Coronavirus et Bourse : un cocktail explosif

Par La rédaction | 16 mars 2020 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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graphique boursier
Photo : Vertigo3d / istockphoto

Attentats contre le World Trade Center, SRAS, coronavirus… Si les événements imprévus susceptibles de déstabiliser les Bourses sont assez courants, les mécanismes à l’œuvre dans ce processus relèvent plus de la psychologie que de risques réels, rapporte Le Monde.

Dans une entrevue accordée au quotidien français, l’économiste spécialiste en finance comportementale Mickaël Mangot explique notamment que « le marché est à voir comme un giga-carrefour où se croisent de multiples intervenants, particuliers et institutionnels ». Or, souligne-t-il, en cas de crise, les comportements de ces deux catégories d’investisseurs différent notablement.

Ainsi, juste après les attentats terroristes de 2001, les seconds étaient plutôt acheteurs tandis que les premiers ont vendu sur une grande échelle, ce qui a entraîné une chute des cours. Toutefois, note l’auteur de Psychologie de l’investisseur et des marchés financiers (Dunod, réédition 2008), cette situation a très vite été corrigée. En ce qui concerne le COVID-19, ajoute-t-il, les acteurs sur les marchés chinois ont également réagi différemment après la fermeture de la Bourse de Shanghai pour le Nouvel An chinois, au début du mois de février.

Dans un premier temps, les particuliers ont massivement vendu leurs actions, ce qui a provoqué une baisse de 9 % des cours, avant que les institutionnels ne les rachètent ensuite à bon compte, ce qui les a mécaniquement fait remonter. « Les marchés dans leur ensemble surréagissent en général moins que les particuliers », relève Mickaël Mangot.

NE PAS FOCALISER SUR L’ACTUALITÉ

Interrogé sur les mécanismes psychologiques en cause chez les investisseurs particuliers, le spécialiste estime qu’il y a deux étapes dans la réaction de l’investisseur face au risque. D’une part, la perception du risque, puis la prise en compte de cette perception dans sa décision. Toutefois, insiste-t-il, ces deux étapes sont biaisées. « Au moment d’évaluer les risques, on surestime ceux facilement disponibles à l’attention et à la mémoire. C’est le biais de disponibilité. Si le sujet est nouveau et qu’en plus les médias l’évoquent chaque jour en décomptant les morts, on lui donne une importance excessive par rapport au risque réel. Comme si le fait que tout le monde en parle rendait le risque objectivement élevé », détaille Mickaël Mangot.

« Très volatile, l’attention collective passe en réalité vite d’un risque à l’autre et, dans un second temps, on surpondère les risques rares et extrêmes au-delà encore de leurs probabilités perçues, poursuit-il. La décision se base alors souvent sur le scénario du pire, c’est-à-dire ce qui arriverait si rien n’était fait, si les banques centrales n’existaient pas et si les États ne réagissaient pas. »

Or, met en garde l’économiste, un investisseur sous le coup de l’émotion n’est plus en mesure de bien analyser les risques réels liés à son placement. « En débranchant notre circuit rationnel, les émotions fortes nous incitent à suivre des comportements plus intuitifs d’évitement et de fuite. Si vous avez un ours à vos trousses, vous ne soupesez pas les scénarios possibles, vous courez! » Le problème, poursuit-il, c’est que l’économie « n’est jamais un long fleuve tranquille » et qu’il est illusoire d’attendre un « moment idéal » pour investir.

« LE RISQUE EST PARFOIS AUSSI UNE OPPORTUNITÉ »

« Avant le coronavirus, il y a eu le Brexit, la guerre commerciale sino-américaine, les tensions avec l’Iran, les Gilets jaunes [en France], rappelle Mickaël Mangot. Pourtant, ces deux dernières années, les marchés ont monté. Mieux vaut donc ne pas focaliser sur l’actualité. Si, à court terme, le marché voit se succéder des moments d’irrationalité collective et de retour à la raison, à long terme on assiste plutôt au triomphe des optimistes. »

