui, l’investissement d’impact va un peu plus loin en adoptant un comportement plus ciblé : l’intention est d’obtenir ou de créer une valeur financière et sociale spécifique, et d’en mesurer les effets sociaux ou environnementaux.

ACTIONNAIRE ACTIVISTE

Donc oui, des pétrolières peuvent se retrouver dans un fonds d’investissement responsable, ­donne-t-on en exemple. Mais on va s’en remettre aux leaders du changement, aux entreprises qui se sont engagées à réduire leur empreinte carbone. On applique un filtrage positif des entreprises selon le classement qu’elles occupent dans leur secteur et leur impact par rapport à une norme de référence.

Le dialogue est favorisé. À titre d’actionnaires, les gestionnaires de portefeuille sont toujours plus nombreux à exercer leur droit de vote afin d’influer sur les comportements. « ­Les institutionnels exercent de plus en plus d’influence sur les conseils d’administration, par l’exercice des droits de vote et par le jeu des propositions d’actionnaires », souligne ­Jocelyn ­Caron, directeur des opérations au ­Groupe ­Investissement ­Responsable (GIR). Il s’en réjouit : « ­Tous les votes sont porteurs de changement. »

Barbara ­Lambert, gestionnaire de portefeuille principale, ­Revenu fixe à ­Addenda ­Capital, rappelle qu’il est désormais reconnu que l’intégration de critères ­ESG dans les processus d’investissement a un impact positif sur le profil ­risque-rendement d’un portefeuille. Cette sensibilité est source d’occasions mais aussi un facteur de réduction du risque. Et le tout se mesure de manière plus précise.

« L’intégration de critères ­ESG dans les processus d’investissement a un impact positif sur le prtofil ­risque-rendement d’un portefeuille. »

– Barbara ­Lambert, gestionnaire de portefeuille principale, Revenu fixe, Addenda Capital

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« ­Nous avons accès aujourd’hui à plus d’informations, à plus d’analyses. Les émetteurs divulguent davantage et nous disposons d’agrégateurs de données. Les agences de notation sont par ailleurs plus engagées ou plus sensibles aux facteurs ­ESG, et ce, dès le début du processus d’émission des titres », ­explique-t-elle.

Pour leur part, les conseillers connaissent mieux l’approche « et nous pouvons leur offrir un historique de rendements », ajoute ­Rosalie ­Vendette, conseillère principale, ­Investissement responsable chez ­Desjardins ­Gestion de patrimoine.

POPULARITÉ CROISSANTE 

La popularité de ces outils est grandissante. Selon les données de l’Association de l’investissement responsable au ­Canada (AIR), l’actif des placements s’en remettant aux principes d’investissement responsable atteignait les 1 500 milliards de dollars à la fin de 2015, soit 38 % de l’ensemble de l’actif sous gestion au ­Canada. La hausse est de près de 50 % en deux ans et de 2,5 fois en cinq ans. Pour l’investissement d’impact, l’actif canadien sous gestion se chiffrait à 9,2 milliards de dollars à la fin de 2015, contre 4,1 milliards deux ans plus tôt.

Trois éléments ont facilité l’essor de l’investissement responsable. La pression exercée par les investisseurs sur les gestionnaires en premier lieu. De plus, les politiques ­ESG sont désormais considérées comme un levier de création de valeur par les investisseurs, offrant un rendement comparable à celui des fonds traditionnels. Enfin, ne pas en tenir compte s’additionne de plus en plus dans la liste des risques financiers. La notion d’« actif échoué » et le mouvement de décarbonisation des portefeuilles ont permis de surmonter bien des obstacles, de vaincre bien des réticences.

« ­Beaucoup d’investisseurs choisissent l’investissement responsable afin de minimiser les risques, et pas nécessairement pour des préoccupations morales, précise ­Jocelyn ­Caron. En réduisant l’exposition aux scandales, aux malversations et aux infractions réglementaires, en ayant une meilleure gestion interne, on atténue les risques d’atteinte au rendement. »

« Beaucoup d’investisseurs choisissent l’investissement responsable afin de minimiser les risques, et pas nécessairement pour des préoccupations morales. »

– Jocelyn ­Caron, directeur des opérations au ­Groupe ­Investissement ­Responsable

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Certification en évolution

Quant aux instruments de mesure ou d’attestation, les actions se multiplient. L’AIR offre une certification pour les conseillers et professionnels de l’investissement responsable.

