« Les immigrants n’apportent pas leur maison sur leur dos » 

Par Nicolas Ritoux | 19 mai 2023 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Photo : Weerapat Kiatdumrong / 123RF

Pendant que les nouveaux arrivants continuent d’affluer au pays, l’offre augmente bien trop peu et les prix de l’immobilier vont donc demeurer stables, croit Benjamin Tal, économiste en chef adjoint à la CIBC. 

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« La récente mise à jour de l’indice des prix à la consommation indique une inflation plus élevée que prévue, et un marché de l’emploi qui reste fort, ce qui pourrait pousser la Banque du Canada à augmenter de nouveaux son taux directeur, peut-être autour de juillet, au lieu de prendre une pause comme on le pensait jusqu’ici. Mais je crois que ce serait aller trop loin », dit Benjamin Tal.

L’expert rappelle que toutes les récessions économiques ont été alimentées par la même erreur de politique monétaire : les banques centrales ont trop augmenté leurs taux et ont ruiné l’économie.

« L’inflation est un indicateur retardé, de même que les chiffres de l’emploi, mais il est dur pour un gouverneur de banque centrale de résister à hausser ses taux quand l’inflation reste élevée. Le risque d’une hausse de taux, et donc d’une récession, s’est donc amplifié ces dernières semaines », poursuit Benjamin Tal.

« Une des raisons qui pousse la Banque du Canada à évoquer une nouvelle hausse de taux est la chute marquée du marché immobilier, mais il s’est stabilisé depuis, et selon nous c’est une situation plutôt saine. Pendant la pandémie, les prix ont grimpé de 46 % parce que les acheteurs profitaient des avantages d’une récession, soit de faibles taux, sans en subir des conséquences comme le chômage. Le marché avait besoin d’un déclin des prix et de l’activité, et c’est ce qui s’est produit », commente l’économiste.

Le problème, c’est que l’offre refuse d’augmenter, qu’il s’agisse de nouvelles constructions ou de reventes. Les prix demeurent alors relativement élevés, et seule la portion la plus abordable du marché connaît une forte activité. Il donne l’exemple de Toronto, où les propriétés entre 800 000 et 1,2 M$ s’envolent rapidement, tandis que celles à 1,5 ou 2 millions restent invendues.

« Quand les prix et les ventes ont chuté drastiquement, la seule chose qui a sauvé le marché immobilier en termes de prix a été la faiblesse de l’offre. Sa stabilisation apparente est un signe très positif. La Banque du Canada aimerait le voir ralentir avant de réduire ses taux, mais il ne faut pas s’attendre à un mouvement important. L’an dernier, nous avons reçu 950 000 immigrants, résidents temporaires, réfugiés ukrainiens, étudiants. Cette année, on s’attend à environ 1,1 million. Aucun d’entre eux ne porte sa maison sur son dos », illustre Benjamin Tal.

Il dit s’attendre à une inadéquation entre l’offre et la demande, alors que la demande d’appartements à louer augmente et que l’offre ne suit pas. Le Canada fait selon lui face à une « crise d’abordabilité ».

« La pause que nous observons actuellement ne peut être que temporaire. La trajectoire à long terme de ce marché est vers le haut si on ne fait rien pour corriger l’offre. Cette question est urgente, et je crois que les prochaines élections vont permettre de l’aborder, et les politiciens commencent à le réaliser », entrevoit l’expert.

Alors que les propriétés abordables vont l’être de moins en moins sous l’effet de la demande, le reste du marché immobilier est appelé à voir les prix baisser, selon lui.

« Quelque chose doit être fait pour rendre le marché plus abordable. Les fondamentaux sont actuellement très serrés, avec des taux de vacance proches du zéro, et 1 million de nouveaux arrivants chaque année. Les gouvernements commencent à se rendre compte du problème mais ils n’agissent pas assez rapidement. Il faudrait idéalement stimuler la construction d’unités locatives. Cela a déjà été fait dans le passé. Bien que certains esprits critiques n’apprécient pas l’idée de financer des promoteurs fortunés, il s’agit en réalité d’accroître l’offre pour le bien de tous. »

Ce texte fait partie du programme Gestionnaires en direct, de la CIBC. Il a été rédigé sans apport du commanditaire.

Nicholas Ritoux

Nicolas Ritoux

Nicolas Ritoux est journaliste indépendant. Il collabore à Conseiller.ca depuis 2009.