En ce qui concerne les enseignements à tirer de la crise actuelle, l’économiste déplore le fait qu’avoir conscience des biais pesant sur ses décisions n’empêche pas forcément un gestionnaire de portefeuille d’y succomber. « Pour nous prémunir de la tentation de céder à nos émotions face au risque, on peut automatiser le processus en utilisant les options d’investissement programmé, disponibles dans certains contrats d’assurance vie. On décide de placer la même somme chaque mois, peu importent les images du journal télévisé. Arrêter nécessitant une démarche fastidieuse, il y a peu de chance que ce soit fait. »

Sa conclusion? « Les travaux de l’économiste Robert Shiller [prix Nobel 2013 en sciences économiques] montrent que la valeur fondamentale du marché dans son ensemble progresse quasi linéairement dans le temps, et qu’elle fluctue assez peu avec les événements économiques, même sévères. L’épidémie due au coronavirus pèsera vraisemblablement fortement sur les bénéfices des entreprises mondiales en 2020, mais pas durant des dizaines d’années. Ainsi, les baisses importantes, quand elles surviennent, sont des points d’entrée intéressants pour l’investisseur de long terme. Le risque est parfois aussi une opportunité! »

Le risque de récession aux États-Unis s’intensifie, selon Capital Group

À l’heure où les principales Bourses mondiales dévissent, Capital Group, qui gère plus de 2 000 milliards de dollars d’actifs, exhorte les investisseurs à adopter une vision à long terme et à ne pas céder à la panique en abandonnant leurs placements. Dans un rapport (en anglais) publié récemment par la firme, son président, Tim Armour, se veut optimiste pour l’avenir.

« À ce stade, je ne pense pas qu’il soit réaliste de s’attendre à une reprise rapide, estime-t-il. Les circonstances peuvent très bien empirer avant de s’améliorer. Mais je crois que les marchés finiront par rebondir. La situation actuelle devrait donc passer et, lorsque ce sera le cas, les investisseurs qui peuvent s’affranchir du bruit quotidien, tout comme des chiffres rouges clignotant sur leurs écrans, et se concentrer sur le long terme devraient être récompensés. »

« TOUT REVIENDRA À LA NORMALE »

Au cours des nombreuses années qu’il a passées en tant qu’investisseur professionnel, le dirigeant souligne qu’il a connu « un certain nombre de marchés instables », notamment la crise de l’épargne et des prêts à la fin des années 1980, la bulle technologique et des télécommunications au début des années 2000 et la crise financière de 2008-2009. « Chacune de ces crises a été très différente, avec des conditions sous-jacentes très distinctes. Mais dans chaque cas, les marchés ont rebondi. Je crois que les marchés et les grandes entreprises survivront au déclin et aux rebonds actuels du marché », affirme le patron de Capital Group.

« La propagation du virus finira par ralentir et tout reviendra à la normale, comme les marchés », renchérissent Mike Gitlin, responsable des titres à revenus fixes, et Pramod Atluri, gestionnaire de portefeuille de titres à revenus fixes à Capital. Pour que, à ce stade, les investisseurs s’y retrouvent, les deux dirigeants les encouragent à « faire un bilan de santé et s’assurer que les obligations de leur portefeuille de base sont de haute qualité, comme les obligations d’État et les crédits aux entreprises de première qualité ».

GARE À LA VOLATILITÉ DES PORTEFEUILLES D’ACTIONS

« La probabilité d’une récession a considérablement augmenté par rapport à ce qu’elle était il y a quelques semaines à peine. Les États-Unis sont déjà à la fin de leur cycle économique, et ils sont donc plus susceptibles de tomber dans une récession en raison d’un choc externe douloureux comme celui que nous voyons actuellement. Les investisseurs devraient s’attendre à une période de volatilité accrue. Il est essentiel de connaître le niveau de risque qu’ils prennent dans leur portefeuille global. Dans ces conditions, ils devraient envisager de mettre à niveau leurs portefeuilles obligataires pour se prémunir contre la volatilité de leur portefeuille d’actions », conclut Mike Gitlin.

La rédaction