Les Asiatiques se ruent sur l’immobilier québécois

Par La rédaction | 4 juin 2019 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
4 minutes de lecture
Photo : bakerjarvis / 123RF

Le nombre de transactions immobilières réalisées au Québec pour le compte d’investisseurs étrangers serait « nettement plus élevé » que ne l’indiquent les statistiques officielles, rapporte le Journal de Montréal dans son édition de lundi.

Après avoir investi en masse à Vancouver et à Toronto, les investisseurs non résidents au Canada s’intéressent en effet de plus en plus à la Belle Province, et particulièrement à Montréal. Résultat, entre 2017 et 2018 seulement, leur nombre a grimpé de 21 %, au point que, dans certains segments d’habitation, les Chinois représentent désormais la moitié d’entre eux. Dans le centre-ville de la métropole québécoise, par exemple, plus de 10 % des résidences sont aujourd’hui vendues à des étrangers, dont beaucoup ne sont jamais venus au Québec.

Interrogée par le JdeM, la présidente de l’Association professionnelle des courtiers immobiliers du Québec (APCIQ), Nathalie Bégin, juge que les données fournies par l’industrie sous-estiment fortement le nombre d’achats effectués par des non-résidents.

BLANCHIMENT D’ARGENT

Ce phénomène inquiète plusieurs experts en criminalité, qui rappellent que l’immobilier est l’un des secteurs les plus recherchés pour blanchir l’argent sale provenant de multiples trafics (armes, drogue, vols, etc.). Des spécialistes ont ainsi récemment calculé que 5 % de la valeur des achats résidentiels effectués l’an dernier pouvaient être reliés au blanchiment, ce qui aurait contribué à une hausse d’environ 5 % du prix des logements.

Si cette situation concernait jusqu’alors surtout l’Ontario, la Colombie-Britannique et l’Alberta, en plus des principales villes du pays, le Québec n’est aujourd’hui plus épargné. « Les malfaiteurs recherchent des pays aux lois anti-blanchiment d’argent très faibles, comme au Canada, et des grandes villes où ils peuvent investir de larges sommes en immobilier », résume Kevin Comeau, membre du groupe de travail de Transparency International Canada. Et le fait qu’il soit souvent difficile de savoir qui est un acheteur étranger complique beaucoup les choses, déplore le chercheur.

À l’heure où l’APCIQ réclame notamment du gouvernement provincial qu’il oblige les acheteurs de biens immobiliers au Québec à divulguer leur citoyenneté, Kevin Comeau, lui, soutient qu’il faudrait mettre sur pied « un registre public, accessible à tous, précisant la propriété véritable de chaque résidence ». Autrement, explique-t-il, un acheteur chinois, par exemple, pourra ainsi facilement faire réaliser la transaction par un proche qui sera citoyen canadien.

OBJET DE SPÉCULATION

Pour tenter d’enrayer ce phénomène et ralentir l’augmentation du prix de l’immobilier, plusieurs municipalités québécoises demandent au gouvernement Legault de leur donner la possibilité de taxer les transactions réalisées au profit de citoyens étrangers. « Notre volonté n’est pas d’imposer immédiatement une taxe, mais d’avoir la capacité de le faire quand on le jugera nécessaire », justifie Robert Beaudry, responsable du développement économique et de l’habitation à la Ville de Montréal.

« Plusieurs personnes achètent uniquement dans le but de faire de la spéculation. Ils ne sont pas sur le territoire, ils continuent de vivre à l’étranger et ils louent ces appartements et condos sur diverses plateformes, notamment à court terme [sur Airbnb] », dénonce le responsable. Interrogée par le Journal, la courtière immobilière Amy Assaad nuance cette réalité. Même si elle admet voir un nombre croissant d’acheteurs acquérir des maisons ou des appartements sans jamais les avoir visités, elle soutient qu’il est impossible d’attribuer la hausse continue des prix de l’immobilier dans la métropole du Québec à la seule présence d’acheteurs étrangers.

Imposée depuis 2015 par Vancouver et Toronto, la taxe de 15 % sur les logements achetés par des étrangers a contribué à y refroidir le marché immobilier, souligne le JdeM. Celui-ci rappelle aussi qu’une autre taxe municipale de 1 % sur les résidences vacantes a également été instaurée dans la métropole de la Colombie-Britannique, tandis que le gouvernement de la province en a imposé une autre, de 2 % cette fois, pour lutter contre la spéculation et les propriétés non habitées.

« Le gouvernement doit envisager une taxe », estime Carlos Leitao

Le gouvernement québécois devrait envisager l’imposition d’une taxe sur les logements inoccupés détenus par des étrangers à Montréal, affirme Carlos Leitao. Dans une entrevue accordée à l’agence QMI, l’ancien ministre des Finances libéral se dit inquiet de la situation dans la métropole :  « Avec l’information que j’ai, je pense que le moment est arrivé de commencer à mettre en place une taxe », soutient-il.

L’ex-ministre indique vouloir ainsi éviter qu’une bulle spéculative se crée autour du secteur immobilier de la ville, ce qui aboutirait à rendre « inaccessible » l’achat d’une propriété dans ce secteur pour une famille québécoise moyenne. « On aimerait éviter ce qui s’est passé à Toronto et à Vancouver », souligne-t-il, avant d’ajouter qu’il invitait l’actuel ministre des Finances « à prendre ça au sérieux ».

Carlos Leitao soutient qu’il faudrait en premier lieu imposer une taxe sur les logements inoccupés détenus par des acheteurs étrangers. « La stratégie la plus efficace, c’est une taxe qui vise les propriétés non occupées, donc des gens qui achètent avec un but purement spéculatif. Le problème, ce sont les propriétés qui sont achetées et qui restent vides. » Sa conclusion? « On n’est pas au point de non-retour, mais on commence à approcher de la zone dangereuse. Il faut agir avant qu’une bulle se manifeste. »

La rédaction