Le pari ambitieux de Monique Leroux

Par Caroline Ethier | 29 janvier 2021 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Photo portrait de Monique Leroux.
Monique Leroux

En mars 2020, le monde était frappé de plein fouet par une pandémie qui allait profondément bouleverser l’économie. Pour sortir le pays de la crise, le gouvernement fédéral a fait appel à Monique Leroux, conseillère stratégique chez Fiera Capital. Placée à la tête du Conseil sur la stratégie industrielle, la femme d’affaires a eu le mandat d’élaborer un plan d’action. Ce qu’elle a fait, et en un temps record.

La feuille de route de Monique Leroux était déjà impressionnante : ex-PDG du Mouvement Desjardins, ex-présidente du CA d’Investissement Québec, membre de l’Ordre du Canada, officière de l’Ordre national du Québec. L’ambitieuse mission confiée par Ottawa tombait dans des mains expertes.

Déposé en octobre, le rapport du Conseil repose sur un processus de consultations où les voix d’un millier d’entreprises, organismes communautaires, communautés autochtones et autres associations à travers le Canada ont été entendues. En ont découlé une série de recommandations qui seront déployées en trois phases : court-terme, moyen-terme et long-terme. Un travail titanesque fignolé avec beaucoup de discipline.

« Je n’ai pas eu l’occasion de profiter de l’été. On ne peut pas faire ce genre de choses sans être éminemment organisé et structuré », confie Monique Leroux lors d’une allocution virtuelle au Cercle canadien de Montréal.

« Quand on a réfléchi à la façon d’émettre nos recommandations, il était très important de dire que nous avions devant nous une situation d’urgence, explique Mme Leroux. On se rapporte à l’été, qui s’est poursuivi avec une deuxième vague puis une troisième que nous sommes en train de vivre ».

DES RECOMMANDATIONS SUIVIES PAR LE FÉDÉRAL

L’une des premières recommandations du Conseil a été d’informer le gouvernement et les décideurs « des effets pervers de la Prestation canadienne d’urgence (PCU) », précise l’ex-patronne de Desjardins. On se rappellera que certains bénéficiaires de cette aide gouvernementale ont préféré rester à la maison plutôt que de retourner au travail, plaçant les employeurs dans une mauvaise posture, dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre.

Le Conseil a également émis des recommandations spécifiques au sujet des tests de dépistage de la COVID-19 et de la vaccination, notamment en ce qui concerne le rôle du secteur privé dans la coordination, l’exécution et la livraison, rappelle Mme Leroux.

« On a été en mesure, je pense, d’arriver au bon moment et rapidement avec des suggestions concrètes pour permettre au gouvernement de prendre des actions », résume la femme d’affaires.

« ÇA M’A ÉBRANLÉE »

Les nombreuses consultations auxquelles a participé Mme Leroux, d’un océan à l’autre, lui ont fait réaliser à quel point nous n’étions pas tous égaux face à la pandémie.

« On a eu certaines consultations avec un jeune leader inuit où moi, ça m’a ébranlée, confie-t-elle en entrevue avec Conseiller. Honnêtement, les dix premières minutes… on était quelques-uns à être assez émus. Il nous a raconté ce que c’était pour nous à Montréal, de faire face à la crise, comparativement à l’endroit où il vit, [sans] transport aérien et une connexion [internet] extrêmement variable, et toutes les conséquences sur sa communauté. Je dois avouer que ça m’a beaucoup touchée ».

Et si elle a trouvé « fantastique » la disponibilité et la grande générosité des intervenants à partager leurs situations et points de vue, l’urgence d’agir s’est vite fait sentir.

« Des propriétaires d’entreprises nous ont dit que finalement, ils ne passeraient pas au travers. Ce sont des moments que j’ai trouvés difficiles parce qu’on se sentait pressés par le temps », résume la femme d’affaires.

L’IMPORTANCE DE SE DOTER D’UNE STRATÉGIE INDUSTRIELLE

À l’écoute de ces consultations et au terme de ses recherches, le Conseil est venu à la conclusion qu’il était temps pour le Canada de se doter d’une stratégie industrielle.

« Il ne s’agit pas de choisir des gagnants et des perdants. Il s’agit de se demander quelles sont les grandes tendances dans le monde, comme on le ferait pour une entreprise. Quelles sont nos forces et nos faiblesses? Quels sont les secteurs où on peut se démarquer? Comment peut-on bâtir des écosystèmes avec des politiques qui feront en sorte qu’on aura des entreprises canadiennes compétitives, productives, qui deviendront des leaders mondiaux », illustre Monique Leroux.

S’appuyant sur l’Allemagne, l’Australie, la France, ou encore la Corée, « des pays qui se sont donné des stratégies beaucoup plus articulées pour pouvoir bâtir une croissance économique », la gestionnaire est formelle : c’est maintenant qu’il faut agir.

Selon elle, une stratégie industrielle « claire » permettrait de se fonder sur un programme d’investissement public-privé, et de s’appuyer sur « les forces intrinsèques du Canada », soit sur les quatre grands piliers que sont le numérique, le secteur des ressources, le secteur de l’agroalimentaire et le secteur manufacturier.

« Beaucoup de pays nous envient sur le plan des ressources », pointe la gestionnaire, tout en déclarant qu’une stratégie public-privé permettrait d’accélérer la conversion vers une économie plus verte et durable. Selon elle, le Canada peut devenir un leader ESG dans le secteur des ressources. « On a tout ce qu’il faut pour le faire », clame-t-elle.

Un autre exemple de stratégie industrielle touchant cette fois le secteur agroalimentaire. « On a cette capacité de pouvoir nourrir la planète. Mais quand on décortique ce secteur, on se rend compte qu’il manque des morceaux à l’écosystème pour permettre à nos entreprises d’être des compétiteurs globaux. Par exemple, l’infrastructure de transport et de logistique, qui [nous permettraient] d’être aussi efficaces que la Chine ».

Or, il est difficile selon Mme Leroux d’allier une stratégie économique robuste dans un contexte politique « où l’on ne regarde que le court-terme ». « Ce qu’on a voulu faire avec notre rapport, c’est inciter nos dirigeants à [envisager] un peu plus le moyen-terme et le long-terme dans leurs décisions ».

Caroline Ethier