« L’économie n’a jamais été moins pertinente pour les marchés »

Par Siham Lebiad | 27 janvier 2020 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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graphique boursier
Photo : Vertigo3d / istockphoto

L’état de l’économie mondiale n’aura aucun effet sur les marchés boursiers cette année, juge l’économiste David Rosenberg. Une opinion tranchée qui ne fait pas l’unanimité.

C’est ce qu’a avancé le président de Rosenberg Research le jeudi 23 janvier dernier lors de la conférence annuelle de CFA Montréal sur les perspectives pour l’année en cours. L’occasion pour Stéfane Marion et David Rosenberg d’exposer leurs prévisions et leurs craintes pour l’avenir de l’économie et de la finance.

David Rosenberg illustre son opinion par le peu de corrélation entre l’indice S&P 500 et la croissance du PIB réel des États-Unis, qui se situe autour de 7 %, son taux historiquement le plus faible. Il préconise d’ailleurs de surveiller les liquidités plutôt que l’inflation, qui ne donne, selon lui, aucune indication sur l’état des marchés, citant le taux d’inflation le plus faible aux États-Unis, enregistré en août 2019 à 2,4 %, alors que les marchés boursiers enregistraient des records.

L’expert n’hésite pas à comparer la situation en Bourse à celle du début des années 2000, moment qui a précédé la crise causée par la bulle spéculative. On se trouverait alors probablement dans un climat de prérécession, certainement de fin de cycle. Il rappelle le discours de 2016 tenu par Stephen Poloz, gouverneur de la Banque du Canada, qui prévoyait que les taux d’intérêt resteraient bas pour une longue période de temps, ce qui explique que l’économie ne va pas aussi bien que les marchés l’indiquent. Une prédiction toujours d’actualité, selon M. Rosenberg.

Stéfane Marion, économiste et stratège en chef à la Banque Nationale, n’est pas du même avis. « Je pense qu’on doit garder les choses en perspective, précise-t-il, en entrevue avec Conseiller. C’est vrai que le marché a fait extrêmement bien l’année dernière alors que l’économie était décevante. L’année d’avant, la performance de la Bourse avait été mauvaise. Sur une période de 27 mois, elle est en hausse de 14 %. Je ne pense pas qu’on puisse complètement dissocier les deux. »

ÉLECTIONS AMÉRICAINES ET TENSIONS COMMERCIALES

Le scrutin présidentiel aux États-Unis marquera un tournant dans les relations commerciales internationales. Le début de réconciliation avec la Chine ne durera pas, selon David Rosenberg et Stéfane Marion.

« Les 360 G$ d’exportations chinoises vers les États-Unis sont toujours à risque de se voir imposer des droits de douane, malgré leur suspension, explique David Rosenberg. La deuxième phase consistera à voir comment les États-Unis répriment la croissance chinoise. Le taux de croissance du PIB de la Chine est l’équivalent de rajouter l’économie de l’Indonésie chaque année. Les États-Unis ne céderont pas facilement leur place de numéro un de l’économie mondiale, qu’ils ont cultivée pendant des décennies. Le chapitre suivant consistera en une guerre froide économique plutôt qu’une guerre commerciale. »

Quant à lui, Stéfane Marion anticipe un changement de régime causé par les deux puissances économiques et insiste sur les enjeux environnementaux qui prennent de plus en plus d’ampleur.

« Ce que les Chinois et les Américains ont fait, c’est une trêve, qui est par définition temporaire. Une chose qui est certaine : le divorce entamé entre la Chine et les États-Unis va se poursuivre. Une cassure à court terme n’est pas possible, parce que les deux pays sont interdépendants, mais à moyen terme, on se dirige vers un processus de mondialisation différent de celui qu’on a eu durant les 30 dernières années, à savoir deux chaînes d’approvisionnement plutôt qu’une seule. Ce changement aura des répercussions sur toutes les catégories d’actif. Nous sommes alors en train d’assister à un changement de régime sur fond de défis environnementaux. »

Il cite à cet effet le rapport du World Economic Forum, qui prévoit que les cinq premiers défis de l’économie en 2020 seront liés à l’environnement, notamment l’échec de l’action contre le changement climatique et l’augmentation du nombre de catastrophes naturelles. Ces risques auront un effet direct sur les marchés boursiers, les investisseurs s’orientant alors de plus en plus vers des investissements responsables.

LE CORONAVIRUS POURRAIT DESTABILISER L’ÉCONOMIE

Les perspectives boursières sont aussi affectées par le virus chinois sévissant depuis décembre 2019. Le Dow Jones et le S&P 500 ont commencé à en ressentir les effets. Si l’épidémie persiste, l’économie mondiale, jusque-là stable, pourrait s’en trouver affaiblie.

« Plusieurs indicateurs dans les pays émergents et développés laissent présager une croissance de l’activité économique et des bénéfices des entreprises, à condition que le virus chinois ne devienne pas pandémie. Il faut se rappeler qu’au début des années 1900, la grippe espagnole a causé une contraction du PIB de plus de 5 % ainsi qu’une contraction boursière. Mais ce niveau n’est pas encore confirmé », note Stéfane Marion.

Siham Lebiad