Des caisses de retraite de Ponzi?

Par Yves Bonneau | 27 février 2012 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Les caisses de retraite des entreprises privées comme celles des employés de l’État croulent littéralement sous une énorme pression résultant des rendements anémiques des marchés depuis une décennie.

Québec a mis sur pied récemment un comité d’experts sur notre système de retraite, présidé par l’ex-numéro un de Desjardins Alban D’Amours.

En 2010, 1,23 million de Québécois souscrivaient à un des 893 régimes à prestations déterminées (PD) surveillés par la Régie des rentes du Québec. De ces derniers, 572 000 sont des cotisants qui représentent 15 % des 3,9 millions de travailleurs employés au Québec. Selon Alban D’Amours, ils étaient 25 % dans les années 90. Les régimes PD sont en sérieuse perte de vitesse à mesure que les rendements boursiers ne sont pas à la hauteur des prévisions et que l’on se rend compte que la retraite coûte beaucoup plus cher que prévu à tout le monde étant donné, entre autres, le rehaussement généralisé de l’espérance de vie des retraités.

Le comité veut donc voir comment améliorer le système de retraite québécois pour le rendre « viable et performant » : grosse commande.

Yves Bonneau, rédacteur en chef du magazine Conseiller

Le comité D’Amours étudiera l’offre des régimes complémentaires, les impacts sur la situation financière à la retraite et déterminera quels sont les éléments-clés des problèmes actuels afin de réviser les paramètres du système.

Faire des prévisions de rendement pour des régimes de retraite est loin d’être une science exacte. Parlez-en aux nombreux actuaires qui se cassent les dents sur la question depuis 50 ans! À tel point qu’on pourrait caricaturer aujourd’hui les caisses de retraite de sortes de chaînes de Ponzi où l’on paie les prestations des rentiers à partir des contributions des cotisants à un rythme qui ne cesse de s’épuiser… Pourquoi?

Le gouvernement et son comité d’experts vont tenter d’établir les bases de ce qui pourrait devenir un nouveau contrat de société. Tout ce qui touche aux régimes de retraite sera analysé : leur financement, le ratio des cotisations et même l’idée de Claude Castonguay d’obliger les Québécois à participer à un régime de retraite. Il faut noter que 30 % des travailleurs, soit 1,2 million de Québécois, ne détiennent aucune épargne-retraite.

Mais tout ça, c’est demain et après-demain. Pour l’heure, l’urgence pointe du côté des caisses de retraite qui se retrouvent quasiment en défaut de paiement pour toutes sortes de raisons, et souvent parce que les gestionnaires ne sont pas surveillés et eux-mêmes contraints par nos bons gouvernements à une certaine rigueur par rapport à leur obligation fiduciaire.

La baisse récente des taux d’intérêt obligataires a gonflé la valeur du passif des régimes, effritant du coup leur solvabilité. Comme cataplasme, Québec a adopté l’automne dernier le projet de loi no 42 pour alléger les obligations des promoteurs en 2012 et 2013. Pendant ce temps, le taux médian de solvabilité des régimes PD au Canada n’était plus que de 68 %. Ce qui veut dire évidemment qu’en cas de faillite, fermeture ou fuite vers l’Asie des dirigeants, un régime moyen ne pourrait remplir que 68 % de ses engagements. La rente des retraités ainsi touchée peut être conséquemment amputée d’un pourcentage équivalant au taux de solvabilité du régime, ou carrément réduite à néant dans les scénarios du pire.

Les retraités de la mine Jeffrey en Asbestos, ceux d’Abitibi Bowater de Dolbeau et de Donnacona, ceux de Papiers White Birch à Québec vivent présentement les contrecoups du laxisme des gouvernements qui ont permis aux dirigeants d’entreprise de prendre congé de cotisations à leur régime de retraite pendant les belles années productives des marchés boursiers et obligataires. Personne ne s’est soucié du risque fiduciaire qu’on a fait subir (et qu’on fait toujours subir) à des millions de travailleurs. Et, devant la catastrophe appréhendée, on nous offre un comité d’experts.

Au lendemain de l’éclatement de la bulle techno, le spécialiste torontois des régimes de retraite Keith Ambachtsheer a calculé que les régimes de retraite canadiens avaient perdu 200 milliards dans la débâcle. Le crash de 2007 en aurait fait disparaître le double.

À ce rythme, oubliez les préretraites, les retraites dorées, oubliez le transfert de richesse à la prochaine génération.

Il est toujours désolant de voir à quel point nos gouvernements s’empressent de subventionner avec nos taxes des entreprises dont on ne se soucie que trop peu de la viabilité ou de l’intérêt des dirigeants de s’impliquer dans le développement durable de l’entreprise et des ressources qu’elle consomme.

De sérieuses questions se posent. Quand arrêtera-t-on de permettre aux entreprises de piger dans les fonds de retraite afin de sauver leur peau? Pourquoi aucune garantie n’existe pour protéger les régimes des travailleurs? Comment se fait-il que la caisse de retraite ne soit pas le créancier prioritaire lorsque survient une faillite?

Entretemps, les contribuables paient des subventions à ces entreprises sans éthique et les mêmes contribuables devront allonger encore plus pour couvrir en partie les besoin de base des travailleurs et retraités sans le sou. Beau contrat social!

En tant que spécialiste de la retraite et conseiller de milliers d’épargnants qui risquent de vivre des moments beaucoup moins prospères au cours des prochaines années, votre responsabilité est de prendre en compte tout ce contexte incertain et insécurisant pour une bonne proportion de vos clients.

Dorénavant, il faudra peut-être calculer que le rentier typique de l’entreprise XYZ ne touchera que la moitié de sa rente. Disons que ça change drôlement une planification!

Cet article est tiré de l’édition de mars du magazine Conseiller.

Yves Bonneau