Les épargnants doivent s’intéresser aux changements climatiques

Par Katie Keir | 23 octobre 2018 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Photo : elen1 / 123RF

En général, les discussions sur les changements climatiques portent surtout sur les effets néfastes des activités humaines et industrielles sur la planète. C’est sur cet aspect que repose la popularité croissante de l’investissement responsable auprès des investisseurs institutionnels comme des particuliers.

Il est également important que les investisseurs prennent conscience de l’incidence que les changements climatiques ont sur la croissance des sociétés et, par voie de conséquence, sur les portefeuilles.

C’est la base sur laquelle s’appuient les recommandations finales en matière d’information financière déposées par le Groupe de travail sur l’information financière relative aux changements climatiques (le « TCFD ») l’an dernier. Ce groupe de travail créé par le Conseil de stabilité financière avait comme mission de définir l’information dont les investisseurs, les prêteurs et les assureurs ont besoin afin de mieux cerner les risques et les occasions liés au climat. Un cadre de communication facultatif a ainsi été mis au point pour aider les entreprises à décrire la façon dont elles évaluent et atténuent ce type de risque.

Un groupe d’experts a analysé la qualité de l’information divulguée et son utilité pour les investisseurs lors du sommet de Bloomberg sur la création d’entreprises durables qui s’est tenu à Toronto le mois dernier.

« En permettant au marché d’accéder à toute l’information disponible, le processus recommandé favorisera la répartition efficace du capital », a affirmé le modérateur du groupe, Curtis Ravenel, responsable mondial de la durabilité des entreprises et du secteur financier chez Bloomberg, qui agit également comme secrétaire du TCFD.

Soulignant que de nombreuses entreprises fournissaient déjà des renseignements sur le climat dans leurs rapports, M. Ravenel a précisé que les recommandations du TCFD constituaient une incitation à étoffer les déclarations prospectives, ajoutant que le soutien des investisseurs importants, des assureurs et des entreprises à cet égard était crucial.

DES INFORMATIONS À INCLURE DANS LES ÉTATS FINANCIERS

Les recommandations du TCFD diffèrent d’autres initiatives entreprises en ce sens qu’elles invitent les entreprises à inclure l’information liée au climat à l’intérieur de leurs états financiers, plutôt que dans des rapports distincts et des documents d’information supplémentaire destinés aux investisseurs.

Le fait que les entreprises continuent de rendre compte de leurs résultats sur le front environnemental et social séparément de leurs renseignements financiers crée un problème, selon Gord Beal, vice-président, Recherche, orientation et soutien, à CPA Canada, étant donné que, souvent, les comptables n’interviennent pas dans ce processus.

« Une situation qui va changer à mesure que les entreprises appliqueront les recommandations du TCFD, ajoute-t-il. L’adoption de celles-ci offre aux entreprises la chance de faire connaître au monde extérieur les efforts qu’elles déploient dans ce domaine, notamment en tenant compte des risques liés aux changements climatiques dans leurs décisions d’investissement. »

Dans l’une des quatre catégories, on recommande que les entreprises dévoilent les résultats atteints au chapitre de la gestion des risques liés au climat, par rapport aux objectifs qu’elles s’étaient fixés. Lors d’une séance distincte qui s’est tenue dans le cadre du sommet Bloomberg, Lee Tappenden, président et chef de la direction de Walmart Canada, a cité en exemple la récente acquisition par son entreprise de 30 nouveaux camions Tesla Semis entièrement électriques, un investissement qui, en plus de réduire les gaz à effet de serre (GES) de Walmart Canada, portera à 20 % la proportion de véhicules électriques au sein de son parc de camions d’ici 2022.

INVITER LES FINANCIERS DANS LA DISCUSSION

Dans une autre séance sur le même sujet, Gord Beal s’est dit convaincu que si des comptables et des dirigeants de grandes entreprises étaient invités aux discussions sur les changements climatiques, cela permettrait de soulever d’importantes questions comme : « Comment fonctionnons-nous exactement? », « Comment gérons-nous les risques? » ou « Que faisons-nous pour adapter notre modèle d’affaires à la situation actuelle? ». Selon lui, l’obligation de divulguer ce type d’information forcerait les dirigeants à tout mettre en œuvre pour atteindre les objectifs.

Bien sûr, la présentation du bilan environnemental, social et de gouvernance (ESG) exigera des efforts accrus sur le plan des capacités et de la formation, mais elle contribuera aussi à améliorer la santé des entreprises pour le plus grand bénéfice des investisseurs, des marchés et de l’économie, a assuré M. Beal.

