Être puni pour avoir mis de l’argent de côté

Par La rédaction | 24 septembre 2019 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Photo : 123RF

Faire des économies pourrait bien devenir « un vice passible de sanction », ce qui constitue « un changement de paradigme » dont les conséquences demeurent pour l’instant imprévisibles, estime Le Monde.

Dans son édition de mardi, le quotidien français revient sur la récente décision de la Banque centrale européenne (BCE) de baisser une nouvelle fois son taux d’intérêt directeur, qui se trouvait déjà en territoire négatif, ainsi que de procéder à une relance d’achats d’actifs pour tenter de stimuler l’économie des pays du Vieux Continent.

Le problème, explique le journal, est que plusieurs États membres de l’Union européenne, dont des poids lourds comme l’Allemagne et la France, critiquent de plus en plus ouvertement cette politique. Au point que le très mesuré président de la Bundesbank, Jens Weidmann, affirmait il y a deux semaines que Mario Draghi, le patron de la BCE, avait cette fois-ci « dépassé les bornes ».

QUELQUE CHOSE NE TOURNE PAS ROND

Le Monde leur donne raison en affirmant que personne ne peut plus aujourd’hui « raisonnablement croire que des taux toujours plus bas vont inciter les entreprises et les ménages à emprunter davantage, alors qu’ils sont déjà accoutumés à ce que l’argent ne coûte pratiquement rien ». En effet, poursuit le journal, ce n’est pas parce qu’une dette est proposée à « prix cassé » qu’il ne faudra pas un jour la rembourser… du moins en théorie.

Or, « non seulement le remède prescrit par la BCE ne parvient pas à guérir le malade, mais il le rend de plus en plus anxieux (…) car chacun commence à prendre conscience que quelque chose ne tourne pas rond », ajoute le quotidien.

Pour étayer cette assertion, ce dernier cite pêle-mêle « les offres extravagantes des organismes de crédit » qui se multiplient, ou encore le fait que « les gestionnaires de fortune n’hésitent plus à ponctionner leurs clients parce que ceux-ci ont le malheur de déposer des sommes rondelettes dans leurs coffres ».

Le problème, met en garde Le Monde, c’est que rien ne garantit que les particuliers moins fortunés soient désormais à l’abri de telles pratiques. « Jusqu’ici, épargner a toujours été considéré comme une vertu qu’il fallait récompenser. Mettre de l’argent de côté est sur le point de devenir un vice passible de sanction. Il s’agit d’un changement de paradigme dont on a encore du mal à prendre toute la mesure », écrit-il.

UN « BAS DE LAINE » DE 600 MILLIARDS D’EUROS

Paradoxalement, note le journal, alors qu’on pourrait s’attendre à ce que les consommateurs se ruent dans les magasins pour dépenser de l’argent qu’ils risquent de perdre un jour prochain, c’est exactement le contraire qui se produit. La preuve? L’an dernier, le stock mondial d’épargne a augmenté de 22 %, pour atteindre 172 500 milliards d’euros (252 000 G$ CA), selon le dernier rapport sur la richesse mondiale publié par le groupe allemand Allianz.

Notant que les banques centrales « ne sont pas les mieux placées pour critiquer ces comportements », puisque « elles-mêmes thésaurisent à tour de bras en accumulant des tonnes d’or dans leurs coffres », Le Monde juge que, dans ces conditions, « il est difficile de reprocher aux individus de mettre une proportion croissante de leur épargne sous leur matelas ».

Par conséquent, la BCE estime que plus de 600 milliards d’euros (875 G$ CA) sont aujourd’hui immobilisés par les ménages européens, ce qui représente environ la moitié des euros en circulation sur le Vieux Continent.

Ce phénomène a atteint une telle proportion que la banque centrale a dû recourir à la « planche à billets » et augmenter de 50 % la quantité de monnaie physique disponible, passée de 820 milliards d’euros (1 200 G$ CA) en 2009 à 1 260 milliards (1 840 G$ CA) aujourd’hui.

Le processus qui s’est amorcé a déjà fait des gagnants et des perdants, car la redistribution de la richesse qu’il entraîne ne s’effectue pas uniquement dans le sens prêteurs-emprunteurs, estime Le Monde.

Sa conclusion? « Sous prétexte d’être inclusive, la politique monétaire actuelle ne fait que renforcer les inégalités entre, d’un côté, les détenteurs d’actions et de patrimoine immobilier, qui sont aux anges, et, d’un autre côté, les petits épargnants et les aspirants à la propriété, qui sont devenus les spectateurs impuissants de l’orgie de liquidités organisée par les banques centrales. »

La rédaction