Dividendes : les sociétés réduisent, les banques résistent

Par La Presse Canadienne | 22 avril 2020 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Photo : Pgiam / istockphoto

Lorsque la COVID-19 a commencé à balayer le Canada, Cenovus Energy a dû réfléchir rapidement pour protéger l’entreprise de la pandémie et des conséquences d’une guerre des prix du pétrole entre l’Arabie saoudite et la Russie.

L’entreprise de Calgary a réduit son budget de dépenses en immobilisations de 150 millions de dollars au début d’avril pour stabiliser l’entreprise face à la faiblesse du cours du pétrole brut.

Ensuite, elle a pris une autre décision, qui pourrait être imitée par plusieurs autres entreprises au pays alors qu’elles se dirigent vers une saison de résultats trimestriels sans précédent : Cenovus a temporairement suspendu son dividende.

« Nous prenons des mesures proactives pour faire face à l’environnement commercial actuel, tout en continuant à nous concentrer sur la sécurité de nos employés et de nos actifs, et en maintenant une performance fiable dans nos activités », a affirmé le chef de la direction de Cenovus, Alex Pourbaix, dans un communiqué. « Il est difficile de prévoir la durée et l’ampleur de cette faiblesse sans précédent des prix des matières premières. »

De telles décisions au sujet des dividendes – une portion changeante des bénéfices d’une entreprise, versée aux actionnaires en guise de récompense pour leur soutien financier – ne sont pas prises facilement.

Les entreprises devront trouver un équilibre entre satisfaire les actionnaires, qui ne refuseront jamais plus d’argent, et maintenir à flot leurs activités, alors qu’elles sont aux prises avec des mises à pied massives, des fermetures forcées de leurs emplacements physiques, la transition du personnel vers le télétravail et, dans certains cas, l’érosion de l’ensemble de leur industrie.

De telles situations ont déjà contraint certaines entreprises à suspendre ou à réduire leurs dividendes, notamment Recettes illimitées, propriétaire des chaînes St-Hubert et Harvey, le Groupe d’alimentation MTY, qui détient les restaurants Valentine et Thaï Express, la société pétrolière et gazière Arc Resources et le transporteur Chorus Aviation.

« Tout le monde a encaissé un coup (…) mais si vos revenus ont encaissé un coup, dans certaines industries, et que vous ne suspendez pas le dividende, (certains observateurs) vont hausser les sourcils », a affirmé Richard Leblanc, professeur de gouvernance, de droit et d’éthique à l’Université York.

LE CENTRE DE GRAVITÉ DES ENTREPRISES

Les dividendes ne peuvent être déclarés que par un conseil d’administration, qui évalue la santé d’une entreprise et les difficultés ou avantages qui l’attendent lorsqu’il prend sa décision, a-t-il expliqué.

Une nouvelle considération a été ajoutée à leurs délibérations en 2019, lorsque la Loi canadienne sur les sociétés par actions a été modifiée pour exiger que les chefs d’entreprise agissent en tenant compte des « intérêts à long terme » d’une société, a expliqué M. Leblanc.

« Il serait très difficile de faire valoir que lorsque des décisions difficiles doivent être prises au sujet de la mise à pied de travailleurs et des chaînes d’approvisionnement, le versement de dividendes ne devrait pas être (étudié) », a estimé M. Leblanc.

« Tout devrait être sur la table. »

Mais David Beatty, directeur du David and Sharon Johnston Centre for Corporate Governance Innovation à la Rotman School of Management de Toronto, ne croit pas que toutes les entreprises vont choisir cette approche.

« Le centre de gravité au cours des 50 dernières années a été, pour (…) toute société inscrite à la Bourse, ses actionnaires », a-t-il souligné.

« Je prendrais soin de mes employés en premier et de mes actionnaires ensuite, mais je serais probablement en très grande minorité. »

M. Beatty pense que le moment est venu pour les entreprises de réfléchir à long terme, malgré l’impulsion à donner la priorité aux parties prenantes et à agir rapidement en raison de la nature incertaine et rapide de la COVID-19.

« Si nous vous donnons nos flux de trésorerie disponibles, nous devrons mettre à pied une tonne de personnes, (…) reporter les améliorations des immobilisations dans les usines A, B et C », devraient se dire les entreprises, selon M. Beatty. « Plutôt que de faire cela et de vous satisfaire avec un dividende, même lorsque vous en avez le plus besoin, il faut penser à moyen et à long terme pour les entreprises et cela nécessite de l’argent. »

M. Leblanc croit que les entreprises des secteurs du pétrole et du gaz naturel, de l’aviation, de l’hôtellerie et du divertissement sont les plus susceptibles de devoir réduire ou suspendre leurs dividendes.

Des entreprises comme Air Canada, West Jet Airlines, Cineplex et Boston Pizza International ont dû mettre à pied temporairement des travailleurs.

« Si vous êtes dans une industrie qui met à pied des travailleurs, et que vous n’avez pas réduit la rémunération des dirigeants et que vous n’avez pas suspendu ou considérablement réduit les dividendes, vous êtes une cible pour l’avocat d’un éventuel demandeur », a souligné M. Leblanc.

LES DIVIDENDES DES BANQUES RÉSISTENT

Cependant, bon nombre des meilleures banques du Canada jurent qu’elles n’effectueront pas de mises à pied cette année.

Elles ont renchéri en faisant des déclarations sur leur vigueur lors de leurs assemblées générales annuelles début avril, affirmant qu’elles ne suspendraient pas les dividendes, même si leurs homologues britanniques les ont supprimés à la demande de la Prudential Regulation Authority.

« Cette banque verse des dividendes depuis 188 ans et nous prévoyons certainement que cela se poursuivra », a affirmé le chef de la direction de la Banque Scotia, Brian Porter.

La base d’actionnaires de la banque est différente de celle d’organisations similaires en Europe et aux États-Unis, parce qu’environ 50 % des actionnaires de la Scotia sont des particuliers qui dépendent des flux de revenu des actions pour leur retraite ou pour faire face aux dépenses générales des ménages, « alors nous savons que c’est important pour nos actionnaires », a-t-il affirmé.

À la Banque de Montréal, le chef de la direction, Darryl White, a souligné que l’entreprise avait versé un dividende à ses actionnaires depuis 191 ans.

« Les banques canadiennes sont entrées dans cette crise avec des ratios de distribution, que nous maintenons depuis un certain temps, en-dessous de 50 %, ce qui nous donne un certain niveau de confort », a-t-il noté. « Si vous remontez à la crise financière, je pense qu’il est significatif qu’il n’y ait pas eu de réduction de dividende à la Banque de Montréal ou à toute autre banque canadienne, d’ailleurs, et c’était une épreuve assez importante. »

Une partie de cette confiance vient des banques qui ont l’avantage d’être moins exposées aux effets négatifs de la pandémie, car les paiements d’intérêts sur la dette sont contractuels, a expliqué M. Leblanc.

Il a toutefois été étonné que les banques continuent d’émettre des dividendes malgré la pandémie parce que le Fonds monétaire international (FMI) a averti que l’économie mondiale pourrait se diriger vers une dépression.

« Nous ne savons pas où cela nous mènera et les institutions financières ont une responsabilité particulière au Canada pour donner le ton », a-t-il dit.

La Presse Canadienne