Davantage de femmes en services financiers… mais où?

23 février 2016 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Dernièrement, j’ai mis la main sur un article qui expliquait que 51 % des membres de la Chambre de la sécurité financière et 44 % des planificateurs financiers étaient des femmes. À première vue, nous serions portés à croire que nous sommes dans une industrie où les femmes sont à égalité en nombre avec les hommes.

Je doute souvent de ce qui est avancé, surtout lorsqu’il est difficile d’obtenir des réponses aux questions qu’une affirmation soulève. Je me suis donc mis à chercher les mêmes statistiques, mais en excluant les employés salariés des institutions financières. Je voulais savoir quelle proportion, parmi les conseillers qui développent leur propre entreprise en services financiers, sont des femmes.

Selon un article du Globe & Mail, les femmes ne représenteraient que 15 % des conseillers indépendants en gestion de patrimoine au Canada. Mon propre bureau ne fait que légèrement mieux avec un ratio de 28 %.

LE CONSEILLER AUTONOME

Ma « boule de cristal » me dit que dans un avenir pas très lointain, la majorité des conseillers en finances personnelles au Québec seront indépendants, ne serait-ce que parce que les clients acceptent de moins en moins qu’on ne leur offre que les produits maison. Avoir le choix d’acheter le produit le plus approprié, peu importe le manufacturier, est, à mon avis, une tendance lourde.

POURQUOI N’Y A-T-IL PAS PLUS DE FEMMES?

Une carrière de conseiller autonome offre la meilleure sécurité d’emploi (personne ne peut licencier un conseiller qui travaille à son compte), la possibilité de choisir son horaire de travail et de travailler à partir de la maison et, surtout, l’occasion de faire une réelle différence dans la vie des gens.

Alors, pourquoi les femmes sont-elles sous-représentées?

À défaut de pouvoir m’appuyer sur des études scientifiques, j’ai tout simplement posé la question à une conseillère indépendante pour connaître son avis.

Marjorie Carey, associée au cabinet Services financiers BMA, explique qu’elle a longtemps hésité avant de se lancer dans l’aventure, il y a bientôt trois ans.

« Il est vrai qu’à long terme, la sécurité d’emploi est là puisque je suis maître à bord. Mais avant d’en arriver là, il est un peu normal d’avoir certaines craintes. Être conseillère autonome, c’est être patronne de sa propre entreprise. Pour réussir, il faut savoir être créative, polyvalente, persévérante et bien se connaître. Avec une vie familiale bien remplie, la gestion de l’horaire devient un piège dans lequel il est facile de tomber : être complètement dévouée au travail ou, au contraire, complètement dévouée à sa vie privée? Tout devient donc une question d’équilibre fragile.

Je crois que bien des femmes hésitent parce que ce domaine demande de porter plusieurs chapeaux en même temps. Le fait de sauter dans une carrière aussi exigeante et dont le revenu n’est pas fixe au début peut, à prime abord, en insécuriser plus d’une. »

J’ai également posé la question à Sara Gilbert, consultante et coach d’affaires à Strategist, qui côtoie de nombreuses femmes dans le domaine. Elle avance que plusieurs n’envisagent pas cette carrière pour trois raisons :

  • l’aspect entrepreneur peut faire peur;
  • la méconnaissance du travail de conseiller (on pense souvent qu’un conseiller travaille dans les chiffres et les finances, alors qu’il évolue surtout dans un monde de relations);
  • les inquiétudes au sujet de la conciliation travail-famille, surtout lorsqu’elles songent à avoir des enfants.

POURQUOI CETTE PROFESSION CONVIENT-ELLE AUX FEMMES?

« Faire carrière comme conseillère autonome m’a permis de trouver mon équilibre, celui dans lequel je suis bien. Cette latitude me permet également de faire évoluer mon entreprise à mon rythme, affirme Marjorie Carey. Je suis donc beaucoup moins stressée et toujours heureuse d’être où je suis. […] Cette carrière me permet de m’engager dans différentes causes, de travailler selon l’horaire scolaire de mes enfants lorsque je veux être auprès d’eux, de ma famille, d’étudier dans mes temps libres et de ne jamais arriver en retard au bureau le matin. »

LES SOLUTIONS

D’ici quelques années, nous retrouverons une proportion de femmes et d’hommes plus près du 50 %, croit Amélie Bédard, recruteuse au Centre financier de la Montérégie, mais seulement si les conditions gagnantes sont rassemblées.