Samantha Hill, directrice de l’investissement responsable à Office d’investissement du régime de pensions du Canada (RPC), qui prenait également part à la discussion sur le TCFD, a affirmé qu’avec le temps, l’application des recommandations permettrait aux investisseurs d’être mieux informés, un avantage qui profitera autant aux investisseurs institutionnels qu’aux particuliers.

« Les entreprises qui gèrent efficacement les enjeux ESG ont de meilleures chances de durer et de créer de la valeur durable à long terme. Pour relever le défi, le RPC a mis au point des outils ESG internes et exclusifs et formé un comité directeur en vue de faciliter la détection, l’évaluation et la gestion des risques et des occasions liés aux changements climatiques », a-t-elle indiqué.

« En général, nous évaluons les risques à long terme sur un horizon de 60 à 80 ans, a précisé Mme Hill, à l’aide d’un outil qui mesure l’exposition des portefeuilles au risque lié aux GES. »

En plus de gérer les investissements et le portefeuille du régime à la lumière de l’information améliorée divulguée par les entreprises, l’Office d’investissement du RPC, qui prévoit adopter les recommandations dans ses rapports d’ici 2021, utilisera les recommandations du TCFD pour faire connaître ses propres initiatives aux investisseurs canadiens.

Ainsi, on peut lire sur le site Web de l’Office que les administrateurs du RPC ont l’intention de mobiliser les entreprises pour les encourager à améliorer leur gestion des enjeux ESG, particulièrement en ce qui concerne les modalités de vote sur les propositions des actionnaires.

DU CÔTÉ DES ASSUREURS

D’autres institutions financières s’intéressent aussi de près aux changements climatiques. Les polices d’assurance de biens étant établies en fonction de l’éventualité des dommages, les assureurs sont parmi les premiers concernés lorsque surviennent des inondations et d’autres phénomènes météorologiques, fait remarquer Karen Higgins, première vice-présidente des finances et chef des finances du Groupe Co-operators limitée à Guelph, en Ontario.

« Nous voyons ce que cela entraîne comme conséquences sur nos clients et les collectivités dans lesquelles nous exerçons nos activités, mais également – je dois dire – sur nos résultats financiers. Et il faut s’attendre à ce que les risques et les problèmes liés aux changements climatiques continuent d’augmenter », d’ajouter Mme Higgins. Dans son Rapport annuel 2017,  la coopérative indique que, préoccupée par les phénomènes météorologiques toujours plus violents engendrés par le climat changeant, elle travaille depuis 2010 à réduire ses émissions de carbone qui sont passées de l’équivalent de 23 353 tonnes de CO2 en 2010 à moins de 15 000 tonnes aujourd’hui.

L’an dernier, l’organisation a effectué une analyse d’écarts pour évaluer la qualité de son information par rapport aux recommandations du TCFD. « Nous sommes satisfaits de notre performance dans certains domaines, mais d’autres points devront être améliorés. C’est ce que notre feuille de route de trois ans va nous permettre de faire », a commenté Mme Higgins.

Pour y parvenir, Co-Operators a créé une équipe d’experts issus des secteurs Finances, Stratégie, Gestion de risques, Actuariat, Services juridiques, Gestion de placements et Développement durable.

Tout en reconnaissant qu’il ne sera pas facile d’améliorer la communication de l’information, Mme Higgins est convaincue que cela permettra d’accroître la transparence et de réduire certains risques que l’organisation considère comme réels, notamment dans le secteur de l’assurance vie et les activités d’Addenda Capital, sa société de gestion de placements.

Pour générer de l’information utile, la coopérative entend se concentrer sur l’évaluation des effets des changements climatiques et l’établissement de cibles en conséquence.

Pour Custis Ravenel, l’important pour les entreprises est d’appliquer au plus vite les recommandations sur la communication de l’information.

« J’ai entendu certaines entreprises dire qu’elles allaient prendre le temps de faire le tour de la question. À celles-là, je réponds : “vous n’arriverez jamais à faire le tour de la question, il faut agir maintenant”. Sérieusement, les recommandations sont de l’ordre du 1.0; nous attendons du secteur qu’ils produisent des résultats 2.0 », a affirmé M. Ravenel, en faisant allusion au moment où les entreprises auront massivement mis en œuvre les recommandations et que les investisseurs pourront facilement détecter les risques environnementaux à long terme dans différents secteurs et marchés.

Katie Keir

Katie est rédactrice en chef des projets spéciaux pour Advisor.ca et travaille avec l’équipe depuis 2010. En 2012, elle a été nommée meilleure nouvelle journaliste dans le cadre des Canadian Business Media Awards. Rejoignez-la à katie@newcom.ca.