Climat : le monde de la finance doit faire sa part

Par La rédaction | 21 octobre 2019 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Ancien président du Conseil de stabilité financière et ex-patron de la Banque du Canada de 2008 à 2013, le Canadien Mark Carney préconise un encadrement plus strict du système financier mondial en vue de limiter le réchauffement climatique, rapporte Radio-Canada.

Dans un récent discours (en anglais seulement) tenu à Tokyo, l’actuel gouverneur de la Banque d’Angleterre estime en effet que, telle qu’elle fonctionne aujourd’hui, l’industrie mondiale de la finance accélère le phénomène plutôt qu’elle ne contribue à le freiner, et ce, contrairement à ses intentions proclamées.

Une prise de parole « sans précédent », souligne Radio-Canada, qui note que « le banquier en chef du Royaume-Uni affirme que les institutions financières font partie du problème et que l’impératif climatique devrait nous obliger à les réglementer davantage ». Concrètement, explique le dirigeant, les fonds en provenance des établissements bancaires et des firmes d’investissements qui financent une série de grands projets polluants risquent de mener à une augmentation de 4° C d’ici la fin du siècle. Et cela en contradiction avec l’Accord de Paris, qui prévoyait limiter la hausse de la température mondiale à 2 °C, voire seulement 1,5 °C.

RÉFRÉNER LES APPÉTITS DE LA PLANÈTE FINANCE

Si les objectifs sont clairs, les politiques menées par les différents États industrialisés sont incohérentes, soutient Mark Carney. À l’heure où les 20 plus importantes compagnies énergétiques du monde sont responsables d’un tiers de la totalité des émissions de carbone sur la planète, le gouverneur de la Banque d’Angleterre juge qu’il est plus que temps de réfréner les appétits insatiables de la planète finance. Se référant à certaines firmes d’investissement qui ont commencé à évoluer vers des secteurs autres que ceux des énergies fossiles (par exemple le Fonds d’investissement du Japon, qui gère des actifs de 1 600 milliards de dollars américains), le dirigeant se veut offensif.

Dans une entrevue accordée la semaine dernière au quotidien britannique The Guardian, Mark Carney annonce notamment que les sociétés, et plus largement les industries, qui n’ont pas encore mis en place de plan pour devenir « carboneutres » seront un jour ou l’autre « punies » par les investisseurs, ce qui les conduira à la faillite.

Le dirigeant estime par ailleurs que si la transition vers un monde « décarboné » n’est pas dirigée de façon ordonnée, une crise financière risque de survenir. Une opinion que Radio-Canada résume ainsi : « Plus on attend, plus les risques d’effondrement du système financier grandissent. Sans une intervention musclée, ce sont plus de 20 000 milliards de dollars américains d’actifs qui pourraient être effacés. » Conclusion de Mark Carney : non seulement le secteur financier doit être strictement encadré pour l’empêcher de financer des projets polluants, mais il faut l’empêcher, d’une façon ou d’une autre, de continuer à prendre des décisions d’investissement qui risquent d’engloutir des sommes faramineuses dans une transition énergétique ratée.

« LA PLUS GROSSE BULLE DE L’HISTOIRE ÉCONOMIQUE »

Un point de vue que partage Jeremy Rifkin, qui prédit la fin de la « civilisation fossile » telle que nous la connaissons aujourd’hui. Dans une entrevue accordée en fin de semaine à l’Agence France-Presse à l’occasion de la sortie en français de son dernier livre, Le New Deal vert mondial (éditions Les liens qui libèrent), l’économiste américain prédit que la civilisation basée sur les énergies fossiles pourrait s’effondrer d’ici une dizaine d’années. Avec, pour la remplacer, une « nouvelle économie » axée sur les énergies solaire, éolienne, numérique… et sans nucléaire. « La civilisation des carburants fossiles, qui est à la base des deux premières révolutions industrielles, s’effondre en temps réel », soutient-il.

Partant du constat que « le solaire et l’éolien deviennent si bon marché que leur coût moyen est désormais moindre que celui de l’énergie nucléaire, du pétrole, du charbon ou même du gaz naturel », Jeremy Rifkin croit qu’il s’agit là d’« un tournant majeur » et que « des milliers de milliards de dollars d’actifs » seront perdus dans « le complexe mondial des énergies fossiles ». « Les actifs perdus, ce sont les droits d’exploration pétrolière et gazière qui resteront inutilisés, tous les hydrocarbures qui ne seront jamais extraits, tous les pipelines qui seront abandonnés, de même que les centrales électriques qui ne seront pas utilisées parce qu’elles ne seront jamais amorties », détaille l’économiste.

Selon lui, le marché agira comme « une force puissante » dans cette évolution sans précédent de notre mode de vie. La preuve? « Environ 11 000 milliards de dollars se sont déjà rapidement détournés des énergies fossiles, les investisseurs ne voulant pas perdre leur mise », rappelle-t-il, ajoutant que la banque américaine Citigroup estime que « nous pourrions voir 100 000 milliards d’actif perdus », ce qui ferait de cet événement « la plus grosse bulle de l’histoire économique ».

La « finance verte » sauvera-t-elle le monde?

À l’heure où la mobilisation contre le réchauffement climatique se renforce, certains États se tournent vers le monde de la finance pour solliciter leur aide. Pourtant, la multiplication des obligations « vertes » et autres fonds « durables » ou « responsables » n’a pas encore fait la preuve de son efficacité en termes de lutte contre les émissions de CO2, par exemple, rapporte Le Monde.

« Les marqueurs de l’époque changent vite. On se souvient encore de 2008, quand l’inventivité coupable des banquiers de Wall Street a conduit à l’une des plus graves crises économiques de l’histoire. Déshonorés, conspués pour leur amoralité et leur cupidité, les financiers représentaient aux yeux de tous, y compris de certains candidats aux plus hautes fonctions étatiques, l’ennemi à abattre. Une décennie plus tard, alors que le thermomètre affiche des records inquiétants et réveille des scénarios d’apocalypse, c’est à cette même finance que les États, profondément démunis et désunis face à la question climatique, s’adressent pour tenter de sauver le monde », résume le quotidien français.

DES RÉSULTATS POUR L’INSTANT PEU PROBANTS

D’après le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), il faudrait 6 000 milliards de dollars américains d’investissement chaque année pour avoir une (petite) chance de ne pas dépasser la barre des 2 °C. de réchauffement de la Terre, rappelle dans Le Monde un porte-parole d’Oxfam France. « En ce sens, reconnaît-il, la finance représente autant un danger qu’une opportunité pour la planète ». Selon les chiffres du secteur, l’investissement socialement responsable (ISR) pèserait aujourd’hui environ 31 000 milliards de dollars, soit le quart de la gestion d’actifs aux États-Unis et la moitié en Europe.

Malgré cette progression, il reste encore « bien difficile de mesurer l’impact de ces investissements sur la bonne marche du monde », relève Le Monde. Citant de récents propos de Bill Gates publiés dans le Financial Times, le quotidien français note que, hormis le secteur du charbon, qui a de la difficulté à se financer sur les marchés, « l’investissement durable n’a eu aucun impact sur l’allocation des ressources ». Le problème, explique le dirigeant d’une société de conseil en stratégie de « décarbonation », est que « l’essentiel de la finance responsable est fondé sur des critères qui ne sont absolument pas harmonisés » et que « chacun y met à peu près ce qu’il veut, et tout fonctionne sur du déclaratif ».

La rédaction