Débarrassez-vous donc de votre éloquence!

Par Yves Bonneau | 30 mars 2012 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Les clichés sont monnaie courante. Dans l’industrie des services financiers, ils minent la crédibilité des conseillers. On ne compte plus les campagnes qui jouent sur ces messages équivoques et utilisent des lieux communs pour frapper l’imaginaire du public. Les gens ont tendance à ne retenir que ce qui est évident et on table là-dessus.

J’imagine que vous avez vu comme moi la dernière campagne publicitaire de l’Autorité des marchés financiers (AMF) destinée aux épargnants et investisseurs. J’imagine aussi que vous trouvez le message et la symbolique des images un tantinet équivoque? La tête du beau parleur à cravate ne vous revient pas? Pourquoi n’y a-t-il pas de « belles parleuses » dans la vidéo? Avant de vous offusquer, il faut aussi comprendre le contexte qui a mené à toute cette belle convergence de mesures pour « sensibiliser » les bonnes gens que courtisent en quelque sorte les gouvernements et leurs organismes de réglementation. Bien sûr, la mission des organismes de réglementation, c’est de protéger le public – souvent contre lui-même –, mais ces organismes doivent aussi démontrer qu’ils font des efforts dans ce sens, que ces efforts portent fruit et que, à terme, plus de fraudeurs sont démasqués, et donc, moins de contribuables se font rouler. En soi, une noble cause.

Les manières pour arriver à remplir cette mission sur une base quotidienne donnent néanmoins des résultats mitigés. Certains, plus francs-tireurs que journalistes, commettent des méprises impardonnables. Prenons le cas Earl Jones : pendant quatre jours, presque tous les journalistes ont colporté qu’il était conseiller financier! Cette course à la nouvelle retentissante qui fait monter les cotes d’écoute vient directement en conflit avec l’obligation des émetteurs d’information de bien renseigner les gens. Un peu malgré elle, parce que la façon de communiquer de l’information est ainsi établie, l’AMF participe à cette dérive. La dernière campagne publicitaire est forgée avec les mêmes codes pour marquer le consommateur avec des informations spectaculaires. Dire, par exemple, qu’on a 560 000 fois plus de risque d’être victime de fraude financière que de gagner la loterie frappe certes l’imaginaire, mais la fraude financière, c’est aussi l’hameçonnage, se faire copier sa carte de débit ou de crédit à la station-service du coin, se faire subtiliser des renseignements financiers au téléphone, etc. Évidemment, toutes ces activités n’ont rien à voir avec le contexte d’un « beau parleur » qui veut que vous lui fassiez un chèque à son nom pour un placement mirobolant. Mais ce sont néanmoins des fraudes financières comptabilisées dans les statistiques!

Yves Bonneau, rédacteur en chef du magazine Conseiller.

Pourquoi alors choisir de dépeindre le fraudeur comme quelqu’un de sexe masculin, portant une cravate? Il faut dire que les clichés ont la vie dure, et les créatifs d’agences de pub aiment la facilité. Mais tout cela va de pair avec le client qui trouve que cette campagne rejoint ses objectifs de communication et l’accepte telle quelle.

Procédant de la même logique racoleuse, les médias grand public québécois publient certaines décisions et autres pénalités imposées par l’AMF ou la Chambre. Récemment, le planificateur Robert Morin a été radié à vie. La nouvelle a fait les manchettes d’argent.canoe.ca… Un choix éditorial valable, sans doute.

Il faut dire que la trentaine de personnes de l’équipe de communication de l’AMF fait vraiment un excellent travail et il faut bien la justifier. Ce que je trouve particulier avec les services financiers et les professionnels qui y travaillent, c’est que cette industrie, en plus d’être surréglementée, est scrutée sur 360 degrés par tous les médias. Aucun autre secteur d’activité ne fait autant les manchettes.

Quand une infirmière est radiée pour faute professionnelle ou un médecin commet une erreur de diagnostic et est réprimandé par son ordre professionnel, est-ce que ça fait une nouvelle dans l’infolettre de Canoë ou de La Presse? À moins que ce soit vraiment gros ou qu’il y ait des poursuites, on n’en entend pas parler. Pourtant, ça concerne notre santé à tous. Même chose avec les ingénieurs qui construisent des ponts et des viaducs qui nous tombent dessus, ça concerne notre sécurité, notre vie en dépend! Il me semble que c’est au moins aussi important que notre portefeuille de placement, non?

Combien d’avocats ou de notaires se sont fait pincer pour des fautes professionnelles graves? Bon an mal an, à peu près le même nombre que les conseillers? En voit-on la trace quelque part?

De plus, dans les communiqués de l’AMF, plus de 90 % des gens mis à l’amende sont de simples fraudeurs sans permis ni titres professionnels, comme Earl Jones. Mais, comme ils ont enfreint la Loi sur les valeurs mobilières ou la Loi sur la distribution des produits et services financiers, ils deviennent soudainement conseillers par association de fraude. Et le peuple, et les journalistes embarquent là-dedans pour faire de la profession le plus grand repaire de fraudeurs, toutes industries confondues (exception faite possiblement de l’industrie de la construction).

Le problème, c’est peut-être que les conseillers sont les seuls à se considérer comme des professionnels. Cette considération, ne l’attendez pas des organismes de réglementation ou du ministère des Finances. Pas tant que vous ne leur aurez pas signifié d’une seule voix. En attendant, les fonctionnaires, les ministres, les intervenants qui gravitent autour de l’industrie des services financiers vont continuer de croire que vous êtes des fraudeurs en puissance parce que ça leur permet d’échafauder des programmes, de la réglementation, des campagnes d’information qui se basent sur des stéréotypes. Il faudra bien un jour que vous vous unissiez pour défendre votre profession.

Cet article est tiré de l’édition d’avril du magazine Conseiller. Pour le consulter en format PDF, cliquez ici.

Yves Bonneau