Pour les produits et titres offerts, « il existe des labels, des certifications dans d’autres juridictions mais pas de normalisation officielle au ­Canada », souligne ­Rosalie ­Vendette.

Sur le marché des titres à revenu fixe, le programme international de normes et de certification des obligations vertes évolue sous la ­Climate ­Bonds ­Initiative, qui semble s’imposer comme celle qui dicte la norme de convergence. Cette organisation sans but lucratif est engagée dans la mobilisation des capitaux dans la transition vers une économie à faible carbone et résistante aux changements climatiques.

Dans l’univers mondial des fonds d’investissement, ­MSCI, ­ex-filiale de ­Morgan ­Stanley spécialisée dans la construction d’indices boursiers, lançait l’an dernier son système de classification des fonds d’investissement en fonction de critères ­ESG. Peu avant, ­Morningstar proposait son propre système de notation.

« ­Ces initiatives ne sont toutefois pas standardisées et l’approche par indicateurs de performance propose une vision d’ensemble, sans égard aux différentes stratégies de mise en œuvre de l’investissement responsable sur lesquelles s’appuie le design des produits. Mais l’information est toujours plus abondante », soutient ­Rosalie ­Vendette.

Aussi, la fiabilité de l’étiquette ­ESG et de la normalisation se précise davantage depuis le lancement de cette initiative internationale des ­Principes pour l’investissement responsable (PRI), en 2006, sous l’égide des ­Nations ­Unies. Aujourd’hui, près de 1 500 institutions financières, fonds de retraite et gestionnaires de portefeuille sont signataires des ­PRI.

« ­Pour être sélectionnées dans le cadre d’une stratégie en investissement responsable, les entreprises sont soumises à l’examen de leurs pratiques environnementales, sociales et de gouvernance, mais également à une analyse financière rigoureuse, illustre ­Rosalie ­Vendette. Six grands principes ­sous-tendent les ­PRI. Ce n’est pas contraignant mais on joue, ici, sur la transparence et on s’inspire de la formule « se conformer ou s’expliquer ». Les adhérents s’engagent à divulguer, à rendre des comptes chaque année sur au moins la moitié des indicateurs. »

Rosalie ­Vendette résume : « L’avenir est aux indicateurs de performance et à la reddition de comptes sur les répercussions et les externalités , ainsi qu’à une vérification indépendante chez les émetteurs et les mandataires de l’investisseur des effets concrets générés. »

« L’avenir est aux indicateurs de performance et à la reddition de comptes sur les répercussions et les externalités. »

– Rosalie ­Vendette, conseillère principale, Investissement responsable, ­Desjardins ­Gestion de patrimoine

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Jocelyn ­Caron acquiesce : « ­Peut-être ­avance-t-on par petits pas dans cet univers, mais on a tout de même progressé de façon notable. »

L’industrie a surmonté sa crise de confiance relative à un label trop longtemps récupéré à des fins de marketing. « ­Je suis contre le label, qui fait appel à des critères discriminatoires mais ne porte aucune attention au comportement de l’entreprise », ­dit-il.

Mais le cadre est appelé à conserver un certain flou, une petite dose de subjectivité. Une pétrolière réinvestissant dans l’énergie renouvelable, un fabricant de train d’atterrissage pour avion commercial également actif dans le segment militaire… « ­Il est rare qu’on puisse affirmer sans ambages ce qui est éthique ou non. Et la notion d’investissement responsable varie d’un investisseur à l’autre », ­conclut-il.

LES RENDEMENTS SONT AU RENDEZ-VOUS! 

À titre d’exemple, selon les données de l’AIR pour 2016, le rendement (annuel composé) moyen d’un fonds d’actions canadiennes répondant aux critères d’investissement responsable était de 19,79 % sur un an, de 6,94 % sur trois ans, de 9,76 % sur cinq ans et de 4,59 % sur dix ans.

Pour un fonds d’actions canadiennes traditionnel, ces rendements se chiffraient respectivement à 16,73 %, 6,20 %, 8,63 % et 3,80 %.

Pour un fonds équilibré, le rendement annuel moyen composé dans le segment investissement responsable s’établissait à 11,13 % sur un an, à 6 % sur trois ans et à 7,84 % sur cinq ans.

Pour un fonds équilibré traditionnel, ces rendements étaient de 10,89 %, de 5,41 % et de 7,23 % respectivement.


• Ce texte est paru dans l’édition d’avril 2017 de Conseiller

Gérard Bérubé