Dur dur d’être une « personne américaine »…

Par François Bernier | 4 mars 2014 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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De nombreuses règles fiscales s’appliquent aux « personnes américaines », même si elles sont résidentes du Canada et même si elles ont quitté les États-Unis depuis plusieurs années.

Ces personnes doivent, quel que soit leur lieu de résidence, remettre une déclaration d’impôt aux autorités américaines, déclarer les revenus gagnés dans leurs régimes enregistrés étrangers et ceux reçus de fiducies étrangères, dévoiler leurs actifs bancaires étrangers, etc. Autant dire qu’en matière d’évasion fiscale, les autorités américaines ne plaisantent pas.

De plus, les personnes américaines doivent déclarer les revenus générés par les fonds communs qu’elles détiennent à l’étranger. Normal, direz vous… mais il faut savoir que dans certains cas, les règles fiscales américaines imposent une fiscalité punitive aux personnes américaines détentrices de placements étrangers.

Qui sont ces « personnes américaines »?

Ce sont généralement des personnes qui sont nées aux États-Unis ou, dans de nombreux cas, des personnes nées à l’extérieur des États-Unis, mais dont les parents sont des citoyens américains. De plus, les personnes détentrices d’une carte verte américaine, ainsi que les personnes présumées être résidents américains (ceux qui résident pour de longues périodes de l’année aux États-Unis) sont elles aussi considérées comme des personnes américaines. Elles ont donc l’obligation de produire une déclaration d’impôt annuelle aux États-Unis.

Nous verrons, dans les paragraphes qui suivent, quelles règles s’appliquent à ces « personnes américaines » qui détiennent des fonds communs et des fonds négociés en Bourse canadiens.

Effet fiscal

Comme nous l’avons vu, si je suis une personne américaine, je suis tenu de respecter certaines obligations fiscales auprès de l’Oncle Sam.

L’une de ces obligations concerne les « corporations d’investissement passives étrangères » (Passive Foreign Investment Company, ou PFIC).

Sans aller dans tous les détails de la législation américaine, qui est très complexe, on retiendra que les revenus générés par les outils de placements de type « passif », détenus à l’étranger par les personnes américaines, doivent être déclarés aux États-Unis.

Les autorités américaines considèrent généralement que les fonds communs canadiens (qu’ils soient sous forme fiduciaire ou de société), les fonds négociés en Bourse canadiens, et même les « pools » de placements communs sont des instruments de placement de type passif, couverts par les règles sur les PFIC.

Jusqu’à tout récemment, les personnes américaines détentrices de tels placements faisaient face à une fiscalité punitive lorsque venait le temps de faire leur déclaration à l’Internal Revenue Service (IRS, l’équivalent de l’Agence du revenu du Canada pour les États-Unis).

En effet, deux méthodes s’offraient à elles pour déclarer ces revenus :

  • La première est le « choix d’évaluation à la valeur du marché » (« mark to market election »). Lorsque cette méthode est utilisée, les détenteurs de PFIC doivent déclarer les gains en capital réalisés et non réalisés sur une base annuelle, même si l’outil de placement n’est pas vendu. De plus, avec cette méthode, le gain en capital est imposé à titre de revenu ordinaire, et non pas à titre de gains en capital, ce qui est fiscalement désavantageux.
  • La seconde est la méthode dite des « répartitions excédentaires ». Cette méthode, encore plus complexe, prévoit que lorsqu’un PFIC est vendu et qu’il y a gain en capital, celui-ci doit être calculé au prorata de la période de détention, et attribué à chacune des années antérieures. De plus, ce gain en capital attribué aux années antérieures doit être imposé comme un revenu ordinaire au taux d’imposition maximum marginal. De plus, des intérêts doivent être payés pour ce gain en capital prospectif.

Comme vous pouvez le constater, ces deux méthodes peuvent s’avérer coûteuses tant du point de vue fiscal que du point de vue des honoraires professionnels.

Une solution en vue

Une troisième solution plus avantageuse est offerte aux personnes américaines détenant une PFIC : il s’agit du « choix relatif à un fonds électif admissible » (Qualified Electing Fund, ou QEF).

Il permet d’éviter les conséquences néfastes qui pourraient découler de l’utilisation des deux autres méthodes précitées.

Le revenu généré par une PFIC sera en général imposé à titre de revenu ordinaire, mais le gain en capital conservera ses caractéristiques fiscales privilégiées.

Toutefois, pour pouvoir produire un choix relatif à un fonds électif admissible, il faut que l’institution financière détenant le PFIC puisse produire des relevés conformes aux exigences de présentation de l’IRS.

Pour le moment, seul un nombre restreint d’institutions financières, dont mon employeur Placements Mackenzie fait partie, permettent aux personnes américaines d’utiliser ce procédé, en fournissant des renseignements détaillés sur les bénéfices ordinaires, gains en capital nets et distributions, dans les déclarations de renseignements annuelles qu’elles établissent pour les PFIC. Les institutions financières qui émettent ce type de relevés permettent aux personnes américaines qui le désirent de choisir de traiter chacun des fonds détenus comme un fonds électif admissible aux fins de l’impôt américain, pour l’année d’imposition 2013 et pour chacune des années suivantes.

Effet sur les régimes enregistrés au Canada?

À noter que les REER, FERR, CRI et FRV sont exemptés des règles concernant les PFIC, si le particulier produit le formulaire 8891 auprès de l’IRS.

Toutefois, les régimes enregistrés d’épargne-études (REEE), régimes enregistrés d’épargne-invalidité (REEI) et comptes d’épargne libres d’impôt (CELI) détenus par des personnes américaines ne bénéficient pas d’une dispense semblable, et sont donc assujettis aux règles relatives aux PFIC. Comme ces comptes ne sont pas considérés comme des comptes « en franchise d’impôt » selon les règles de l’IRS, les revenus générés à l’intérieur de ceux-ci (incluant les subventions et les bons qui peuvent être reçus dans le cadre du REEE ou du REEI) doivent être déclarés annuellement aux autorités fiscales américaines.

Le long bras du fisc américain

Certaines personnes touchées par ces obligations pourraient avoir la tentation de ne pas les remplir. Toutefois, à la suite de l’entrée en vigueur du Foreign Account Tax Compliance Act (FATCA) aux États-Unis, à compter du 1er juillet 2014, et à la suite de la signature récente d’une entente entre le Canada et les États-Unis sur la mise en application de cette loi, il deviendra difficile pour les personnes américaines de ne pas respecter leurs obligations fiscales envers les autorités américaines. Cette entente, signée le 5 février dernier, permettra un échange d’information entre les institutions financières canadiennes, les autorités fiscales canadiennes et les autorités fiscales américaines.

Conclusion

En fonction des statistiques consultées, il existe de 1 à 2 millions de personnes américaines résidant au Canada. Les obligations fiscales auxquelles elles font face sont nombreuses et fort complexes. Le conseiller, sans devenir un spécialiste de la fiscalité américaine, doit savoir identifier les problématiques de base pouvant toucher cette clientèle.


François Bernier, notaire, est directeur, planification fiscale et successorale à Placements Mackenzie

François Bernier

François Bernier est notaire. Il occupe le poste de directeur, techniques de planification avancées à la Financière Sun Life.