« Il faut démystifier la carrière de conseillère en sécurité financière afin de démontrer aux candidates que notre travail consiste en bonne partie à offrir du conseil et de l’éducation financière aux clients et non simplement à vendre des produits financiers », estime-t-elle.

Une autre piste de solution demeure de placer plus de femmes à des postes de direction dans les cabinets indépendants de services financiers, ce qui inciterait plus de femmes à embrasser la profession.

« Je suis devenue, dès mon premier jour comme directrice du recrutement, une ambassadrice de la carrière de conseillère autonome auprès des femmes, l’ayant moi-même été auparavant. Je peux témoigner que la conciliation travail-famille est possible. La flexibilité des collègues au sujet des impératifs familiaux est un élément-clé afin d’encourager les femmes à poursuivre une carrière de conseillère. »

Aux États-Unis, le Certified Financial Planner Board of Standards, l’équivalent de l’IQPF au Québec, a publié une étude en 2014 qui conclut que le problème ne se situe pas dans la rétention ou la discrimination envers les femmes, mais plutôt dans le pouvoir d’attraction de la carrière elle-même. En effet, il a été démontré qu’une fois conseillères, elles le demeurent. Mais comment les amener à choisir la profession de conseillère autonome?

Voici les recommandations du Certified Financial Planner Board of Standards pour inciter plus de femmes à devenir entrepreneures en services financiers :

  • Initier les jeunes aux concepts de base en éducation financière, comme l’importance de budgéter ou d’économiser dès l’école secondaire.
  • Éduquer les conseillers en orientation professionnelle dans les écoles et universités pour qu’ils transmettent aux filles une description adéquate du concept de carrière. On ne le dira jamais assez : les compétences relationnelles sont, en 2016, plus importantes que les compétences techniques ou mathématiques.
  • Encourager les leaders de l’industrie à organiser des conférences dans les universités pour s’assurer que les étudiantes voient la différence entre le travail d’une conseillère et la perception qu’elles peuvent en avoir.
  • Présenter la profession de conseillère indépendante de façon inspirante; une représentante peut faire la différence pour les gens tout en bâtissant sa propre entreprise.
  • Certains réseaux sont proactifs, mais ils n’en font pas la publicité. Mettre de l’avant la réussite des femmes conseillères avec une stratégie de communication aurait un impact important à long terme.
  • Encourager les conseils d’administration à adopter une position en ce sens et à la diffuser.
  • Offrir un mode de rémunération hybride pour les premières années en carrière afin de limiter les pressions financières.
  • Développer une nouvelle définition du mot « réussite » plutôt que de la lier aux ventes à court terme.

QUE RÉSERVE L’AVENIR?

Des organismes comme l’Association des femmes en finance du Québec (AFFQ) sensibilisent tous les secteurs, incluant celui des services financiers, à la nécessité de faire davantage de place à la gent féminine. Aujourd’hui, 20 % des membres des conseils d’administration des entreprises québécoises, toutes industries confondues, sont des femmes. C’est peu, mais la tendance est quand même à la hausse. Donnons-nous quelques années et les leaders en la matière influenceront les autres entreprises et la question ne méritera plus d’être posée.

Au chapitre des conseillers indépendants, de plus en plus de femmes viennent grossir les rangs des cabinets. Par exemple, Simon Gravel, directeur du recrutement à SFL Partenaire de Desjardins Sécurité financière, nous informe que 41 % des nouvelles recrues en 2015 étaient des femmes.

MON SOUHAIT

Sachant que plusieurs intervenants et leaders de notre industrie lisent mes billets sur Conseiller.ca, mon souhait est que les joueurs qui ont de l’influence se concertent afin de mettre en place un plan d’action concret pour encourager les femmes à embrasser la carrière de conseiller autonome.

Nous avons les pistes, il manque l’engagement.

Si vous avez lu jusqu’à la fin, vous voulez probablement faire avancer les choses. Alors, je vous invite à participer en n’hésitant pas à commenter!