La COVID-19, un véritable « choc structurel »

Par Alizée Calza | 23 juin 2020 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Photo : Romolo Tavani / 123RF

« Le mot récession n’est pas pertinent dans la situation actuelle, car il donne l’idée que c’est l’évolution naturelle d’un cycle. La récession vient après l’expansion. »

C’est ce qu’a lancé Jean Boivin, chef du BlackRock Investment Institute, lors du troisième volet de la série de webinaires Pleins feux sur la crise, de CFA Montréal.

Son équipe et lui préfèrent ainsi parler de contraction économique ou de choc structurel. Une distinction importante, puisqu’ils ne s’attendent pas à ce que le marché suive l’évolution normale d’un cycle et d’une récession.

Jean Boivin estime que certaines choses vont changer de façon permanente, notamment dans la construction de portefeuille.

Il souligne ainsi que la pandémie a accéléré quatre tendances déjà en place de façon importante :

1)     Elle a creusé le fossé des inégalités en touchant principalement les employés en bas de l’échelle.

2)     Elle a prouvé que les politiques macroéconomiques traditionnelles avaient leurs limites.

3)     Elle a accéléré la potentielle démondialisation : après la crise, les entreprises devront revoir leur chaîne d’approvisionnement.

4)     Elle a mis les projecteurs sur les entreprises prenant en compte les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) : elles ont mieux résisté au choc.

UN REBOND ATTENDU

Jean Boivin ne s’étonne pas du rebond observé depuis le mois de mars. « Le choc était tellement visible qu’il était plus facile pour les marchés de l’absorber rapidement », affirme-t-il.

Nous avons effectivement été témoins d’une contraction jamais vue. Au deuxième trimestre, Jean Boivin et son équipe s’attendent à un revers de 40 % aux États-Unis. Mais il estime que le sommet de la crise est maintenant derrière nous.

« Le rebond aussi va sembler sans précédent, prévient-il. Quand on a connu une baisse de 40 %, il n’est mécaniquement pas difficile de voir une croissance de 20 %. »

Mais si la première phase va être très rapide, il s’attend à ce que la reprise soit ensuite bien plus graduelle, pour n’atteindre le niveau d’avant-crise qu’à la fin de 2021.

Il souligne aussi que la situation n’est pas aussi dramatique qu’en 2008. « Malgré l’effet inédit du choc à court terme, selon nous, c’est un ordre de grandeur bien inférieur à ce qu’on a vécu en 2008 à travers le temps. Les conséquences cumulatives du choc ne représenteront qu’une fraction de celles de 2008 », déclare-t-il.

Toutefois, il estime que les marchés ont peut-être fait preuve de trop d’optimisme ces derniers jours et semaines. Il pense ainsi à la remontée exceptionnelle du S&P 500. Le marché devrait se rééquilibrer plus tard.

ALLER PLUS LOIN QUE LA POLITIQUE MONÉTAIRE

À la fin d’août dernier, BlackRock Investment a publié un document sur les réponses macroéconomiques qui devraient être déployées lors du prochain ralentissement. Les politiques monétaires conventionnelles avaient atteint leurs limites et il fallait donc aller plus loin, constataient Jean Boivin et les autres chercheurs.

« Selon nous, il fallait stimuler plus les dépenses des entités privées ou gouvernementales, […] passer par-dessus le mécanisme de transmission des taux d’intérêt, essayer de mettre de la liquidité dans les mains des mécanismes qui pouvaient la dépenser », précise le chef du BlackRock Investment Institute.

La réponse gouvernementale à la pandémie leur donne raison. Tout ce qu’ils avaient imaginé a finalement été mis en place et dans un laps de temps très restreint.

Alors que l’augmentation du bilan de la Réserve fédérale (Fed) a pris cinq ans pour atteindre son maximum en 2008, dans ce cas-ci, tout s’est fait en l’espace de cinq semaines. Les mesures budgétaires prises sont les plus importantes depuis les guerres mondiales.

Jean Boivin note toutefois le paradoxe de cette réponse. En 2011, tout le monde s’inquiétait de la dette et on adoptait des mesures d’austérité. Aujourd’hui, le niveau d’endettement, qui était déjà à un taux record, a été très rapidement haussé. Aux États-Unis, on parlait d’environ 125 % du PIB. On s’attend à ce qu’il passe à 140 % à la fin des réponses gouvernementales.

L’expert se demande donc ce qu’il arrivera une fois le choc passé. Mais il prévoit déjà davantage de collaboration entre les gouvernements et les banques centrales.

DES FACTEURS IMPORTANTS POUR LES PORTEFEUILLES

La pandémie et ses nombreuses retombées auront des répercussions sur les investissements. Par exemple, la révision des chaînes d’approvisionnement obligera les gestionnaires de portefeuille à diversifier davantage de manière régionale.

On peut s’attendre également à ce qu’ils prennent plus en compte les facteurs ESG. La crise a permis de tester la résistance des entreprises qui suivent ces critères et cela a tourné à leur avantage.

Finalement, Jean Boivin croit que les titres à revenu fixe perdront un peu de leur importance dans les portefeuilles. À l’époque, les obligations gouvernementales offraient une protection quand les actions baissaient. Cette corrélation n’est plus tout à fait exacte depuis que les banques centrales contrôlent les taux. Il pense donc que leur rôle sera réduit.

« Sur une base stratégique, on est sous-pondéré [en obligations] maintenant. Si on était dans un monde où on considérait 60 % en actions et 40 % en obligations comme une bonne répartition, maintenant, on est plus vers 65/35 », soutient-il.

Selon lui, les obligations d’autres gouvernements, comme celui de la Chine, pourraient fournir une alternative intéressante.

Sinon, il pense que la façon de construire un portefeuille résilient sera moins financière qu’avant, plus réelle. Les gestionnaires de portefeuille devront se demander quels genres de compagnies ou de gouvernements ont de meilleures caractéristiques du point de vue de la durabilité.

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Alizée Calza

Alizée Calza est rédactrice en chef adjointe pour Conseiller.ca et pour Finance et Investissement.